Elle dit avoir été une femme battue et voulait le divorce. Son époux, lui, aurait refusé de le lui accorder. Ce à quoi elle a répliqué en engageant un homme pour lui «donner une correction». Retour sur ce drame et sur les aveux du cerveau de l’affaire.
Elle n’en pouvait plus, dit-elle, des coups infligés par son époux. Et souhaitait plus que tout mettre fin à sa relation avec lui. Mais ce dernier ne l’entendait pas de cette oreille. C’est pourquoi, selon sa version, Madhuri Ghoorbin a payé un homme pour lui «donner une correction». Correction qui a viré au drame.
Ce secret, beaucoup trop lourd à garder, Madhuri Ghoorbin l’a révélé en consignant une déposition au bureau de la Central Investigation Division de Grand-Baie, le jeudi 18 avril. Elle y était accompagnée de son avocat, Me Arassen Kallee.
La jeune femme de 30 ans, originaire de Fond-du-Sac, a ainsi avoué avoir commandité l’assassinat de son époux Vikram. Le corps de ce dernier, âgé de 34 ans, a été retrouvé dans un champ de cannes, à Camp-Domingue, Cap-Malheureux, le 17 avril. Le rapport d’autopsie révèle que la victime a succombé à une exsanguination.
L’agression a été commise la veille de la découverte macabre. C’était un mardi soir. Mais il n’a fallu que peu de temps avant que la police ne procède à l’arrestation de Madhuri Ghoorbin. Cette dernière a d’abord nié les faits qui lui sont reprochés, avant de finalement passer aux aveux et faire des révélations. Elle fait actuellement l’objet d’une accusation provisoire d’assassinat.
Quatre autres suspects ont été appréhendés dans le sillage de cette affaire, soit Nizamudeen Okeeb, un cuisinier de 27 ans, Reza Jeeanody, un coiffeur de 23 ans, Iswardev Goolzar, un maçon de 49 ans, et Mamade Battun, un habitant de Grand-Baie, âgé de 29 ans. Ils sont tous derrière les barreaux. Une accusation provisoire d’assassinat pèse sur eux.
Comment Madhuri Ghoorbin en est-elle arrivée au point de vouloir se débarrasser de son époux ? Dans sa déposition, elle explique qu’elle était une femme battue – selon son avocat, elle porte d’ailleurs des cicatrices sur plusieurs parties du corps.
Les gros moyens
C’est pour cette raison, dit-elle, que l’idée lui est venue, en décembre dernier, d’employer les gros moyens pour lui faire entendre raison, lorsque ce dernier l’a agressée, affirme-t-elle, pour la énième fois, avec une arme tranchante. Sauf qu’aucune déposition n’a été faite à ce sujet. Pourquoi ? Selon Madhuri, Vikram lui promettait, à chaque fois, qu’il ne recommencerait plus et qu’il allait l’épouser religieusement.
Entre chaque dispute, Madhuri faisait le va-et-vient entre le domicile des parents de Vikram, à Petit-Raffray, et celui de ses parents, à Fond-du-Sac. Parallèlement à sa vie privée tumultueuse, la jeune femme était employée comme cuisinière dans un restaurant à Trou-aux-Biches. En décembre dernier, un collègue, Nizamudeen Okeeb, se serait aperçu qu’elle portait des blessures sur plusieurs parties du corps.
Pressée de questions à ce sujet, Madhuri aurait fini par tout lui raconter. Après quoi, elle aurait fait une requête à ce dernier : «Al koz ar li pu dir li fini ar mwa, mo envi divorse. Bizin krak li.» Nizamudeen Okeeb aurait alors dit à Madhuri qu’il ne pouvait l’aider. En revanche, il aurait dit connaître quelqu’un qui, lui, pouvait le faire.
Nizamudeen Okeeb aurait alors référé le cas de la jeune femme à Reza Jeeanody, un coiffeur déjà fiché à la police. Ce dernier était en liberté conditionnelle dans une autre affaire d’agression mortelle à Triolet en 2012, jusqu’à son arrestation la semaine dernière. «Pu fer travay la», il aurait demandé Rs 60 000 à Madhuri Ghoorbin.
Toutefois, dans sa déposition, cette dernière a, elle, précisé lui avoir dit qu’elle n’avait pas la somme en question. Mais qu’elle était disposée à faire un premier versement de Rs 15 000. Reza Jeeanody n’aurait accepté cette offre que deux jours plus tard.
