Elles sont nées, se sont mariées et sont devenues mères aux Chagos. Elles aspirent plus que tout à regagner leur terre natale. Mais leur rêve se réalisera-t-il? Le 10 juin dernier, la Grande-Bretagne, par le biais des ‘Orders in Council’ a interdit aux Chagossiens tout accès à leurs îles.
Le gouvernement mauricien se penche, quant à lui, sur la possibilité d’entamer des actions légales au niveau international, comme, par exemple, un recours à la Cour Internationale de La Haye, pour recouvrer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos. Une telle démarche va forcer Maurice à quitter le Commonwealth. Nadège Velours, du Comité Social Chagossien et Lisette Talat, du Groupe Réfugiés Chagos, vont, elles, aussi continuer à se battre pour regagner leur terre natale même si leurs opinions sur les moyens d’y arriver sont très différentes.
Q: Le jugement autorisant les Chagossiens à rentrer chez eux a été récemment renversé par des ‘Orders in Council’. Qu’est-ce que cela vous fait ressentir?
Nadège Velours: Cette décision a bouleversé beaucoup de Chagossiens, surtout les natifs qui, comme moi, ont été déracinés. Nous portons en nous depuis trente ans cette souffrance d’avoir été déracinés. Nous, au Comite Social des Chagossiens, nous avons toujours dit qu’il ne fallait pas aller en Cour parce que dans ce cas nous avions deux options: perdre ou gagner. La plupart du temps, on perd. Aujourd’hui, nous avons perdu. Tous les Chagossiens sont bouleversés. Nous nous attendions à ce que les Anglais nous prennent en considération après nous avoir arrachés à nos îles. C’est la désillusion. L’espoir ine tombe dan dilo.
Lisette Talat: En tant que déracinée des Chagos, le renversement du jugement de la Haute Cour britannique a eu pour effet que je me sens plus forte. C’est une réponse du gouvernement et pas un jugement de la Cour. Cette même Cour a rendu un jugement nous donnant le droit de retour aux Chagos et maintenant, c’est le Conseil de la Reine qui vient renverser ce jugement. C’est quelque chose de louche. Nous irons devant l’ambassade américaine pour manifester notre mécontentement. Nous envisageons même de faire une grève si nous n’obtenons pas gain de cause. De toute façon, Olivier Bancoult, le président du Groupe Réfugiés Chagos, a déjà entré une affaire à la Haute Cour britannique pour contester cette décision du Conseil de la Reine d’interdire aux Chagossiens de retourner chez eux.
Q: Les Chagossiens ont eu droit à un passeport britannique. À quoi cela sert-il finalement?
Nadège Velours: Du côté du Comité Social Chagossien, nous n’avons pas accepté le passeport britannique. Regardez ce qu’a fait Olivier Bancoult. C’est une vraie défaite. Il a pris la nationalité anglaise et maintenant, il va poursuivre les Anglais. Pourquoi nous, nous n’avons pas pris le passeport britannique? Nous voulons reprendre nos îles aux Anglais et nous prenons la nationalité anglaise? Qu’irons-nous faire en Angleterre? Ce n’est pas la nationalité anglaise ou aller en Angleterre qui nous intéresse. Nous voulons récupérer nos îles, un point c’est tout. Les Anglais nous ont laissés pourrir à Maurice pendant tout ce temps et maintenant ils nous disent de venir en Angleterre? Pourquoi faire? Ce sera encore un déracinement pour rien.
Lisette Talat : Suite à la première affaire entrée par le Groupe Réfugiés Chagos devant la justice britannique pour demander la compensation et le droit de retour pour les Chagossiens, la Cour a trouvé que ces derniers avaient droit à un passeport britannique en bonne et due forme. Mais nous n’avons pas accepté ce passeport pour aller nous établir en Angleterre, mais pour éventuellement aller y travailler et ensuite revenir dans nos îles. De toute façon, il faut avoir de l’argent pour obtenir un passeport et, encore plus, pour payer le voyage et subvenir à ses besoins dans un premier temps quand on est arrivé à destination. C’est bon pour les jeunes, pas pour les personnes âgées comme moi qui n’aspirent qu’à retrouver leur terre natale.
