“L’amour c’est la vie”: une des phrases écrites par Bruno Tadebois dans la lettre qu’il a glissée dans le cercueil de Nadine Dantier le jour des funérailles. Les parents de la victime -sur la photo avec son petit ami au temps du bonheur - pensent que cette lettre apporterait des indices susceptibles “d’éclairer l’enquête policière”
Sérénité et tristesse. Ce sont les sentiments qui animent Bruno Tadebois, le petit ami de Nadine Dantier. Cette dernière fut agressée sexuellement et assassinée le mercredi 25 juin 2003 à Albion. « Déterrez le corps de Nadine si c’est pour éliminer tout doute sur moi », dit-il.
Bruno n’entamera aucune action pour empêcher les parents de Nadine de lire la lettre qu’il avait glissée dans le cercueil de Nadine : « Je ne m’y opposerai pas même si mes convictions religieuses (il est de foi catholique, ndlr) me dictent qu’il faut avoir beaucoup de respect pour la dépouille. Je suis surpris et aussi triste de constater - après toutes ces années durant lesquelles Nadine et moi nous nous sommes fréquentés, qu’ils arrivent maintenant me soupçonner. »
C’est pour prendre connaissance du contenu de la lettre de Bruno que la mère de Nadine Dantier demande une exhumation à travers un affidavit juré en Cour suprême. “J’aimerai avoir le coeur net », dit-elle.
La maman et le beau-père de Nadine Dantier veulent également qu’une contre-autopsie soit faite. Face à cette demande d’exhumation, Bruno, “attristé”, avoue qu’il n’objectera pas à cette démarche. Il se dit innocent dans cette affaire.
Nadine, dit-il, était tout pour lui. Des meurtriers embusqués aux abords d’un terrain vague lui ont volé, se lamente-t-il, ce bonheur.
“Choc”, “déception” et “peine” tourmentent Bruno depuis qu’il a appris la démarche des Dantier : « Je suis habitué à l’idée que je sois soupçonné. C’est un peu logique vu que je suis la dernière personne à avoir vu Nadine et lui parler . »
Lettre mystérieuse
Les parents de Nadine veulent, eux, dissiper les doutes, étant donné, disent-ils, dans leur affidavit, que “Bruno soit resté évasif sur nos questions quelques jours après l’enterrement. » Caroline poursuit : “Il y a des questions auxquelles nous aimerions avoir des réponses. Malheureusement, il faut exhumer ma fille pour cela. Je pense que la lettre pourrait aider à éclaircir l’enquête policière.»
Dans son affidavit, pour la rédaction duquel les services de l’avocat Kishore Peertab et l’avoué Saya Ragavoodoo ont été retenus par la famille, Caroline et son second époux expliquent que “quelques minutes avant que le cercueil ne soit scellé, Bruno avait demandé de rester seul avec la dépouille de Nadine. Nous avions accepté. Après quelques minutes, quand nous sommes revenus, nous avions remarqué que Bruno avait placé une photo de lui et un papier enfermé dans un sac en plastique dans le cercueil. À ce moment, nous étions tellement abattus, en colère et en proie à la souffrance que nous n’avions pas vérifié ce qu’il avait mis dans le cercueil.”
Le scénario de cet adieu se serait passé différemment selon Bruno. “Les proches de Nadine m’ont demandé si je voulais rester quelques minutes avec le corps, j’ai répondu ‘oui’. Après m’être recueilli, j’ai déposé la lettre, une prière de Notre- Dame de Lourdes que j’avais ramenée d’un voyage en France et une photo passeport de moi”, soutient-il.
Mais que contenait cette lettre si mystérieuse? D’après Bruno, c’était une prière qu’il a adressée à Dieu. Quand il a appris que sa Nadine n’était pas rentrée après qu’il l’eut laissée dans l’autobus en partance pour Albion, il a décidé de se confier à Dieu pour “se soulager de l’angoisse de cette disparition”.
“Dieu, aide-moi”
La lettre de trois pages a, selon lui, été écrite en deux parties. L’une, lorsque les recherches étaient entreprises pour retrouver cette jeune étudiante de l’université de Maurice qui devait être rentrée chez elle aux alentours de 18h00 : “Comme Nadine et moi avions l’habitude de nous écrire des lettres d’amour, j’avais décidé de lui en écrire une cette nuit-là, aussitôt rentré à la maison vers 01h30 après les recherches”.
Selon ses dires, il avait écrit des mots tendres pour Nadine, mêlés d’inquiétude sur sa disparition à l’adresse de Dieu sur le papier placé dans le cercueil : « Je ne me rappelle pas trop de la tournure des phrases mais je sais que j’ai demandé à Dieu de me faire retrouver Nadine. Il y avait aussi cette phrase ‘ L’amour c’est la vie’ pour lui dire combien je l’aime. »
L’espoir avait laissé la place à la souffrance le jour de la découverte du cadavre de la jeune femme : « Le lendemain de sa disparition, j’ai été à la CID de Rose-Hill pour rencontrer l’enquêteur Gian Unmar. Après que j’eus fait ma déposition, le policier m’a demandé de l’accompagner pour une battue à Albion. Pendant que je suis parti récupérer un vêtement de Nadine chez elle pour le chien renifleur, les policiers ont retrouvé son corps à environ une centaine de mètres de sa maison. Tout le monde a fondu en larmes. J’avais gardé espoir qu’elle soit toujours en vie, qu’elle eût fugué. » C’est après la découverte du corps que Bruno aurait complété l’autre partie de la lettre, avec toujours le mot Dieu présent sur certaines lignes.
