L’avocat Veeren Ramchurn apportant son soutien à son client lors de cet exercice.
Dans cette dure épreuve, il peut compter sur l’appui de sa femme Kamla
C’est en larmes qu’il a participé, hier, à la reconstitution de l’accident de Sorèze dans lequel dix personnes ont trouvé la mort, le 3 mai. Meurtri au plus profond de son être, le receveur du Blue Line 4263 AG 07, raconte comment, en l’espace de quelques minutes, sa vie a basculé.
D’un pas lent et lourd, il s’avance vers la scène de l’horreur. Là où le 3 mai, dix personnes ont péri tragiquement, lorsque l’autobus Blue Line dans lequel elles se trouvaient a dérapé et fait plusieurs tonneaux. Là où plusieurs autres, dont lui, ont été grièvement blessées. Le receveur de l’autobus n’oubliera jamais ce jour cauchemardesque. Minerve au cou, casquette sur la tête, l’homme ne peut empêcher les larmes de couler sur son visage, marqué par une profonde douleur.
Hier, à midi tapant, le receveur arrive à Sorèze, accompagné de son fils. Sur place, projeté un mois en arrière, Vishwamitr Bundhoo, plus connu comme Ram, ne peut contenir son émotion. C’est trop, beaucoup trop pour lui. De temps à autre, au fil de ses explications aux policiers, lors de cette reconstitution de l’accident de Sorèze, il enlève ses lunettes pour essuyer ses yeux. Son avocat Veeren Ramchurn, qui l’assiste, essaie tant bien que mal de le soutenir avec de petites tapes sur l’épaule. «Je revois ces horribles images devant moi comme si c’était hier. Je revois ces victimes éparpillées un peu partout sur le lieu du drame. Moi, j’avais les oreilles pleines de terre alors que mes vêtements étaient tachés de sang. Je me revois appeler à l’aide pour qu’on vole à la rescousse du chauffeur Gunness. Je ne pourrai jamais oublier ce jour où j’ai vu la mort en face», lâche Ram Bundhoo en sanglots.
Par la suite, cet habitant de Lallmatie, âgé de 52 ans, raconte dans les moindres détails aux policiers du poste de police de Pailles, les circonstances de l’accident du 3 mai. «Sofer ine perdi frin apre Pont Colville. Mo trouv li pe pompe mem me pena frin», explique Ram Bundhoo. La voix brisée par le chagrin, il poursuit son triste récit : «Il m’a demandé de dire aux passagers de se mettre à l’arrière. Quelques personnes n’ont pas réagi. C’est à mon deuxième signal qu’elles ont réalisé l’ampleur de la situation. À partir de cet instant, la panique était à son comble. En arrivant à hauteur de Sorèze, le chauffeur a changé de trajectoire. Il a pris le virage à gauche, menant sur la ring road. L’autobus zigzaguait dans tous les sens. On a d’abord heurté un panneau de signalisation. Puis les roues du véhicule ont heurté un caniveau, ce qui a provoqué des tonneaux.»
Les yeux rougis à force d’avoir pleuré, il ne quitte pas du regard le lieu exact où le véhicule a terminé sa course. Des morceaux de verre provenant de l’autobus accidenté jonchent toujours le sol à cet endroit. Et des bouquets de fleurs fanées, déposés par les proches des victimes, contribuent à l’atmosphère encore plus lourde. «Depuis ce jour, ma vie a basculé. Je pensais que j’allais être handicapé à vie. Il s’en est fallu de peu que ma colonne vertébrale soit atteinte. J’ai passé cinq jours sans manger, ni boire, aux soins intensifs de l’hôpital Jeetoo. C’était très dur. Puis on m’a transféré à l’hôpital de Flacq. On a bien pris soin de moi. J’ai eu une fracture au cou et une vilaine entaille à la tête. On m’a posé quelques points de suture», raconte Ram Bundhoo qui doit se rendre au poste de police de Pailles, lundi, pour consigner sa déposition par écrit.
Si pendant la journée, il arrive plus ou moins, dit-il, à gérer la situation, le soir venu c’est une tout autre histoire. «Je ne peux pas fermer l’œil de la nuit. Dès que je ferme les yeux, je revois ces horribles images. Je suis hanté par des cauchemars et souvent je ne peux retenir mes sanglots. D’ailleurs, je suis suivi par un psychologue du gouvernement qui vient à mon domicile. Ma santé est très fragile depuis l’accident. Tous les deux jours je dois me rendre à l’hôpital pour faire des injections. Et c’est en taxi que je dois me déplacer pour me protéger des secousses éventuelles dans les autobus. Je porte une minerve et je dois faire très attention», précise Ram Bundhoo. Ce n’est que dans deux mois qu’il reprendra son service à la Compagnie nationale de transport. Car après l’accident, il a eu trois mois d’arrêt maladie.
