Reaz Chuttoo, un des négociateurs syndicaux, estime que les employés vont prendre des décisions intelligentes, demain, lundi 1er juillet.
Le mouvement de grève qui a duré quelques heures a provoqué de nombreux problèmes au niveau des travailleurs et des étudiants.
La décision du Conseil des ministres de «reprendre» cinq lignes de transport à la compagnie de Bonne-Terre a provoqué le courroux de ses employés. Ils se préparent à riposter dans quelques heures.
La douche froide. Glaciale même. Et il ne s’agit pas de la petite pluie d’un après-midi d’hiver à Vacoas, qui refroidit même les moins frileux. Mais bien de la décision prise par le Conseil des ministres, ce vendredi 28 juin, concernant cinq lignes de transport de la Compagnie nationale de transport (CNT). C’est Anil Bachoo qui en a fait l’annonce (voir hors-texte) : ces trajets, au cœur de la polémique, seront desservis par des bus privés, conjointement avec ceux de la CNT. Une déclaration qui a provoqué stupeur, déception et colère chez les employés de cette entreprise. Car le jeudi 27 juin, la National Transport Authority (NTA) leur avait assuré que la CNT conserverait le monopole sur ces trajets donnant ainsi gain de cause aux employés qui avait lancé un mouvement de grève le mercredi 26 juin.
Pendant quelques heures, aucun autobus bleu n’avait roulé – ce qui avait provoqué le chaos au niveau du transport public dans différentes régions. Et les travailleurs pensaient avoir obtenu ce qu’ils voulaient : retour des lignes, discussions autour d’une augmentation salariale, garantie formelle que la compagnie ne sera pas privatisée, entre autres. Des discussions avec la direction sur les salaires débutent d’ailleurs ce lundi 1er juillet.
Néanmoins, face au changement de cap des autorités concernant les lignes, les syndicalistes ont choisi d’organiser une réunion spéciale lundi pour décider de la marche à suivre. Les employés de la CNT sont, donc, invités à une assemblée spéciale à 20 heures à la Tamil League, Réduit. Les syndicalistes ne souhaitent pas donner des précisions sur les décisions qui seront prises. Nouvelle grève, mouvement de go-slow ou autres actions ? Ce sera aux employés de décider, disent-ils.
Et ce sont des travailleurs en colère et déçus par la décision du Conseil des ministres qui feront entendre leur voix. Parmi eux, Gérard Sam, président de l’Open Association of Bus Drivers, qu’il a fondée en 2011, visiblement agacé par les derniers rebondissements. «Enough is enough», déclare-t-il, de but en blanc. L’homme, employé de la CNT depuis 2007, avait entamé une grève de la faim, le lundi 24 juin, afin de protester contre la décision de réattribuer des routes desservies par la CNT et «l’incompétence» des dirigeants de la compagnie de transport.
Trois jours plus tard, après l’issue jugée satisfaisante par les employés qui avaient entamé un mouvement de grève généralisé au sein de l’entreprise, il avait mis fin à son initiative. Est-il prêt à recommencer à se priver de nourriture pour faire entendre sa voix ? Pour l’instant, le chauffeur ne se prononce pas vraiment. «Je verrai ce que donne la réunion de lundi. Mais s’il faut me sacrifier à nouveau, je n’hésiterai pas», confie ce père de deux enfants. Il veut que les choses bougent et souhaitent avoir des réponses sur le manque de moyens de la compagnie : «Ils ont vendu le bâtiment d’Ebène, affichent de la publicité sur les autobus. Tous les jours, des gens voyagent avec nous. Comment peuvent-ils dire qu’il n’y a pas d’argent ?»
Incompréhension
Gérard Sam se demande également comment la décision de «reprendre» certaines lignes desservies par la CNT a pu être prise du jour au lendemain : «Il fallait un moratoire. Un temps d’explications et d’adaptation d’au moins six mois. Zot inn fer li en katimini.» Cette colère et cette incompréhension, ils sont nombreux à les ressentir à la CNT, estime Gérard Sam. Néanmoins, le mood n’est pas à l’abattement : «Nous sommes dans un fighting mood.» Alain Kistnen, secrétaire de l’Union of Bus Industry Workers (UBIW), en est bien conscient. Mais il y a, dit-il, beaucoup de tristesse dans le cœur des travailleurs : «C’est le désarroi total. Le revirement de situation est inexplicable. Ces personnes ont toujours été là pour la CNT. Une telle décision n’est pas justifiée et ne rend pas justice à ces travailleurs.»
Celui qui animera, avec d’autres syndicalistes, la réunion spéciale n’accepte pas que l’on traite les employés de cette façon. Motivé, il l’est. Il veut défendre les droits de ses camarades, dit-il : «Un ancien employé me disait, en pleurant, que ce que les autorités sont en train de faire ressemble étrangement à ce qui est arrivé à la compagnie Moka Flacq Transport.» Tout a commencé, explique-t-il, par le retrait de certaines lignes : «C’est ce qui explique la peur des employés de la CNT. Et ce n’est pas facile de travailler avec cet état d’esprit. Leur crainte, la nôtre aussi, c’est que malgré les garanties obtenues, ils finissent par perdre leur emploi.»
Surtout, estime le négociateur syndical, que les raisons avancées par les autorités pour justifier leurs actions ne sont pas crédibles : «Il y a anguille sous roche. La première raison, c’était le manque de bus. Quand nous avons démontré que c’était faux, on nous a parlé de sécurité. Which is which ?» Désormais, il souhaite que les employés de la CNT sortent gagnants de cette situation.