Le père biologique s’oppose
Le lendemain, pour les funérailles, Bruno maintient qu’il est arrivé chez les Dantier aux alentours de 12h15 et non à 15h00 comme les parents de Nadine le mentionnent dans leur affidavit : « Je devais faire des démarches pour trouver une chorale pour la cérémonie funèbre. Je voulais également avoir les drapeaux de nos collèges (Nadine fréquentait le BPS tandis que Bruno était au Saint-Joseph, ndlr) réunsi sur le cercueil. »
Déterminés à récupérer cette lettre, les parents ont eu recours à l’Intermediate Court Act’ qui fait provision pour l’exhumation. Ainsi une exhumation (voir hors-texte sur cette exhumation plus loin) est autorisée pour une contre-autopsie dans des cas extrêmes. La décision du magistrat du tribunal de Moka sera connue jeudi prochain. « Je me demande pourquoi le Parquet fait autant de difficultés pour l’exhumation de Nadine. Il semble que la police n’est pas intéressée à faire la lumière sur cette affaire. Nous voulons simplement récupérer cette lettre », avoue Yvon.
Au cas ou la Cour de Moka accède à la demande des Dantier, Bruno affirme qu’il « n’entreprendra aucune action en Cour pour contester cette décision » contrairement à Gino Trouba, le père biologique de Nadine. « Je vis dans la réalité. Je sais que Caroline est abattue mais ce n’est pas une raison pour déterrer le corps de ma fille. Je me vais me battre contre cette décision. Nadine est morte, qu’on la laisse en paix. Je ne crois pas que Bruno soit le meurtrier de Nadine. » Bruno clame : « Je ne me suis mêlé ni de façon directe ni indirecte au meurtre de Nadine. Nous avions prévu de nous marier. Une date pour les fiançailles avait même été choisie : le 15 août 2005. »
Le dernier « Je t’aime»
Les relations ont commencé à se détériorer entre la famille Dantier et Bruno après l’arrestation du suspect Marcelin Azie qui avait avoué être l’un des assassins de Nadine avant de se rétracter deux jours après. Selon une source policière, les Dantier n’auraient pas apprécié le compte-rendu des dépositions de Bruno sur certains événements familiaux. « J’ai dit certaines vérités que la famille n’a pas appréciées », dit Bruno. Interrogée à ce sujet, Caroline n’a pas voulu faire de commentaires : « Je préfère ne pas commenter sur nos relations. »
Exhumation ou pas ? La police mène toujours son enquête sur cet assassinat, connu désormais comme l’affaire Dantier pour retrouver un deuxième suspect, d’après le rapport sur les résultats des tests ADN effectués sur la victime. À ce jour, plus d’une dizaine de suspects, dont Bruno et Yvon, le beau-père, ont été soumis à des tests ADN. Dans le cas de Bruno, les résultats sont négatifs. Pour ce qui est d’Yvon et des autres suspects – ceux de Marcelin Azie sont connus dans un rapport préliminaire que la police garde jalousement – le laboratoire sud-africain n’a rien dévoilé jusqu’à présent.
En sus du soutien de ses parents, Bruno puise son réconfort dans les souvenirs des derniers moments passés avec Nadine : leur dernier repas pris dans un fast-food à Quatre-Bornes avant qu’il ne la reconduise à mi-chemin jusqu’`a Albion : « D’habitude, je la dépose en voiture jusqu’à Albion. La veille de son assassinat je l’avais fait, mais comme la voiture était avec mon père ce jour-là, je l’avais raccompagnée sur une partie du voyage en autobus. »
En descendant de l’autobus, Bruno confie qu’il avait pris son téléphone pour appeler Nadine : « Je suis descendu à Roches-Brunes. Cinq minutes après, je l’ai appelée. Je lui ai renouvelé mon amour et elle m’a répondu ‘Je t’aime’». Une parole gravée à jamais dans son cœur et sur la lettre que veulent récupérer les parents de Nadine.
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Le passé exhume ses cas
La demande d’exhumation de Nadine Dantier n’est pas la première du genre Maurice. Le cas Eddy Labrosse, victime de brutalité policière alléguée dans les années 90, avait fait grand bruit à l’époque. Pour connaître les causes exactes de sa mort, ses proches avaient demandé son exhumation. Les brûlés vifs dans l’affaire Bacha avaient eux aussi été déterrés. C’était en 1994. En 1996, le triple meurtre de la rue Goarh Issac choqua la population. Dans la confusion, les corps de Zulfekar Bheeky et de Osman Bheeky furent dérobés de la morgue et enterrés avant même d’avoir été autopsiés. Près d’une semaine après, les corps furent exhumés pour un examen post-mortem. Soupçonnant qu’il y avait négligence médicale sur leur nourrisson Abhishek, la famille Jaun avait demandé que son cadavre soit déterré le 20 août 1997. Les soupçons se sont avérés négatifs.