Jacques de Navacelle et Dan Maraye
Le litige qui oppose en Cour suprême une banque commerciale et la Commission anti-corruption (ICAC) remet à jour la question de confidentialité des comptes en banque des clients . Comme l’ICAC exige qu’elle y ait accès, Jacques de Navacelle, président de l’Association des banquiers, souhaite que la justice tranche la question une fois pour toutes. Dan Maraye, ancien Gouverneur de la Banque centrale, est d’un avis contraire, estimant que les lois existantes stipulent clairement quand la question de la confidentialité ne peut être appliquée.
Q : Les banques brandissent la Banking Act et le Code pénal pour ne pas divulguer des informations sur les comptes de leurs clients; l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) rétorque avec la Prevention Of Corruption Act (POCA) qui fait obligation à toute personne de lui fournir des informations à sa demande. Quelle est votre position sur la question ?
Jacques de Navacelle : On parle d’un sujet qui concerne toutes les banques, c’est-à-dire le fait de communiquer ou non une information à l’ICAC. Étant donné la différence d’interprétation de chaque banque, le mieux serait que la justice clarifie les choses, en nous disant si on a le droit de donner ces informations ou pas. Actuellement, il y a une banque qui pense qu’on doit donner des informations confidentielles sur les comptes de certains clients, une autre qui pense le contraire, l’ICAC qui estime qu’on est obligés, selon la POCA, de lui soumettre des informations à sa demande. On se retrouve dans une situation d’incertitude. Ni nous ni nos clients ne sommes en sécurité. Avant de donner toute information confidentielle, on veut être sûrs qu’on a le droit de le faire et que ce n’est pas en contradiction avec les règles des banques. L’Association des banques a écrit à la Banque centrale pour partager nos préoccupations. Il y a un cas particulier qui est en Cour actuellement et qui attend un jugement. Cette affaire peut faire jurisprudence.
Dan Maraye : Les banques ont raison de brandir l’article 39 de la Banking Act de 1988 pour ne pas divulguer des informations sur les comptes de leurs clients, car c’est bien sous cet article que le Banking Act traite la confidentialité des informations.Toutefois, il est bon de faire ressortir que l’article 39 contient 13 paragraphes et le paragraphe (2) de l’article 39 précise les 8 cas spécifiques où l’obligation de la confidentialité ne peut être appliquée. En vertu du paragraphe (2) (g) de l’article 39, l’ICAC est autorisée à ordonner une banque de fournir toute information requise sous la ‘Prevention of Corruption Act de 2002’. Nous sommes dans un état de droit, donc toute institution responsable doit agir en tant que ‘good corporate citizen’ pour éradiquer la fraude et la corruption sous toutes ses formes en toutes circonstances.
Q : Les banques sont très frileuses sur la question de confidentialité. En restant rigides et en refusant de donner des informations à l’ICAC, les responsables des institutions bancaires ne courent-ils pas le risque d’être perçus comme des complices de ceux sur lesquels l’ICAC mène enquête ?
Jacques de Navacelle : C’est un risque qui est réel. Dans certaines grosses affaires en Cour, les banques ont été accusées d’être des complices. Comment fait-on pour éviter une telle situation ? Il existe des procédures très rigides, à Maurice comme ailleurs, quand un client veut ouvrir un compte ou pour recevoir de l’argent sur son compte. Cela permet d’éliminer une grosse partie des risques. Quand un client ouvre un compte, on a des traces dix ans après, avec les possibilités électroniques. Si un client refuse de divulguer la provenance de son gros dépôt, on refuse son dépôt, et si une banque est permissive sur ce chapitre elle se rend coupable vis-à-vis de la Banque de Maurice. Une telle attitude peut être assimilée à du blanchiment d’argent, qui consiste à faire entrer dans le circuit de l’argent dont on ne connaît pas l’origine.
Dan Maraye : Le secteur bancaire a intérêt à porter une attention particulière à l’article 19, paragraphe (2) (b) de la Financial Intelligence and Money Laundering Act de 2002. Est-ce que le refus de la banque de se soumettre à la demande de l’ICAC et toute la publicité relative ne porte pas préjudice à cette affaire ? Ce serait un mauvais signal que donnera toute institution qui agirait de sorte à créer la mauvaise perception de complicité dans toute affaire de blanchiment de l’argent.
Q : La confidentialité est un contrat entre la banque et son client. Si la banque, sur ordre de la Cour, donne des informations d’un client, ne risque-t-elle pas de se faire traîner en justice par le client pour rupture de contrat ?
Jacques de Navacelle : La confidentialité est en dessous de la loi. Le contrat entre le client et nous est soumis à une loi du pays, qui a priorité. Les banques sont effectivement frileuses quand il s’agit de confidentialité. D’où l’importance si jamais l’information sur un client est transmise à l’ICAC, par exemple, il faut que toutes les chaînes où l’information va transiter respectent la confidentialité et que cette information ne puisse devenir du domaine public. Si la banque a donné des informations, sur ordre de la Cour, l’institution bancaire est tranquille. Le client ne peut légalement attaquer la banque, mais l’institution d’où est partie la fuite. En Suisse, par exemple, les banques sont dorénavant obligées de donner des informations liées à la fraude.
