Sandra O’Reilly
Elle a croisé le regard de ses agresseurs, elle les a regardés fixement l’un après l’autre dans les yeux et elle s’est dit «victoire». C’est ce que nous déclare une Sandra O’Reilly, satisfaite et soulagée après que ses agresseurs ont été condamnés à la peine maximale vendredi dernier. Trois de ses violeurs (Joson, Potage, Jagai) ont écopé chacun de 8 ans de prison alors que Ravi Aubeeluck, poursuivi également pour sodomie, s’est vu infliger une peine de 13 ans de prison.
Que pensez-vous de cette sentence ?
Je suis satisfaite, mais j’avais espéré que le premier homme qui était entré chez moi (NDLR Potage) allait aussi prendre cinq ans supplémentaires car j’ai été sodomisée par lui aussi et non seulement par l’accusé No 3. Je ne comprends pas comment l’avocat de la poursuite n’a pas pris cela en ligne de compte. Je trouve que ce n’est pas juste, d’autant plus que le deuxième homme qui était entré chez moi (Joson) avait essayé de le dissuader de me sodomiser en lui disant de ne pas faire «cosson». Alors que je suis une victime dans cette affaire, j’ai l’impression qu’on m’a traitée comme un témoin.
Avez-vous l’impression d’être libérée après la condamnation de vos agresseurs ?
Oui, libérée d’un grand poids. J’ai été heureuse d’entendre ce que le magistrat a dit. Je ne pouvais pas espérer qu’il y aurait une prise de conscience à ce niveau-là.
Vous avez, la semaine dernière, refusé les excuses de vos violeurs. Avez -vous changé d’avis depuis ?
Pas du tout. Je ne peux pas excuser cet acte. C’est un acte odieux, d’autant plus qu’ils étaient tout à fait conscients de ce qu’ils faisaient. En plus, je leur avais donné toutes les possibilités de se rétracter, à travers mes supplications et mes pleurs. Je pensais, à ce moment-là, avoir affaire à des êtres humains, mais j’ai eu affaire à des êtres qui n’avaient pas de conscience. Je peux excuser une personne qui a une conscience, mais je ne peux rien faire pour quelqu’un qui n’en a pas.
Vous avez été confrontée une deuxième fois à vos violeurs aujourd’hui en Cour. Quels sont les sentiments que vous avez éprouvés en vous trouvant face à eux ?
Je les ai regardés fixement dans les yeux l’un après l’autre, j’ai croisé le regard de chacun d’entre eux et je me disais en moi-même : «Victoire». Aujourd’hui, la roue a tourné. Lorsque j’étais avec eux, c’était eux qui avaient le pouvoir. Aujourd’hui, je les ai regardés en me disant que j’ai réussi.
Avant vous, rarement avait-on vu une victime de viol aussi déterminée à retrouver les coupables. D’où avez-vous puisé cet esprit combatif ?
J’étais tellement proche de la mort et tellement heureuse de rester en vie. J’étais tellement horrifiée de ce qui m’était arrivé; j’étais humiliée à un tel point qu’il n’y avait aucune once d’orgueil en moi. Je n’avais rien à perdre. Il fallait que justice fût rendue et que ces gens fussent jugés pour ce qu’ils avaient fait.
Suite à ce que vous avez subi, il y a eu comme une prise de conscience par rapport au viol. On a l’exemple du soutien que vous avez reçu lors de la marche. Pensez-vous qu’il y a eu cette même prise de conscience parmi les autorités ?
En tant que victime, j’estime que huit ans ne suffisent pas. Mais je parle en tant que victime, et sachant quelle est l’horreur de ce crime, j’estime que les accusés méritent plus que huit ans. Mais je suis obligée de reconnaître que huit ans, c’est beaucoup dans la vie de quelqu’un. Donc, je me console ; mais cela dit, ce n’est pas une simple rancune. Il faut que ce qui s’est passé serve d’exemple et que les violeurs prennent conscience de l’horreur de ce crime afin qu’ils ne le commettent pas à nouveau. Car j’ai été choquée de voir qu’il n’y a aucun repenti parmi les accusés. Il faut qu’ils prennent conscience ; il faut que quelqu’un les raisonne et leur explique la gravité de cet acte. C’est pour cela que je dis que cela ne m’intéresse pas, en tant que victime, de voir mon agresseur purger sa peine et s’en sortir des années plus tard s’il n’a pas compris que ce qu’il avait fait est très grave. J’espère qu’en prison, il y a un suivi psychologique pour ce genre de personnes.
Et maintenant que vos agresseurs sont sous les verrous, comment s’annonce l’avenir ?
Je me sens plus légère. C’est comme une petite fenêtre qui est en train de s’ouvrir.
Plusieurs personnes ayant subi ce genre de traumatisme se mettent ensuite à écrire. Pensez-vous faire la même chose ?
Oui, je pense que je vais me mettre à l’écriture. J’attendais que tout fût terminé pour y songer sérieusement. Peut-être que je m’y mettrai ce soir. Je pense témoigner pour faire part de ce que j’ai vécu, faire comprendre l’horreur de ce crime et me solidariser avec les autres victimes et leur dire aussi qu’on peut en ressortir victorieux.
Il y a aussi eu l’évocation d’une association pour les victimes de viol. Où en est-on ? C’est vrai qu’on m’a approchée pour que je sois présidente d’une association, mais ce n’est pas le fait d’être présidente qui m’intéresse, c’est surtout de pouvoir contribuer si on a besoin de mon aide.
Vous êtes mère de trois enfants. Sont-ils au courant de ce qui vous est arrivé ?
Je ne leur ai rien caché. Ils savent ce qui m’est arrivé dès le début. Cela n’a pas été facile de leur expliquer, mais à partir de cette démarche, tout a été tellement plus simple. C’est comme un miracle. Comme pour moi, il est important pour mes enfants que ces gens-là soient emprisonnés.