«Manipulatrice, autoritaire, dominatrice», autant de qualificatifs attribués à Critika par ses proches. Ces derniers disent qu’elle avait aussi des «prémonitions» et qu’elle avait prédit les «attentats du 11 septembre 2001»
«Si mo ploré, la pli pu tombé», confiait Critika à son époux Ashok Nundkumar. Depuis environ trois ans, celle que la police désigne comme le cerveau de l’empoisonnement collectif de Béchard Lane, St-Paul, qui a fait dix morts, dont Critika elle-même, avait adopté un comportement «étrange», nous dit celui-ci.
Méditant devant une boule de crystal, elle déclarait à qui voulait l’entendre : «Bondié koz are mwa », dixit sa sœur Rumilla. Ses hallucinations ou «ses visions» comme le dit son mari, et son «talent de manipulatrice» faisaient d’elle une femme redoutable qui «exerçait son autorité», selon Madhvi, une autre de ses soeurs, sur le reste de la famille.
Parmi les dix cadavres découverts dans une maison à St-Paul le 27 aout dernier, il y avait ceux des membres de la famille Mawooa qui habitaient la maison : Countee et ses enfants, Ravi, Chinta, et Critika ainsi que le fils de cette dernière, Devesh. Les autres cadavres étaient ceux de Mayadevi Jhowry, l’amie de Critika, et ses enfants Kesha et de Bavish, de Rajesh Dhayam, cadre du MGI et amant de Critika et de Paul Hervé Janvier, clerc de notaire porté disparu depuis deux ans.
Les paroles incohérentes du présumé cerveau de ce décès collectif n’ont pas été prises au sérieux. Au mois de juin, Critika annonçait son « futur départ ». C’était lors du baptême de Yohans, trois mois, le fils de Ravi.
Ce jour-là, Ravi a aussi tenu un discours troublant. «Line dir nu zot pé suivre ene cours méditation et zot pé monte là-haut. Bane dimoune en-bas c’est bane démons», soutient Rohit Buchan, époux de Madhvi, la sœur aînée de Critika et de Ravi. Leur mère Countee, victime, elle aussi, de l’empoisonnement collectif, songeait également à ce départ précipité à l’aide du cyanure quand elle a annoncé au téléphone à ses filles Rumila et Madhvi, quinze jours avant la découverte macabre, que les autres occupants de sa maison et elle se rendaient à Rodrigues?
Quelques jours après cet appel de Countee, Rumila, reçoit un autre appel de Critika. «Line dire mwa ki ène zour dan l’histoire, to pu tendé ki qualité gran travay to sœur ( en faisant référence à elle) fine faire (…)Tout létan mo dire toi mo ene déesse mais personne pas croir. Mo pé alle bien loin, blié ki to éna ène sœur ki appel Jamma (surnom que Rumila donnait à Critika)», raconte Rumila.
Si Critika, dans la lettre de confession qu’elle a laissée – Ashok, son époux
duquel elle est séparée depuis trois ans, a authentifié l’écriture comme étant la sienne – elle confie qu’elle a décidé «de mettre fin à sa vie en emportant les neuf autres personnes avec elle», la police pense qu’il pourrait s’agir d’un autre scénario. Dans la même lettre, Critika donne les noms des personnes qui ont refusé de lui prêter de l’argent et qui lui auraient demandé «de coucher avec eux avant d’agréer à sa demande».
«Une dominatrice»
Les enquêteurs soupçonnent que Critika s’est peut-être laissé manipuler financièrement par une onzième personne ainsi que sa famille (voir le texte ‘Un ‘traiteur montré du doigt’). Cette possibilité expliquerait sans nul doute les dettes qu’elle a laissées après sa mort (Voir ‘Les problèmes d’argent des Mawooa’ plus loin).
Ashok, ses belle-sœurs, Madhvi et Rumila, croient également à cette thèse. «Mo pa kroir ki line kapave touye so zenfant», réplique Ashok à cette question. À Madhvi de poursuivre : «Nous pensons que Critika s’est laissé influencer par une onzième personne avant d’entraîner les autres avec elle». Une chose est sûre : selon le rapport d’autopsie, Critika a été la dernière personne à rendre l’âme après avoir ingurgité du cyanure comme les neuf autres victimes.
«Manipulatrice», «autoritaire», «dominatrice», autant de qualificatifs attribués à Critika par ses proches. «Elle imposait sa volonté sur tout le monde. Elle avait un talent pour manipuler les gens», se rappelle Madhvi. Sarita, la seconde épouse de Ravi, qui était chez sa mère à Queen Victoria – elle voulait être chez les siens parce qu’elle avait une grossesse difficile – au moment du drame, se rappelle : «Kan Critika sorti travay, tou dimoune dans lakaz change d’attitude, zot agir ène lot mannière».
Mayadevi Jhowry dont le corps et ceux de ses deux enfants (ils étaient portés disparus depuis le 22 juillet dernier) ont également été retrouvés à St-Paul, a-t-elle aussi succombé à l’influence de son amie Critika ? Selon Munesh Jhowry, l’époux de Mayadevi : «Mo ti empêche mo fam zoine li parski mo pa ti kontan so manière. Mo fam pa ti écoute mwa, li ti enferme li dan la chambre pu téléfone Critika». Mayadevi et Critika étaient toutes deux esthéticiennes à l’hôtel Victoria.
