Gérard Garrioch et Rama Sithanen
Pour une fois, ils sont tous d’accord : l’économie va mal. D’ailleurs, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam l’ont souligné lors de leurs conférences de presse respectives la semaine dernière. Pour le premier, cette situation d’urgence est causée par des «bombes» qui viennent de l’extérieur alors que le second montre du doigt l’«amateurisme» du gouvernement. Gérard Garrioch, président de la ‘Mauritius Employers Federation’ (MEF), et Rama Sithanen, ancien ministre des Finances et responsable des dossiers économiques au PTr, nous donnent leur avis sur la situation économique.
Q : La situation économique semble être au plus mal. Est-ce votre avis?
Gérard Garrioch : La situation est grave mais pas désespérée. Parce que bien que certains secteurs-clés de notre économie soient menacés (sucre, textile principalement), il y a, d’une part, d’autres secteurs qui marchent (industries locales, tourisme, services financiers) et d’autre part, il y a au sein des secteurs menacés des entreprises qui sont profitables. Il y a aussi des secteurs qui sont en train d’être développés, tel que celui des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).
Rama Sithanen : L‘économie est dans la merde depuis longtemps. Le gouvernement a tenté de cacher la vérité à la population. Pire, il falsifie les chiffres du chômage et de la dette publique. Mais les nouvelles sont tellement mauvaises que le PM a enfin dit la vérité. Il résume bien l’état de notre économie quand il dit que ‘la crise est sans précédent, que la situation est dramatique et qu’on est en état d’urgence économique’. Tous les indicateurs macroéconomiques sont mauvais, certains très mauvais.
Q : Quelles sont les raisons pour lesquelles l’économie mauricienne va si mal?
Gérard Garrioch : L’économie n’est pas dans une situation catastrophique car 4 à 5% de croissance est un chiffre que beaucoup de pays pourraient envier par les temps qui courent. Par contre, le problème le plus difficile reste la création d’emplois pour remplacer les pertes d’emplois occasionnées par les fermetures, principalement dans la Zone Franche Textile. Les principales raisons du ralentissement sont externes: AGOA (pas de dérogation pour le ‘third country fabric’ pour Maurice), menaces sur les prix du sucre, fin de l’Accord mulitifibre; donc, compétition ouverte sur nos principaux marchés avec les pays qui produisent à bas prix.
Rama Sithanen : Certes, on subit les effets des changements au niveau international mais il ne faut pas passer sous silence les ‘self inflicted wounds’ : l’échec de notre diplomatie économique à défendre nos intérêts vitaux dans le sucre et le textile. L’irresponsabilité et l’incompétence du gouvernement ont affecté nos chances de dérogation pour le ‘third country fabric’ dans le cadre de l’AGOA. On a tué la consommation avec l’augmentation de 50 % de la TVA. L’investissement recule. La confusion dans le processus décisionnel envoie de mauvais signaux. Il y les mauvaises décisions avec la taxe punitive dans le tourisme et les tergiversations dans la libéralisation du secteur de la télécommunication.
Q : Qu’est ce qui devrait être fait pour améliorer la présente situation ?
Gérard Garrioch : Il y a deux solutions au problème: premièrement, une à court terme pour trouver un emploi alternatif à ces centaines de personnes qui perdent leur emploi, ce qui est un drame humain, et, deuxièmement, une à long terme pour remplacer progressivement les secteurs où nous ne pouvons plus être compétitifs par d’autres activités telles que le Knowledge Hub, le Seafood Hub, les TIC, et le Business Process Outsourcing. Pour le court terme, tout doit être mis en oeuvre pour faciliter la création d’entreprises et d’emplois de même que rapprocher les demandeurs d’emplois et les employeurs qui cherchent du personnel. Ensuite, il faut multiplier par dix l’offre de formation adaptée aux licenciés, leur permettant de retrouver de l’emploi dans d’autres secteurs.
Rama Sithanen : Il faut relancer l’investissement qui est le moteur de la croissance, renverser certaines décisions stupides comme la taxe sur les touristes, débloquer la situation au niveau du ‘air access’ et de la télécommunication, implémenter des décisions qui dorment dans les tiroirs au niveau de la zone franche, redoubler nos efforts diplomatiques pour limiter les dégâts au niveau international. Il faut aussi réorienter notre politique économique afin d’assurer une croissance forte et soutenue qui est indispensable pour endiguer le chômage. Au niveau politique, il faut stopper le climat de ‘doom et gloom’ qui s’est installé dans le pays et redonner confiance et espoir à la population. Il faut des élections au plus vite pour sortir le pays de l’intensive care unit’.