Mes Gulbul et Bhuckory
Les avis sont partagés sur la question des allégations dans des affaires de drogue. L’on sait que le récidiviste Kumar Hazareesingh a dénoncé Lise Coindreau dans une affaire de drogue. Ce ne sont là que des allégations. Mes Raouf Gulbul, criminaliste, et Me Sanjay Bhuckory, président du ‘Bar Council’ et conférencier en droit pénal au ‘Council of Legal Education’, apportent leur lecture sur ce chapitre.
Q : Quelle est la valeur légale d’une allégation dans une affaire de drogue ?
Me Raouf Gulbul : Quand quelqu’un porte des accusations contre une autre personne, c’est une allégation. À défaut de preuves, d’aveux des accusés ou de preuves scientifiques, la poursuite utilise cette méthode pour prouver son ‘case’ en Cour contre celui qui a été dénoncé. C’est une méthode qui a des conséquences dangereuses, car cela peut amener à l’incarcération d’un innocent. C’est un État d’urgence en permanence, parce que personne n’est à l’abri d’une allégation. Sa valeur légale est celle-ci : le magistrat juge si la personne qui fait des allégations est crédible et s’il peut se baser sur ce témoignage uniquement, alors il peut trouver l’accusé coupable, en l’absence de preuves scientifiques et de témoins oculaires.
Sanjay Bhuckory : En droit, la preuve testimoniale suffit. En d’autres mots, si quelqu’un a fait une allégation contre une personne, la police peut procéder à l’arrestation de cette dernière. Mais, afin d’éviter tout abus, la police ne doit surtout pas se cantonner à une simple allégation verbale, et doit la contre-vérifier par des preuves tangibles. Donc, si cette allégation est corroborée par d’autres éléments qui soutiennent les dires du dénonciateur, cela donnerait une force probante au témoignage du dénonciateur devant un tribunal. Dans le milieu de la drogue, c’est la loi du silence qui prévaut et pour pouvoir lever le voile, il faut nécessairement quelqu’un de l’intérieur pour briser l’omerta.
Q : La police peut-elle se contenter, dans des cas de drogue, d’une allégation pour procéder à une arrestation ?
Me Raouf Gulbul : C’est ce que fait généralement la police et c’est mauvais. J’ai vu des cas de drogue où ceux arrêtés font des allégations contre une personne qui est interpellée. Mais, à l’appel de l’affaire, ils se rétractent, non sans avoir extorqué de l’argent à celui qu’ils ont mis en accusation, quitte à payer une amende ou à purger une peine pour parjure. C’est un vrai calvaire pour celui qui passe par ces moments-là. En tant que légiste, je préfère voir dix coupables en liberté qu’un innocent derrière les barreaux.
Me Sanjay Bhuckory : En principe oui, mais la police devrait prendre beaucoup de précautions dans des affaires entraînant des peines plus sévères, telles les affaires de drogue, où il pourrait par exemple y avoir la motivation de gains faciles de la part du dénonciateur. Ce dernier se rétracte presque toujours en Cour, quitte à purger une peine pour parjure. Pour lui, une petite peine d’emprisonnement n’est rien, en contrepartie du ‘deal’ qu’il a dû faire avec la personne qu’il a dénoncée. Il faut aussi faire ressortir, qu’en droit, si le dénonciateur a aussi participé dans l’offense en question, il devient le complice de celui qu’il a dénoncé, et son témoignage doit obligatoirement être corroboré par des preuves indépendantes.
Q : Faudrait-il revoir nos lois afin d’éviter tout abus sur la question d’allégations ?
Me Raouf Gulbul : Il n’y a pas de loi sur les allégations en tant que tel. La loi prévoit de prendre quelqu’un qui a été utilisé pour commanditer une offense comme un témoin potentiel. En droit, cette méthode est valable. Mais, il faut des preuves pour soutenir les allégations. En l’absence de preuves, l’arrestation est arbitraire.
Me Sanjay Bhuckory : Ce n’est pas la loi qui doit être revue, mais plutôt la façon dont la police utilise cette loi. La police et la cour ne devraient surtout pas se fier à une simple allégation pour inculper ou condamner une personne. Elles doivent impérativement chercher des éléments indépendants pour corroborer ces allégations. Sinon, on court le risque de nuire au droit fondamental et à la réputation du citoyen, qui aurait été injustement inculpé, incarcéré et poursuivi.