Selon ses proches, Critika a adopté son comportement de manipulatrice, de dominatrice quand elle est retournée à St-Paul après s’être séparée de son mari Ashok, il y a trois ans. Adolescente, Critika, s’amusait seulement à prédire les visites familiales. «Elle aimait jouer à ce jeu. Elle nous donnait le nom du proche qui allait nous rendre visite et ses prédictions se révélaient vraies», confie Rumila, 36 ans, sa sœur. Toutefois, à cette époque, cette ex-étudiante du collège Eden de Curepipe, ne vouait, selon Rumila, pas une dévotion excessive à Dieu et «n’avait pas des hallucinations».
Critika et son amant Rajesh
Alors qu’elle obtient son transfert au collège de Vacaos/Phoenix après la Form II, Critika connaît son premier amour. Elle tombe amoureuse d’Ashok Nundkumar. «À l’école, c’était une adolescente normale», dit Rumila. Quelques années après leur SC, les deux jeunes se marient et s’installent à Curepipe chez les parents d’Ashok. «Durant les premières années de mariage, tout allait bien. Après une fausse couche, Critika a mis au monde Devesh après trois ans de mariage. Toutefois, Critika se plaignait souvent de douleurs au ventre, son visage se mettait aussi à gonfler de temps à autre. Nous avons fait la tournée des cabinets de consultation mais les médecins n’ont pas trouvé d’explications aux maux de Critika», raconte Ashok.
Les choses entre le couple se gâtent quand Critika ramène une boule de cristal – la police pense que le traiteur en question la lui a offerte - à la maison et s’enferme dans une pièce pour faire de la méditation. «Elle ne laissait jamais personne entrer dans cette pièce. Parfois, elle se réveillait au beau milieu de la nuit pour se rendre dans cette chambre. Elle disait que ces séances de méditation calmaient ses maux», raconte Ashok.
Selon ce dernier, c’est durant la même époque que Critika commence à tenir des propos insensés : «Elle me disait qu’elle voyait Dieu et qu’elle lui parlait. Cela m’agaçait. Un jour, j’ai confisqué la clé de la pièce où elle s’enfermait. Je pense que c’est pour cela qu’elle a quitté notre maison avec notre fils. Elle m’avait dit que cette maison n’était pas faite pour elle».
Durant ces trois dernières années, Ashok, qui la plupart du temps vit à Madagascar où il a un commerce de pièces de rechanges pour voitures, avoue avoir eu vent de la liaison de Critika avec Rajesh Dhayam, l’ex-cadre du MGI dont le corps a aussi été retrouvé parmi les dix cadavres et qui était porté manquant depuis le 6 août dernier.
«J’ai connu Rajesh Dhayam quand j’ai acheté tout le stock de sa quincaillerie à Quatre-Bornes en 2001. Par la suite, il m’appelait souvent pour me demander de venir le voir. Je pense qu’il est entré en contact avec Critika quand il téléphonait à la maison».
Le frère de Rajesh Dhayam, Jayechand, affirme être au courant que son frère voyait Critika : «Je ne la connaissais pas très bien mais je sais que mon frère la voyait souvent. C’était quelqu’un qui aimait sortir mais je ne crois pas qu’elle ait eu une mauvaise influence sur mon frère. Pour moi, elle était ‘correcte’. Il y a quelqu’un d’autre derrière tout cela».
Quant à Veena, l’ex-femme de Rajesh Dhayam, elle ignore si son mari voyait Critika: «Je ne suis pas au courant s’il voyait cette femme Critika ou s’il était adepte d’Eckankar. Je ne crois pas qu’il se soit suicidé ».
Critika a-t-elle empoisonné les neuf occupants de la maison avant de se donner la mort? Ont-ils accepté de se donner la mort volontairement. Y a-t-il eu une tierce personne qui les aurait empoisonnés ? Un mystère que la police tente de percer.
À hier soir, la police travaillait toujours sur deux hypothèses : le suicide collectif et l’acte criminel.
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Critika et Mayadevi avaient-elles une relation amoureuse ?
Les enquêteurs pensent que Critika, le présumé cerveau de la mort collective de St-Paul, et Mayadevi Jhowry - dont le corps et ceux de ses deux enfants étaient parmi les dix cadavres - avaient peut-être une relation amoureuse. Dans sa lettre d’aveu, Critika appelle Mayadevi «princess» et «honey». De leurs côtés, des proches de Mayadevi disent trouver «bizarre» que cette dernière passait son temps à parler de Critika et à la flatter. «C’était comme si elles étaient plus que de simples amies», dit l’un deux. Quand à l’époux de Mayadevi, Muneshwar, il soutient ne pas savoir si sa femme avait une relation amoureuse avec Critika mais avoue qu’elle passait son temps à téléphoner à cette dernière en cachette depuis qu’il lui avait défendu de la fréquenter.