Toutefois, il appréhende grandement son retour au boulot. «J’espère que la situation à la CNT va changer. Là-bas, ce n’est un secret pour personne que les bus tombent souvent en panne et que les pièces de rechange ne sont pas conformes. Mais personne n’ose en parler. Les chauffeurs et les receveurs connaissent les problèmes. Actuellement, les mécaniciens ne travaillent qu’en semaine. Quand un bus tombe en panne le week-end, c’est la panique», confie notre interlocuteur. Désormais, il n’a pas peur, dit-il, de dénoncer haut et fort certains dysfonctionnements à la CNT. La raison : «J’ai perdu mon ami et collègue Deepchand Gunness et neuf passagers qui laissent derrière eux des familles éplorées.»
Des prières
D’ailleurs, affirme le receveur, l’autobus de la mort, le Blue Line 4263 AG 07, avait des problèmes d’ordre mécanique depuis décembre 2012. «Le 13 décembre, le bus avait heurté un autre autobus de la CNT car il n’avait pas de frein. Le véhicule a été emmené au garage de Bonne-Terre et nous l’avons récupéré le 9 janvier. Toutefois, le 7 février, il a eu un autre problème de freins et est retourné à Bonne-Terre pour réparation avant de reprendre la route le 20 février. Puis nous avons travaillé sans problème jusqu’au 29 avril où nous avons de nouveau eu un problème de frein. Le bus a été réparé le même jour et a repris le service normalement. »
Mais le 3 mai, les choses devaient virer au cauchemar. Après avoir quitté la gare de Vacoas à 8h25 du matin, l’autobus aurait rencontré quelques problèmes en cours de route avant de finir sa course fatale dans le virage de Sorèze. «On faisait des prières chaque matin avant de prendre la route. On allumait des sandal, on déposait des fleurs et on sollicitait la protection divine. C’est Dieu qui m’a épargné alors que mon ami est parti en héros de par son acte. S’il n’avait pas agi ainsi, il y aurait eu beaucoup plus de victimes. L’autobus avait un problème de freins. Il faut le dire.» Pour lui, il n’y a pas de doute : «Pa akoz ti ena 4 ou 5 dimun ti pé débout ki bis la ine dévirer. C’est a koz frein pa bon. Kan mo guet vizaz bann viktim lor zurnal, mo larm koule.»
Cela fait 16 ans, depuis le 25 février 1997, que Ram Bundhoo est employé à la CNT et quitte son domicile à Lallmatie chaque matin, à 4h30, pour se rendre au boulot. «C’est très dur pour lui. Mais il a du courage. Avant la CNT, il a travaillé pendant 16 ans dans des autobus individuels, toujours en tant que receveur», explique son épouse Kamla. C’est à travers un appel téléphonique de son époux qu’elle a appris que l’autobus dans lequel il travaillait avait eu un accident. «Ram m’a appelée pour m’informer de l’accident. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, je craignais le pire. Heureusement, Dieu l’a épargné», confie-t-elle avec émotion.
Son époux, lui, ne peut s’empêcher de hurler sa révolte face aux événements du 3 mai. «J’ai entendu dire que le Premier ministre avait traversé Sorèze en direction de Port-Louis, le jour du drame, sans s’arrêter. Dan ki pei nu pé viv ?» se demande-t-il. Et de préciser que le directeur de la CNT, Robin Soonarane, lui a une fois rendu visite à son domicile après l’accident et lui a apporté quelques «pommes et oranges».
On dit que le temps guérit les blessures les plus graves. Toutefois, les cicatrices, parfois très profondes, demeurent. Ram Bundhoo le sait et il se prépare à vivre avec. Il sait aussi que les cauchemars qui le hantent ne s’arrêteront pas de sitôt. Peut-être même jamais. Car un traumatisme pareil ne disparaît pas du jour au lendemain.
Oomeela Hanooman va mieux
La dernière rescapée du Blue Line de la CNT à être encore hospitalisée se porte mieux. Oomeela Hanooman, 57 ans, est sortie du coma il y a quelques jours et a recommencé à parler depuis mardi. Elle est cependant toujours sous observation à l’unité des soins intensifs de l’hôpital de Candos, où elle a déjà subi plusieurs interventions chirurgicales. Elle s’est fracturée le bassin et a plusieurs autres blessures également. Le jour du drame, la quinquagénaire se rendait à son travail à Port-Louis.
Dans la même journée : deux autobus de la CNT prennent feu
La journée du vendredi 7 juin a été riche en émotions pour des passagers voyageant à bord de deux autobus de la CNT. Ces derniers ont pris feu en cours de route. Le premier de la marque Ashok Leyland et immatriculé Juin 00 a été complètement carbonisé sur la route d’Albion en direction de Port-Louis avec, à son bord, 22 passagers qui ont été évacués in extremis. C’était aux alentours de midi.
Presque au même moment, soit aux environs de 12h30, un autre autobus de la marque TATA et datant de 2007, a connu presque le même sort à Nouvelle-France. «Dans les deux cas, les chauffeurs ont rapporté l’affaire à la police. Deux enquêtes ont été ouvertes. La CNT va aussi enquêter pour tirer cette affaire au clair», a précisé Robin Soonarane, que nous avons eu au téléphone.