En décembre, donc, Madhuri Ghoorbin aurait fait deux versements de Rs 15 000, à deux jours d’intervalle. En janvier, constatant qu’aucune action n’avait été prise, la jeune femme aurait contacté Reza Jeeanody par téléphone, lui demandant de lui rendre son argent. Celui-ci aurait refusé de l’écouter. Ce qui l’a amenée à se rendre au salon de coiffure de Reza Jeeanody afin de lui demander d’abandonner le projet et de lui rendre son dû. Du moins, c’est ce qu’elle dit.
Entre-temps, souligne Madhuri Ghoorbin, son mari a continué à la harceler. Et à fin mars, elle n’avait toujours pas récupéré l’argent remis à Reza Jeeanody. Ce dernier ne donnant toujours pas signe de vie à début avril, la jeune femme a resollicité l’aide de son collègue Nizamudeen Okeeb.
Elle lui aurait dit avoir remis de l’argent à Reza Jeeanody afin que ce dernier puisse s’acquitter des frais d’une intervention chirurgicale. Et qu’elle attendait toujours d’être remboursée. Le 14 avril, Madhuri Ghoorbin dit avoir reçu un appel de Reza Jeeanody, qui lui réclamait une somme supplémentaire pour infliger une correction à son époux Vikram. Ce qu’elle aurait refusé, tout en ajoutant, dans sa déposition à la police, qu’elle se serait rétractée quant au fait de faire peur à son mari.
Elle précise même avoir été prise de remords et aurait demandé à Nizamudeen d’intervenir pour empêcher son «ami» d’agir. Ce que ce dernier aurait fait, en déclarant à Reza Jeeanody que sa collègue avait trouvé quelqu’un d’autre pour faire le travail. Tout en insistant sur le fait qu’il devait Rs 30 000 à Madhuri Ghoorbin. Cette dernière avance que Reza Jeeanody la harcelait constamment au téléphone : «Je lui raccrochais au nez.» Reza Jeeanody lui aurait passé un énième coup de fil le mardi 16 avril. Et ce jour-là, il lui aurait dit qu’il allait passer à l’acte.
Les remords mis de côté, Madhuri aurait alors demandé à Reza Jeeanody et Nizamudeen Okeeb de contacter son amant, Iswardev Goolzar, qu’elle faisait passer pour son oncle auprès de ses collègues. Ce dernier allait lui expliquer «kot mo mari reste dan Beeharry Lane» (voir les circonstances du drame en hors-texte). Une fois le forfait commis, Reza Jeeanody et Nizamudeen Okeeb sont venus voir Madhuri sur son lieu de travail pour lui dire que le travail avait été fait, sans lui donner plus de détails.
Reza Jeeanody aurait commandé deux barquettes de take away avant de prendre congé d’eux. Madhuri Ghoorbin précise, elle, qu’elle ne savait pas, à ce moment-là, que son mari avait été tabassé à mort. Ce n’est que le lendemain qu’elle aurait appris la mauvaise nouvelle. Avant que la police ne procède à son arrestation quelques heures après la découverte du corps sans vie de Vikram Ghoorbin.
Une fin sanglante qui signe la fin d’une relation qui avait pourtant bien débuté en 2006. Sept ans plus tard, l’un est agressé mortellement, et l’autre est incarcérée...
Iswardev Goolzar, l’amant de la jeune femme : «J’ai agi par amour»
Dans sa déposition, Iswardev Goolzar, qui est marié, mais qui n’a pas d’enfant, précise qu’il n’a, à aucun moment, frappé Vikram Ghoorbin . «J’ai agi par amour», dit-il. Il entretenait une liaison extraconjugale avec Madhuri depuis six ans. Il raconte que le jour du drame, il a joué un rôle précis : c’est lui qui a indiqué aux autres suspects la demeure de Vikram Ghoorbin. Le maçon a retenu les services de Me Steeven Sauhoboa, pour le défendre dans cette affaire. Il précise aussi qu’il n’a pas touché le moindre sou pour faire la peau à Vikram Ghoorbin.
Le frère de la victime : «C’est impardonnable»
Les Ghoorbin sont toujours en état de choc. Les circonstances dans lesquelles Vikram a trouvé la mort les révoltent. «C’est impardonnable. Mon frère ne méritait pas de mourir de cette façon. Vikram aimait trop cette fille, même si cette dernière lui était infidèle. Il a connu une fin atroce», explique Sailesh, le frère aîné de la victime. C’est lui qui, à la demande de la police, a identifié le cadavre de son frère.
Selon Sailesh, Madhuri a complètement changé depuis qu’elle a commencé à travailler dans un restaurant à Trou-aux-Biches : «Plus d’une fois, mon frère l’a surprise en compagnie d’autres hommes en voiture ou à moto. Mo frer pa ti kontan ki li travay, mais il n’hésistait pas à passer l’éponge, car mo frer ti mari kontan sa fam la. Il comptait d’ailleurs se marier religieusement avec elle, même si elle réclamait le divorce.»