Reaz Chuttoo, autre négociateur, souhaite également une sortie de crise : «Lors de la réunion, nous prendrons des décisions de façon intelligente. Les travailleurs vont décider.» Lui aussi parle de la peur et de l’agacement des employés de la CNT : «Ils se demandent si on est en train de jouer avec eux comme s’ils étaient des Yo-Yo.» Sur la compagnie plane, selon lui, le risque de la privatisation. De plus, les employés de la CNT doivent faire face à la construction d’une image négative : «Des personnes présentent les travailleurs kouma bann dimoun anti-lepep. Est-ce une machination politique ? Quel est le but ? Je me le demande.»
Après la réunion regroupant les syndicalistes, ce samedi 29 juin, il confie que tous sont «très en colère» : «L’attitude du gouvernement témoigne de la frivolité derrière les décisions politiques. Comment Anil Bachoo peut-il renverser une décision de la NTA ?» Désormais, ces négociateurs qui œuvrent pour les travailleurs de la CNT comptent mettre la pression pour avoir des réponses à leurs nombreuses questions : «Quand les nouveaux bus seront-ils disponibles ? Est-ce qu’un tender est déjà lancé ? Qui va gérer les 100 bus qui doivent venir du Japon pour le transport des écoliers ?»
En tout cas, syndicalistes et employeurs ne comptent pas laisser le froid s’installer… Lundi, ils comptent bien faire monter la température.
Anil Bachoo parle de sécurité
Une question de sécurité. C’est ainsi qu’Anil Bachoo, ministre du Transport, a justifié la décision prise par le Conseil des ministres, le vendredi 28 juin. Ce qui a effacé ce qu’avait annoncé la National Transport Authority (NTA) la veille. «Ma priorité demeure la sécurité des passagers et des employés de la CNT. Il n’y aura pas de négociation au sujet de leur sécurité», a déclaré le ministre lors d’un point de presse, vendredi. Désormais, les bus de la Compagnie nationale de transport partageront cinq lignes avec des autobus privés. La raison évoquée : le mauvais état des autobus. Il s’agit d’une situation temporaire, explique-t-il, «en attendant que les 65 autobus commandés arrivent».
Le Remake 2000 conseille le dialogue
L’affaire CNT était au cœur de la conférence de presse du tandem MSM-MMM, hier. Sir Anerood Jugnauth a proposé de régler la chose au moyen de la discussion : «Le gouvernement doit dialoguer avec les syndicats et les travailleurs qui ont des doléances raisonnables. Le gouvernement ne doit pas se servir de la répression ni faire une campagne de terreur, car cela finira mal et ira bien loin.» Paul Bérenger, lui aussi, donné des conseils pour sortir de l’impasse : «Je donne un conseil d’ami aux syndicats : faites bien attention, car c’est à cause du gouvernement que le pays est dans une situation dangereuse (…) Concernant la volte-face au Conseil des ministres, c’est clair que c’est Navin Ramgoolam qui tient la ligne dure vis-à-vis des syndicats (…) Je conseille à Ramgoolam de ne pas menacer comme Bachoo et Mohamed. Le dialogue avec les syndicats en 2013 est la seule voie possible…»
Grève, discussions et revirement…
Mardi 25 juin : Tard dans la soirée, les employés de la Compagnie nationale de transport (CNT) décident de lancer un mouvement de grève. La raison évoquée : certaines lignes où circulent uniquement des bus de la CNT seront allouées à des opérateurs privés. Ils disent avoir peur pour leur emploi.
Mercredi 26 juin : Comme prévu, aucun autobus bleu ne prend la route. Le mouvement de protestation se cristallise devant le head office de la CNT, à Bonne-Terre.
- Le ministre du Transport, Anil Bachoo, et celui du Travail, Shakeel Mohamed, tentent de «raisonner» les travailleurs avec des menaces de renvoi, des rappels que cette grève est illégale et une certaine intransigeance. Ils n’obtiennent pas les résultats escomptés.
- La colère gronde. Les employés saccagent un van marron qui transporte des passagers à Solférino.
- Quatre employés sont interpellés puis relâchés.
- Sur la Toile et sur les radios privées, les Mauriciens se déchaînent. Certains soutiennent le mouvement des grévistes. D’autres s’indignent de ne pas avoir obtenu de transport pour rentrer chez eux.
Quelques-uns s’interrogent sur le bien-fondé de ce mouvement de grève en se demandant si ce n’est pas suite à l’accident de Sorèze que les employés de la CNT auraient dû protester.
- Les négociations sont ouvertes. Des syndicalistes rencontrent le ministre du Travail et celui du Transport.
- Ils obtiennent la promesse qu’il y aura une révision salariale et des discussion afin de réexaminer la décision des autorités au sujet des lignes concernées ainsi que l’assurance que la CNT ne sera pas privatisée… Après quelques heures de négociation, la grève est levée.
Jeudi 27 juin : Le travail reprend normalement pour les employés de la CNT.
- La National Transport Authority annonce que la compagnie a récupéré toutes les lignes concernées. Elle peut donc maintenir sa situation de monopole.
Vendredi 28 juin : Suite à une décision prise par le Conseil des ministres, Anil Bachoo annonce que la CNT devra partager les cinq lignes avec des opérateurs privés.