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Un ‘traiteur’ montré du doigt
La MCIT et la CID d’Eau-Coulée ont appris durant leur enquête que Critika Mawooa avait contracté plusieurs emprunts de ses proches avant sa mort. Cet argent aurait, semble-t-il, été utilisé pour payer les services d’un ‘traiteur’. Ses services étaient destinés à soigner le « mal étrange» de Critika. Le nom de ce ‘traiteur’ n’est pas étranger aux enquêteurs. Il y a deux ans, il avait été interrogé dans le cadre de la mort d’une femme. Cette dernière, qui avait contracté plusieurs dettes elle aussi, avait été retrouvée brûlée vive. Nous avons rencontré le ‘traiteur’ mais il a nié : «Non pa mwa sa, mé koz toujours». La police soupçonne que les autres victimes de ce décès collectif avaient aussi été escroquées. Le jour de sa disparition, Rajesh Dhayam avait en sa possession un chèque de Rs 360 000 destiné à l’achat d’une voiture et qui a été encaissé auprès de la State Bank le 17 juin. Rajesh Dhayam a également emprunté une somme de Rs 350 000 de la CNT où il travaillait d’octobre 2003 jusqu’à mars dernier pour acheter une voiture.
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Un policier arrêté
Un policier affecté à la division de Moka a été arrêté hier après-midi. De source policière, nous avons appris qu’il aurait un lien avec le clerc de notaire Hervé Janvier. Le policier est soupçonné d’être impliqué dans la vente frauduleuse de terrains en complicité avec Hervé Janvier. Des documents ont été retrouvés en sa possession. Lors de son interrogatoire, il a avoué avoir déjà hébergé le clerc de notaire alors que ce dernier était porté disparu.
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Cyanure, poison violent
C’est confirmé. Les dix victimes retrouvées à St-Paul la semaine dernière ont bien été empoisonnées par du cyanure. Utilisé dans le domaine de la bijouterie, le cyanure est un poison violent qui peut provoquer une mort subite si on l’avale ou même si on le respire. La mort collective de St-Paul nous rappelle le suicide collectif en décembre 2000 de Bahim Coco, de son gendre, Reaz Jamaldeen, et d’Azad Nandoo, des membres de l’Escadron de la Mort.
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Un père surnommé ‘Hitler’
Critika a-t-elle été affectée par l’autorité qu’exerçait son père Deoduth sur sa mère Kountee ainsi que sur le reste de la famille ? Rumila et Madhevi, les deux sœurs de Critika, croient que cette possibilité n’est pas à écarter. « Nous appelions notre père ‘Le Dictateur’ parfois même ‘Hilter’. Nous n’avons jamais su ce qu’est l’amour d’un père. Il nous traitait avec sévérité et il était distant », dit Rumila Nursimuloo, née Mawooa. Est-ce que l’environnement familial sévère dans lequel a vécu Critika pendant son enfance peut avoir influé sur son comportement une fois adulte ? À cette question, la psychiatre Maryam Timol nous a fait la déclaration suivante : «Si, comme vous m’expliquez, son père était aussi autoritaire, je pense que Critika souffrait d’une carence d’affection, ce qui explique ses troubles de personnalité».
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Le Maya Beauty Parlour cache-t-il des secrets ?
Dans le salon d’esthétique de Mayadevi Jhowry à Trou aux Biches, son époux Muneshwar a retrouvé un cahier au nom d’une employée de Mayadevi. Dans ce cahier, le sujet étudié est intitulé ‘Spiritual Warrior II’. « Sexuality is a powerful force that we can use in constructive or destructive way (…) Someone who is not part of a loving relationship is ten times more likely to experience chronic diseases, and five times more likely to have a breakdown», peut-on lire. Un homme se présentant comme le fiancé de cette employée nous a déclaré que celle-ci n’avait rien à faire dans cette histoire.
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Les Dhayam envisagent de poursuivre la police
«Après les services de prière, nous verrons si nous allons poursuivre la police pour n’avoir pas considéré nos soupçons sur le lieu où se trouvait mon frère Rajesh », nous déclare Jayechand, le frère aîné de Rajesh Dhayam - l’amant de Critika-une des dix victimes de St-Paul. Il était porté manquant depuis le 6 août dernier. Après la disparition de cet ex-cadre du MGI, les Dhayam avaient informé la police que leur proche pouvait se trouver dans la maison de St-Paul. Un policier les avait alors accompagnés jusqu’à la maison, le 17 août dernier, soit 10 jours avant la découverte macabre, mais elle n’avait pas «jugé bon d’ouvrir la porte», selon eux. «Comme le rapport de l’autopsie indique que Rajesh est mort le 20 août, il était certainement encore en vie le 17 août dernier lorsque nous sommes allés là-bas avec la police. La police n’a pas bien fait son travail», soutient Jayechand. Sollicitée pour une réaction, une source du Police Press Office (PPO) nous a déclaré: «C’est trop facile pour la famille de mettre cela sur le dos de la police».
Textes : Nadine bernard, Michaëlla
Coosnapen et christophe karghoo