Emmy et Jean-François, les amoureux morts dans l’explosion qui a ravagé le resto-bar Maï Taï
Jamais l’un sans l’autre. Jean-François Lew Yee Teen, 26 ans, et Emmy Ng Yeung, 24 ans, songeaient à s’unir pour le meilleur et pour le pire; leur mariage était prévu pour 2005. Le pire revêtu des traits d’une explosion le dimanche 25 juillet à 01h45 - inexpliquée à jeudi - les a fauchés mortellement dans le resto-bar Maï Taï à Grand-Baie.
La déflagration a détruit le Grand-bay Store qui abritait le resto-bar. Deux visages tuméfiés. Deux corps meurtris par des fragments de béton. Deux victimes mais un seul amour.
12h30, mercredi dernier à la maison funéraire Kit Lock, Port-Louis. Emmy, tête recouverte d’un bandage, est vêtue d’un haut beige à manches longues, les mains jointes sur le ventre jusqu’au drap en satin blanc qui recouvre le reste de son corps.
Dans un autre compartiment de la maison mortuaire, à côté, Jean-François est tout aussi élégamment vêtu. Il porte une veste noire, un pantalon assorti, une chemise blanche et porte une cravate couleur vin à rayures or. L’expression de souffrance se lit sur leurs visages.
Ce tableau de tristesse contraste avec la photo d’un couple heureux exposée devant les offrandes et les bâtons d’encens sur une table à l’entrée de chacune des deux pièces. Jean-François et Emmy sont souriants sur la photo et semblent accueillir les sympathisants venus leur rendre un dernier hommage. Un bonheur qu’ils envisageaient de couronner par les liens du mariage.
Des parents inconsolables
À la rue Labourdonnais à Port-Louis, Denise ne peut supporter le poids de cette double perte. Elle n’arrive pas à comprendre comment «Bondié» a pu lui enlever sa fille unique et le petit-ami de celle-ci qu’elle considérait comme son troisième fils (elle est mère de Ronny, 21 ans, et d’Eric, 18 ans). «Ène sel tifi ti éna, line allé. Bondié ine pran ziste zot deux-là tousel», dit-elle en sanglots.
Trente minutes après que Jean-François fut passé prendre Emmy ce triste soir, la jeune femme a appelé chez elle. «Tout korek lacaz», a-t-elle demandé à son frère. C’était la dernière fois que Ronny a entendu la voix de sa soeur.
Denise et Roland, les parents, décrivent leur fille comme une enfant douce : «Dépi tou létan, li ti kontan occupe so deux frères. Ti éne deuxième maman pou so deux frères». Le père poursuit : «Li ti joviale», kontan aide so prochain, donne bon l’idée».
Le même désarroi est ressenti à Coromandel à la rue Roses. Des lettres en or peintes sur un papier rouge, symbole de deuil dans la communauté chinoise, collé sur la porte d’entrée, indique que la famille a perdu un des siens. Jean-Noël, le père de Jean-François, écrasé sous le poids de la douleur, ne désire pas témoigner : «Respectez notre douleur. On n’était pas là quand cela s’est produit.» Jean-François était le seul fils de la famille.
Jean-François et Emmy, c’était une grande histoire d’amour. Quatre ans depuis que les deux se connaissaient. Une passion qui est née sous les couleurs des vacances à l’hôtel Coco Beach. Depuis, l’un n’existait pas sans l’autre, et ils étaient complices jusqu’à la mort. «Ils s’aimaient ces deux-là. Jean-François venait régulièrement
à la maison», nous confie le père d’Emmy.
Contrairement à sa femme, cet homme proche de la cinquantaine, se montre fort malgré ses problèmes de santé. Il dissimule son chagrin pour soutenir sa femme Denise. Il ne flanche pas. Devant l’explosion de souffrance de leur mère, Ronny et Eric, ses deux fils, se relaient pour la réconforter. «Arrêté ma, arrête ploré», lui demande Ronny, le cadet.
Les souvenirs. Chaque recoin de la maison renvoie à Emmy. Dans une pièce à côté, les aboiements d’un chien se font entendre. «Dépi lontan Emmy ti pé rode ène lichien. Finalement, line acheté ène dépi mois octobre dernier et line appelle li ‘Cookie’. Li ti bien occupe li.», confie Denise. Les larmes emplissent à nouveau les yeux de sa mère lorsque son regard croise le dessin du chien posé sur un argentier au fond du salon. Emmy était une passionnée de dessin. Renu Bhajoo, amie de la famille et ex-enseignante d’Emmy à l’école maternelle, a été témoin de la naissance de cet amour pour les pinceaux et les crayons de couleur : «Depuis la maternelle, elle aimait bien dessiner.»