Q: Faut-il continuer à se battre pour obtenir le droit de retour aux Chagos ainsi que la compensation? Si oui, comment?
Nadège Velours : Nous voulons d’abord un dédommagement jusqu’à ce que les Chagos soient prêts à nous accueillir. Le gouvernement britannique doit développer les îles auparavant. Mais nous tenons plus que tout, surtout les natifs des Chagos, à retourner dans nos îles. Je suis née là-bas, je me suis mariée là-bas, je suis devenue mère là-bas, c’est normal pour moi de vouloir retourner là-bas pour y mourir. Mais il y a un problème. Est-ce que ceux qui sont nés et qui ont grandi ici voudront suivre leurs aînés? Les Anglais ont divisé nos familles. Déjà, à l’époque où ils ont pris les Chagos, ils ont séparé les habitants en envoyant certains aux Seychelles et d’autres à Maurice. Mais malgré tout, nous gardons espoir. Les Anglais doivent réparer leurs fautes et nous, nous continuerons à lutter pour obtenir gain de cause. Mais nous demandons des négociations. Le gouvernement anglais, celui de Maurice ainsi que les Chagossiens de tout bord doivent s’asseoir autour d’un table pour essayer de trouver ensemble une solution.
Lisette Talat : Oui, il faut continuer à se battre. En 2000, un jugement de la Haute Cour britannique nous avait accordé la permission de retourner dans les îles Péros et Salomon mais pas à Diego Garcia. La Cour avait également rejeté notre demande pour une compensation. Nous avions fait appel pour demander l’accès à Diégo Garcia ainsi qu’une compensation adéquate. L’affaire est toujours en Cour. Et voilà que les ‘Orders in Council’ viennent nous interdire l’accès à toutes les îles de l’archipel des Chagos. Nous plaçons beaucoup d’espoir dans la démarche d’Olivier Bancoult qui a entré une affaire en Cour, en Grande-Bretagne pour contester cette décision. Nous gardons l’espoir qu’un jour nous pourrons retourner dans l’archipel des Chagos et que nous obtiendrons une compensation raisonnable. Sinon, nous continuerons notre combat, nous irons devant d’autres Cours de justice, nous continuerons à alerter l’opinion internationale. Depuis trente ans, nous, les anciens, nous traînons cette souffrance d’avoir été déracinés. On nous a tirés du paradis pour nous amener dans l’enfer. Nous réclamons justice.
Q: Le gouvernement a exprimé l’intention d’entamer des actions légales internationales pour recouvrer sa souveraineté sur les Chagos, ce qui va obliger Maurice à se retirer du Commonwealth. Qu’en pensez-vous?
Nadège Velours: Pendant tout ce temps, le gouvernement mauricien n’a rien fait. Pourquoi maintenant? Ne se rend-il pas compte que c’est trop tard. D’ailleurs, nous ne croyons vraiment dans ce que le gouvernement dit vouloir faire. S’il le fait, ce sera, de toute façon, au détriment de Maurice. Nous allons perdre les avantages dont bénéficient pays du Commonwealth et les relations entre l’Angleterre et Maurice se détorieront. Et puis, si on perd devant la Cour internationale, quel autre recours aurons nous? De toute façon, si le retour est vraiment impossible, nous demandons que le gouvernement britannique nous permette de revoir nos îles une dernière fois, pour leur dire au revoir comme il se doit et pour dire au revoir également à tous nos ancêtres qui sont morts aux Chagos.
Lisette Talat : Laissons le gouvernement faire ce qu’il veut faire. Chacun doit continuer à mener sa lutte pour atteindre ses objectifs. La nôtre, c’est pour retourner chez nous; nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour y arriver. Nous demandons également aux Anglais d’organiser une table ronde avec des représentants choisis par les Chagossiens et de nous expliquer les raisons pour lesquelles ils nous refusent l’accès aux Chagos et ne nous donnent pas de compensation. Si vraiment leurs arguments arrivent à nous convaincre, alors, nous ne demanderons qu’un droit de visite pour aller voir notre terre une dernière fois et prier sur la tombe des anciens.