Dan Maraye : Les paragraphes (5) et (6) de l’article 39 de la Banking Act de 1988 stipulent clairement les circonstances selon lesquelles un ordre de la cour est requis pour avoir accès aux détails des transactions bancaires d’un client. Le secret bancaire ne peut être utilisé comme une tactique dilatoire car ce n’est certainement pas un ‘licence to kill’.
Q : Si la Cour maintient que la confidentialité des banques est sacro-sainte, quel recours l’ICAC a-t-elle si elle veut mener à bien ses recherches sur certaines richesses douteuses déposées en banque ?
Jacques de Navacelle : Si la Cour donne raison aux banques, il faudra alors que le gouvernement amende la loi de la POCA pour donner clairement cette autorité à l’ICAC. Le problème actuel est que l’ICAC pense qu’elle a le droit d’exiger des banques de lui ouvrir certains comptes, alors que la Banking Act ne permet pas une telle chose. Dans le monde entier, quand un gouvernement passe des lois, cela a une incidence sur les lois existantes, les rendant même caduques. L’aspect d’alignement n’est découvert que quand un problème se pose. En tant que banquier, je n’ai rien à reprocher à l’ICAC, ni à personne d’ailleurs, mais je demande que la règle soit clarifiée. Comme ça je peux dire à mes clients demain : sachez que la loi m’oblige à divulguer des informations sur certains comptes si l’ICAC nous le demande.
Dan Maraye : Ne mélangeons surtout pas la notion de la confidentialité et celle de la confiance. On ne peut passer à travers une porte, si étroite soit-elle, que s’il existe une volonté réelle de part et d’autre de ne pas la verrouiller. Or, on a l’impression que l’ICAC a la volonté de se servir d’une porte qu’il est d’usage de laisser soigneusement fermée par certains ! Le gouvernement a laissé comprendre qu’il compte apporter des amendements à la POCA afin de clarifier la situation sur le problème qui s’est posé entre une banque et l’ICAC. Je trouve que ce n’est pas un manque de législation qui fait défaut dans le combat contre la fraude et la corruption. Les lois existantes doivent être appliquées de sorte à ne pas créer une perception d’une justice à deux vitesses. La bataille contre la fraude et la corruption n’est certainement pas une course de 100 mètres, mais un marathon plein d’embûches.
Le litige qui oppose en Cour suprême une banque commerciale et la Commission anti-corruption (ICAC) remet à jour la question de confidentialité des comptes en banque des clients . Comme l’ICAC exige qu’elle y ait accès, Jacques de Navacelle, président de l’Association des banquiers, souhaite que la justice tranche la question une fois pour toutes. Dan Maraye, ancien Gouverneur de la Banque centrale, est d’un avis contraire, estimant que les lois existantes stipulent clairement quand la question de la confidentialité ne peut être appliquée.
Q : Les banques brandissent la Banking Act et le Code pénal pour ne pas divulguer des informations sur les comptes de leurs clients; l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) rétorque avec la Prevention Of Corruption Act (POCA) qui fait obligation à toute personne de lui fournir des informations à sa demande. Quelle est votre position sur la question ?
Jacques de Navacelle : On parle d’un sujet qui concerne toutes les banques, c’est-à-dire le fait de communiquer ou non une information à l’ICAC. Étant donné la différence d’interprétation de chaque banque, le mieux serait que la justice clarifie les choses, en nous disant si on a le droit de donner ces informations ou pas. Actuellement, il y a une banque qui pense qu’on doit donner des informations confidentielles sur les comptes de certains clients, une autre qui pense le contraire, l’ICAC qui estime qu’on est obligés, selon la POCA, de lui soumettre des informations à sa demande. On se retrouve dans une situation d’incertitude. Ni nous ni nos clients ne sommes en sécurité. Avant de donner toute information confidentielle, on veut être sûrs qu’on a le droit de le faire et que ce n’est pas en contradiction avec les règles des banques. L’Association des banques a écrit à la Banque centrale pour partager nos préoccupations. Il y a un cas particulier qui est en Cour actuellement et qui attend un jugement. Cette affaire peut faire jurisprudence.
Dan Maraye : Les banques ont raison de brandir l’article 39 de la Banking Act de 1988 pour ne pas divulguer des informations sur les comptes de leurs clients, car c’est bien sous cet article que le Banking Act traite la confidentialité des informations.Toutefois, il est bon de faire ressortir que l’article 39 contient 13 paragraphes et le paragraphe (2) de l’article 39 précise les 8 cas spécifiques où l’obligation de la confidentialité ne peut être appliquée. En vertu du paragraphe (2) (g) de l’article 39, l’ICAC est autorisée à ordonner une banque de fournir toute information requise sous la ‘Prevention of Corruption Act de 2002’. Nous sommes dans un état de droit, donc toute institution responsable doit agir en tant que ‘good corporate citizen’ pour éradiquer la fraude et la corruption sous toutes ses formes en toutes circonstances.