Les amoureux du groupe
Malgré ce goût pour la peinture, Emmy, ancienne étudiante du collège BPS, avait choisi une carrière de comptable. Elle travaillait pour le compte de l’hypermarché Super U à Grand-Baie. Voulant progresser, elle prenait des cours à distance en comptabilité. Pour ce qui est de Jean-François, il aidait son père dans son commerce. Lui aussi prenait des cours à distance d’une université en Angleterre mais dans le domaine de la gestion. Les amis étaient une deuxième famille pour Jean-François et sa petite amie. Ensemble, ils formaient la bande des sept : Ah Kong Sung Wong Ten Fa (plus connu sous le sobriquet de Kenny), Wendy Keem Lim Wan Sew, 24 ans, Kenny Wong Leng Cheng, 26 ans , Kevin Lim, 25 ans et Denis Lee Keng Chong , 26 ans. Une amitié née sur les bancs des cours particuliers chez le professeur de langue anglaise, près du Champ-de-Mars à Port-Louis.
Jean-François, qui fréquentait le collège du St.-Esprit, était le farceur du groupe, Emmy, l’oreille attentive. Une bande de joyeux lurons pour laquelle l’amitié avait une grande importance. «Nous faisions de notre mieux pour que le groupe reste uni», avoue Kevin Lim, 26 ans. «Nous avions même prévu de passer des vacances en Europe au mois de novembre prochain», explique Denis, un autre des rescapés.
Depuis, le groupe multipliait rencontre sur rencontre chaque semaine pour décompresser du stress du boulot. Ainsi, chaque mercredi au club, c’était la revanche des raquettes de badminton au centre sportif Saint-James à Port-Louis. Jean-François et Emmy faisaient toujours équipe pour affronter Kevin et sa petite amie Anabelle. «Jean-François jouait à chaque fois pour prendre sa revanche mais perdait toujours. C’était pour nous des bons moments où nous nous rencontrions», raconte Kevin. Il n’a eu que quelques égratignures sur les bras et les jambes.
De plus, une prochaine sortie avait été planifiée pour ce week-end par la bande d’amis : ‘Harry Potter 3’ au cinéma. Emmy voulait ensuite se rendre au parc de Chamarel, Kenny Wong, l’autre membre de la bande d’amis, se souvient aussi : «Nu ti kontan pran plaisir are sa deux-la (Jean-François et Emmy, ndlr). À chaque fwa, nu ti deman zot kan zot pu marié.» Il s’en est sorti, lui, avec une fracture à l’une des côtes droites.
Cette soirée a été la dernière pour les sept de se retrouver autour d’un pot. L’image d’un couple amoureux jusqu’à la mort restera gravée éternellement dans la mémoire des cinq.
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Jean-François et Emmy pour toujours
L’amour au-delà la mort. C’est le sentiment que partagent parents, amis et étrangers venus rendre un ultime hommage jeudi dernier au couple amoureux ayant péri dans l’explosion de Grand-Baie Store. Corbillard blanc orné de fleurs blanches, signe de pureté, pour Emmy. Corbillard noir paré de couronnes et de bouquets de la même couleur pour Jean-François. Comme une cérémonie de mariage, Jean-François précède Emmy vers la cathédrale. Pas de mariage mais une bénédiction des dépouilles avant d’être inhumés au cimetière Bois-Marchand. 12h30, jeudi dernier devant la maison mortuaire Kit Lock, la rue est noire de monde. «With or without you», une chanson du groupe U2, une des chansons préférées du couple, résonne dans l’église alors que les deux cercueils sont conduits vers l’autel. Kevin Lee, un autre membre de la bande d’amis des deux fiancés a fait le déplacement du Canada pour venir faire un dernier «au revoir» à ses deux potes, entonne la chanson. Parmi les personnalités présentes aux funérailles on pouvait remarquer le ministre Emmanuel Leung Shing, le leader de l’Opposition, le député Madan Dulloo et l’acteur français Alain Delon. «Je ne peux pas faire de déclaration en ce moment solennel», nous a répondu Navin Ramgoolam, sollicité pour une déclaration. Quant à Madan Dulloo, il a dit qu’il «est triste pour les familles d’Emmy et de Jean-François.» «C’est un vrai drame», nous a déclaré pour sa part, le député du MMM Françoise Labelle.