Sailesh raconte que son frère est de nature «cool» : «Mo pa kroir ki li ti pe bat so fam. Li mari trankil sa piti la». Mais Vikram était devenu un peu méfiant depuis deux semaines : «Il avait reçu des menaces sur son portable. On lui avait dit qu’on allait le kidnapper. On n’a rien su. C’est un de ses amis qui nous a dit cela après sa mort. La veille du drame, nos voisins nous ont aussi dit qu’un 2x4 faisait le va-et-vient devant notre domicile.»
Il y a quelque temps, Madhuri lui aurait aussi dit qu’elle allait payer des gens pour «kas so lipie ek lame akoz li pa le divorse», souligne Sailesh. Vikram collectionnait les petits boulots. Il travaillait comme chauffeur ou tôlier. La veille du drame, Dinosaure, le chien de la famille Ghoorbin, avait été agressé au sabre par un inconnu.
Le jour du drame, la victime est sortie après avoir reçu un appel sur son portable. «Linn dir nu li pe al get enn travay la tol. C’est son cadavre qui est rentré», se lamente Sailesh. Ce dernier avance également que son frère a trouvé la mort dans des circonstances troublantes : «Zot ti koup so seve ek ti met so lekor dan enn la kroise. Kuma dir inn fer sorcellerie ar li.»
Justine : «Mon époux Nizamudeen a joué un rôle minime»
Elle croit dur comme fer que son mari n’a rien à voir avec l’assassinat de Vikram Ghoorbin. Justine, l’épouse de Nizamudeen Okeeb, une ressortissante étrangère, précise que son époux est injustement accusé d’assassinat : «Je le connais. Mon époux Nizamudeen a joué un rôle minime dans cette affaire. Je crois dans ce qu’il a dit. Je le soutiens à 100 %. Je n’ai aucun doute à ce sujet. He has a kind heart.»
Nizamudeen Okeeb a retenu les services des Mes Germain Wong Yuen Kook, Amrish Oozageer et Sanjeev Teeluckdharry. Me Germain Wong Yuen Kook nous a fait la déclaration suivante : «Mon client collabore pleinement avec la police. Il a d’ailleurs soumis son portable et son 2x4 à des fins d’analyse. On laisse l’enquête suivre son cours.»
Dans sa déposition, Nizamudeen Okeeb explique que c’est Madhuri qui aurait retenu les services du gros bras Reza «pu donn koreksion so mari», car ce dernier refusait de divorcer. Le jour du drame, Nizamudeen dit avoir agi comme chauffeur, au volant de son 2x4, aux services de Reza et de son ami Mamade Battun, alias Long. Il les avait récupérés à Grand-Baie avant d’aller à la rencontre d’Iswardev Goolzar à Petit-Raffray. Nizamudeen précise que le dénommé Long avait en sa possession des barres de fer de trois pouces et des bâtons de quatre pouces et qu’ils étaient à quatre dans le tout-terrain.
Iswardev Goolzar et Mamade Battun seraient descendus au début de la ruelle où habitait la victime pour ne pas éveiller les soupçons de ce dernier. Vikram connaissait Iswardev. Selon les explications des suspects, Nizamudeen aurait klaxonné devant la porte de Vikram vers 19 heures et un proche serait sorti pour dire qu’il n’était pas à la maison. Le suspect Goolzar a alors téléphoné à Madhuri pour l’informer de la tournure des événements.
Cette dernière devait toutefois affirmer que son époux se trouvait bel et bien à la maison. Le suspect Nizamudeen souligne que Madhuri lui aurait donné le numéro de portable de son mari. Il lui a téléphoné prétextant qu’il y avait un travail de tôlerie à faire. Vikram n’aurait rien vu venir. En sortant, Reza l’a embarqué de force. Nizamudeen se serait arrêté un peu plus loin pour récupérer Goolzar et Battun, avant de se diriger vers un champ de cannes.
Sur place, Reza aurait pris Vikram au collet pour le projeter à terre avant de le rouer de coups. Nizamudeen souligne qu’il est alors retourné au volant de son véhicule. Toujours selon sa version, Reza serait retourné vers son véhicule pour prendre un couteau de boucherie dissimulé sous un siège et aurait dit à Iswardev Goolzar : «Mamou mo montre ou kuma fer travay la» et ce dernier lui aurait répondu «korek». Nizamudeen précise que c’est Reza qui a agressé Vikram avec l’arme tranchante à trois ou quatre reprises avant de le laisser sur place en compagnie des autres. Selon Nizamudeen, «Vikram ti enkor vivan lerla».