Q : Les banques sont très frileuses sur la question de confidentialité. En restant rigides et en refusant de donner des informations à l’ICAC, les responsables des institutions bancaires ne courent-ils pas le risque d’être perçus comme des complices de ceux sur lesquels l’ICAC mène enquête ?
Jacques de Navacelle : C’est un risque qui est réel. Dans certaines grosses affaires en Cour, les banques ont été accusées d’être des complices. Comment fait-on pour éviter une telle situation ? Il existe des procédures très rigides, à Maurice comme ailleurs, quand un client veut ouvrir un compte ou pour recevoir de l’argent sur son compte. Cela permet d’éliminer une grosse partie des risques. Quand un client ouvre un compte, on a des traces dix ans après, avec les possibilités électroniques. Si un client refuse de divulguer la provenance de son gros dépôt, on refuse son dépôt, et si une banque est permissive sur ce chapitre elle se rend coupable vis-à-vis de la Banque de Maurice. Une telle attitude peut être assimilée à du blanchiment d’argent, qui consiste à faire entrer dans le circuit de l’argent dont on ne connaît pas l’origine.
Dan Maraye : Le secteur bancaire a intérêt à porter une attention particulière à l’article 19, paragraphe (2) (b) de la Financial Intelligence and Money Laundering Act de 2002. Est-ce que le refus de la banque de se soumettre à la demande de l’ICAC et toute la publicité relative ne porte pas préjudice à cette affaire ? Ce serait un mauvais signal que donnera toute institution qui agirait de sorte à créer la mauvaise perception de complicité dans toute affaire de blanchiment de l’argent.
Q : La confidentialité est un contrat entre la banque et son client. Si la banque, sur ordre de la Cour, donne des informations d’un client, ne risque-t-elle pas de se faire traîner en justice par le client pour rupture de contrat ?
Jacques de Navacelle : La confidentialité est en dessous de la loi. Le contrat entre le client et nous est soumis à une loi du pays, qui a priorité. Les banques sont effectivement frileuses quand il s’agit de confidentialité. D’où l’importance si jamais l’information sur un client est transmise à l’ICAC, par exemple, il faut que toutes les chaînes où l’information va transiter respectent la confidentialité et que cette information ne puisse devenir du domaine public. Si la banque a donné des informations, sur ordre de la Cour, l’institution bancaire est tranquille. Le client ne peut légalement attaquer la banque, mais l’institution d’où est partie la fuite. En Suisse, par exemple, les banques sont dorénavant obligées de donner des informations liées à la fraude.
Dan Maraye : Les paragraphes (5) et (6) de l’article 39 de la Banking Act de 1988 stipulent clairement les circonstances selon lesquelles un ordre de la cour est requis pour avoir accès aux détails des transactions bancaires d’un client. Le secret bancaire ne peut être utilisé comme une tactique dilatoire car ce n’est certainement pas un ‘licence to kill’.
Q : Si la Cour maintient que la confidentialité des banques est sacro-sainte, quel recours l’ICAC a-t-elle si elle veut mener à bien ses recherches sur certaines richesses douteuses déposées en banque ?
Jacques de Navacelle : Si la Cour donne raison aux banques, il faudra alors que le gouvernement amende la loi de la POCA pour donner clairement cette autorité à l’ICAC. Le problème actuel est que l’ICAC pense qu’elle a le droit d’exiger des banques de lui ouvrir certains comptes, alors que la Banking Act ne permet pas une telle chose. Dans le monde entier, quand un gouvernement passe des lois, cela a une incidence sur les lois existantes, les rendant même caduques. L’aspect d’alignement n’est découvert que quand un problème se pose. En tant que banquier, je n’ai rien à reprocher à l’ICAC, ni à personne d’ailleurs, mais je demande que la règle soit clarifiée. Comme ça je peux dire à mes clients demain : sachez que la loi m’oblige à divulguer des informations sur certains comptes si l’ICAC nous le demande.
Dan Maraye : Ne mélangeons surtout pas la notion de la confidentialité et celle de la confiance. On ne peut passer à travers une porte, si étroite soit-elle, que s’il existe une volonté réelle de part et d’autre de ne pas la verrouiller. Or, on a l’impression que l’ICAC a la volonté de se servir d’une porte qu’il est d’usage de laisser soigneusement fermée par certains ! Le gouvernement a laissé comprendre qu’il compte apporter des amendements à la POCA afin de clarifier la situation sur le problème qui s’est posé entre une banque et l’ICAC. Je trouve que ce n’est pas un manque de législation qui fait défaut dans le combat contre la fraude et la corruption. Les lois existantes doivent être appliquées de sorte à ne pas créer une perception d’une justice à deux vitesses. La bataille contre la fraude et la corruption n’est certainement pas une course de 100 mètres, mais un marathon plein d’embûches.