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Les rescapés : «Nu fine ressenti ène chaleur et tan boum»
Chaque débris est scrupuleusement analysé. Aucun indice ne doit être écarté. Maurice veut connaître les causes de l’explosion qui a coûté la vie aux jeunes amoureux Jean-François Lew Yee Teen et Emmy Ng Yeung. Les dépositions de ceux qui ont été affectés par cette explosion se succèdent. Une ‘Assistant Legal Advisor’ du FBI, Marilyn Williams, est venue prêter main- forte aux enquêteurs pour connaître la cause de l’explosion. Discrétion sur l’évolution de l’enquête. «Sorry, I’m not authorized to make any statement», nous déclare l’enquêteuse américaine. Deux experts américains du FBI sont aussi arrivés à Maurice, hier. Aucun élément avant-coureur avant le drame. Les blessés Kevin, Denis, Wendy et Kenny racontent qu’ils ont entendu «deux boums» puis ils ont senti «ène chaleur» Cela se serait produit alors que le barman, San Soogendra, du resto-bar Mai Tai baissait les rideaux de fer. «Ti éna environ deux boums. Létan mo senti ène chaleur mo barre mo lizié, mo tan ène bane sons couma pétard ler là», raconte Kevin. Ils étaient alors assis sur la terrasse du resto-bar qui faisait face à la rue. Quand ils ouvrent les yeux, le désastre s’offre à eux. Interrogé, un expert en gaz ménager nous a confié que cette «chaleur» peut provenir d’autres sources qu’une explosion de gaz. Selon une source au sein de la police, les enquêteurs affichent la prudence sur l’origine de l’explosion. Il n’y a pas eu d’incendie à la suite de l’explosion, ce qui les intrigue. «Il nous faut des preuves», avance un des enquêteurs au sujet d’une possible connexion entre une fuite de gaz et la déflagration du bâtiment abritant le supermarché Grand-Bay Store. Pour l’instant, ils ne sont qu’au stade de la recherche de preuves : «Nous venons de
pénétrer dans le bâtiment en ruine (à vendredi dernier). Nous sommes encore à la recherche d’indices. L’enquête risque de prendre plusieurs jours. Toutefois, au premier étage du bâtiment peut se trouver la source de l’explosion et une partie est considérée à risque, elle peut céder à tout moment», confie l’enquêteur. Silence radio, également du côté des assureurs : «Il faut attendre la fin de l’enquête.» En se rendant sur les lieux du sinistre le jour même du drame, le PM, Paul Bérenger avait fait la déclaration suivante: «Keep cool. La situation est sous contrôle».
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Le gaz montré du doigt
«Preliminary enquiry suggests cooking gas leak as the origin of the blast», fait état un communiqué du ministère du Tourisme en date du 26 juillet 2004. S’en suivra une polémique. Benoît Ducray, le propriétaire de ‘La Langouste Grisée’ - un restaurant se trouvant au premier étage de Grand-Bay Store - nie toute responsabilité face à l’hypothèse que son restaurant pourrait être la source d’émanations de gaz ou de fuites de gaz qui serait la cause de l’explosion. Il s’est refusé à tout commentaire. Dans sa déposition à la police, il a déclaré qu’il a respecté les normes de sécurité en ce qu’il s’agit de l’utilisation des gaz ménagers dans les cuisines de son restaurant. Du côté du Police Press Office, concernant l’enquête en cours, on nous affirme qu’aucun rapport, pas même préliminaire, n’a été soumis et on souligne «que les enquêteurs travaillent d’arrache- pied. On ne peut annoncer la date qu’il sera soumis.»
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Grand-Baie, une semaine après
Depuis l’accident, lorsque Grand-Baie s’est réveillé sous la poussière de béton, le village reprend son rythme habituel. «C’est impressionnant ce qui s’est passé mais on ne va pas fuir Maurice pour autant», nous dit Serge de l’île de la Réunion. Il est en vacances avec sa femme Annie. Les commerçants à proximité de Grand-bay Store, se remettent aussi du choc de l’explosion à l’instar de Jackson Leng, propriétaire d’un magasin de souvenirs, le ‘Sea horse Shop’, qui s’active à remettre en état son magasin : «On a essayé de faire le maximum», nous dit-il.
Par Nadine Bernard et Christophe Karghoo