La casserole de Daniella Labavarde, complètement vide, n’a pas servi à préparer le repas du midi. C’est au feu de bois qu’elle fait bouillir ses rares aliments.
Oliver Brasse, aux côtés de sa mère Cindy, ne s’est pas rendu à l’école faute d’un repas.
Des enfants qui ne vont pas à l’école faute d’un repas. Des mères qui quémandent ne serait-ce qu’un pain. D’autres qui ne prennent qu’un repas par jour. Tel est le triste sort de nombreuses familles mauriciennes. Nous avons rencontré trois d’entre elles dans le cadre de la Journée mondiale contre la faim, observée hier, samedi 15 juin.
Elle ne vit que de sa pension de veuve de Rs 3 020. De cette somme, Daniella Labavarde,
46 ans, doit débourser Rs 400 pour les frais d’électricité et Rs 600 pour le loyer de sa maison, une bicoque située à Arsenal. Elle y vit seule depuis peu et en ces lieux, l’atmosphère est triste, morose.
Avec le reste de son argent, Daniella achète de quoi se nourrir. «Je n’ai pas de réfrigérateur. De toute façon, je n’ai pas les moyens d’acheter de la nourriture congelée. Je ne mange que des produits en conserve, des grains secs et des légumes. Pour ce qui est du riz, je n’achète que le riz ration. Basmati li bon me li tro ser pou mwa», confie Daniella qui nous reçoit dans sa chambre à coucher.
C’est d’ailleurs dans cette pièce qu’elle range ses quelques provisions. «Il ne me reste que deux sachets de riz ration pour finir le mois. Je n’ai plus de boîte de conserve. Et de plus, cela fait des années que je ne bois plus de lait. Je ne prends que du thé noir», poursuit cette mère de sept enfants. Qu’en est-il justement de ses enfants ?
Les plus grands sont mariés ou alors vivent en concubinage, dit-elle, alors que les deux derniers de la famille, âgés de 12 et 13 ans, ont été pris en charge par la Child Development Unit (CDU) : «Ils traînaient les rues. Des fois, ils n’allaient pas à l’école car il n’y avait rien à leur donner à manger. Dimoun inn fer complaint. Lerla CDU inn ramas zot.» Seule, Daniella a du mal à vivre au quotidien. Une petite visite dans sa cuisine de fortune témoigne du combat qu’elle doit mener au quotidien. Les casseroles qui traînent sur une table sont vides.
Dans un coin aménagé à quelques pas de là, l’on aperçoit un récipient sur un feu de bois. «Deksi dite nwar sa», précise notre interlocutrice. Car Daniella nous explique qu’elle n’a pas le luxe de se payer du gaz ménager : «Je vais chercher du bois chaque jour. Mais parfois, je n’allume même pas de feu car il n’y a rien à manger. Ce soir, par exemple, je ne sais pas si je vais dîner ou si j’irai dormir le ventre vide.»
Demander du pain
À Pamplemousses, chez la famille Trident, la situation n’est guère plus réjouissante. Stellio, 47 ans, a fait une grave chute il y a trois ans. Ce qui a provoqué la fracture de sa colonne vertébrale. Résultat, il est toujours alité. Sa femme Chantale, 57 ans, doit s’occuper de lui quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre .
«Notre situation est difficile. Je touche une pension de Rs 5 000. Avec cet argent, je dois payer le loyer et l’électricité, entre autres. De plus, j’ai une fille qui est en Form V. Je dois lui procurer son matériel scolaire. Sans compter les couches et les médicaments que je dois acheter pour mon mari. Il ne me reste pratiquement rien ensuite», souligne tristement Chantale. Cette dernière, qui habite avec sa famille dans une bicoque d’à-peu-près huit mètres carrés, a même été récemment obligée de décongeler son réfrigérateur. Car, dit-elle, elle n’a pas d’argent pour acheter des produits congelés.
«Ce matin, j’ai dû faire le tour du quartier pour demander un pain pour ma fille. Une dame m’en a donné avec deux saucisses. Ma fille a heureusement pu aller à l’école. Par contre, ce midi, mon mari et moi n’avons rien à manger. Et ce sera également le cas ce soir», explique Chantale. Pourtant, assure-t-elle, sa famille a reçu la visite des représentants de la National Empowerment Foundation et celle des ministres Satish Faugoo et Devanand Ritoo.
Mais cela n’a, affirme-t-elle, rien changé à sa situation : «On nous a rendus visite mais par la suite, il n’y a eu aucune action alors qu’on nous a dit qu’on allait s’occuper de notre cas.» Contacté à cet effet, l’attaché de presse du ministre Ritoo nous a confirmé la visite de ce dernier chez les Trident. «Il connaît ce cas. Il réfléchit toujours à la manière dont il va leur venir en aide», nous a-t-il déclaré. Nous n’avons toutefois pu avoir une déclaration de Satish Faugoo, le ministre étant en mission à l’étranger.
Après notre passage chez les Trident, nous sommes tombés sur deux garçonnets qui jouaient au football sur un terrain poussiéreux. Chantale Trident nous explique alors que l’un d’eux n’est autre que son petit-fils, Oliver Brasse, qui vit dans la même cour. Cindy, 36 ans, la fille de Chantale, s’approche de nous et nous explique pourquoi son fils n’est pas à l’école. «Il n’y avait pas à manger. Cela arrive souvent. Mon autre fils Darren, qui est au collège, a, lui, préféré partir à l’école malgré tout. Il est grand, il se débrouille avec ses amis. Mais il arrive aussi que mes enfants restent à la maison pendant toute une semaine parce qu’il n’y a rien à manger», raconte péniblement Cindy.
Comme Cindy, Chantale ou encore Daniella, tant d’autres femmes, tant d’autres familles se battent au quotidien pour survivre. Alors que nous venons tout juste de célébrer la Journée mondiale contre la faim, ces familles, elles, poursuivent leur combat, un combat pour manger… à leur faim.