“Je ne veux pas finir comme Sandhya”. Le 16 juin dernier, Shanti, 22 ans, qui a longtemps vécu dans un couvent, a pris son courage à deux mains. Trop de souffrance, trop d’épreuves, trop de pleurs. Elle allègue qu’elle est persécutée par son mari et sa belle-mère, qu’elle est victime de maltraitance. Devant tant d’adversité, elle décide de fuir le toit conjugal. Elle est à bout.
Un visage tuméfié par des coups. Une photo qui a beaucoup fait parler d’elle. C’est la triste histoire de Sandhya Bappoo, 30 ans, la femme battue, la femme martyre, morte des suites des violences qu’elle avait subies. Hélas! Sandhya n’était pas la première femme à être victime de violence domestique; elle n’était pas non plus la dernière. Le calvaire vécu par Shanti en témoigne. Elle habite à quelques pas de Sandhya et a même assisté à ses funérailles. C’est d’ailleurs l’histoire de Sandhya qui l’a poussée à quitter le toit conjugal.
Les incessantes remarques blessantes, les gifles, les coups et les nombreuses menaces ont été le quotidien de Shanti pendant presque un an. Le bonheur avec son époux, qu’elle dit “aimer de tout son coeur”, elle ne l’a connu que durant les trois mois qui ont suivi leur mariage en avril 2003. Après, sa vie est devenue un enfer.
En quittant l’ashram Gayasing où elle a toujours vécu depuis sa naissance, elle aspirait à une vie meilleure. Pourtant, c’est dans le tourbillon de la violence domestique qu’elle a basculé. Après avoir beaucoup lutté pour préserver son couple, Shanti a finalement décidé, le mercredi 16 juin dernier, de tout abandonner : “J’ai senti que ma vie était en danger”.
Elle a le sourire triste et son regard est figé. Elle parle peu et n’a pas la joie de vivre qu’ont bien des femmes de son âge. À 22 ans, elle est aigrie: “Je me dis que je n’ai pas de chance dans la vie”. Son histoire, c’est celle d’une femme à qui la vie n’a pas fait de cadeau. Bien que son prénom signifie “paix”, elle dit ne jamais avoir connu de paix et de calme dans sa vie.
C’est à l’ashram Gayasing, à Port-Louis, que Shanti voit le jour un beau matin de 1982. Sa mère, rejetée par les siens pour être tombée enceinte d’un homme qui ne voulait pas d’elle - et encore moins de son enfant-, n’a nulle part où aller. Elle trouve refuge à l’ashram, dirigé par Deorishi Boolell. Shanti n’a jamais connu son père. Peu de temps après l’avoir mise au monde, sa mère sombre dans la démence.
Elle est née, a grandi et s’est mariée à l’ashram
Shanti est alors encadrée par le personnel de l’ashram qui, fidèle à son habitude, lui accorde beaucoup d’attention.
C’est une petite fille normale qui, malgré ses malheurs et ses soucis, ne se plaint pas car elle aime la vie. Elle fréquente l’école primaire De la Salle RCA, aime aider les autres et s’intéresse à tout. Quelques années plus tard, après un échec aux examens du CPE, elle quitte l’école. “C’est une fille qui se débrouille très bien. Elle n’a pas été longtemps à l’école mais pourtant, elle sait très bien lire. Elle comprend et parle aussi l’hindi. D’ailleurs, Shanti venait tout le temps se confier à moi et à d’autres personnes à l’ashram.Je suis au courant de toute son histoire”, nous dit Deorishi Boolell, le directeur de l’ashram Gayasing.
Les années passent et Shanti devient une jeune femme. 2001 : Shanti n’a que 19 ans. Alors qu’elle se trouve dans un magasin de vêtements, son regard croise celui d’un homme qui, lui, a 29 ans. C’est Ajay (Ndlr: prénom fictif), éboueur de son état. Elle l’avait déjà remarqué qui rôdait autour de l’ashram. C’est alors pour elle le début d’une grande histoire d’amour. “L’homme se présentait bien et finalement, il y a eu accord pour que les deux se marient”, nous raconte Deorishi Boolell.
Deux années après leur rencontre, ils se marient à l’ashram. C’est le 27 avril 2003. Le couple installe son petit nid douillet à Port-Louis. Les conjoints habitent à l’étage d’une maison alors que la mère d’Ajay vit au rez-de-chaussée. Trois mois de vie paisible s’écoulent avant que ne commence le cauchemar de Shanti.”Selon moi, la mère d’Ajay a pris peur lorsqu’elle a appris d’un notaire que je suis aussi légalement propriétaire de cette maison qu’Ajay venait d’acheter étant donné qu’on s’était mariés sous le régime de la communauté”.
“Elle mène son fils à la baguette”
La belle-mère cherche querelle à sa bru de plus en plus fréquemment: “Elle me critiquait sans arrêt. Comme elle habitait au rez-de-chaussée, elle attendait le départ d’Ajay pour son travail pour venir me faire des reproches. Elle me persécutait, me menaçait, me bousculait, elle me faisait peur”.
Shanti s’arrête, pousse un soupir et recommence à raconter ses déboires : “On m’avait mise en garde contre la mère d’Ajay. Elle a une grande emprise sur son fils. C’est son seul fils et elle le mène à la baguette. Elle a quitté son époux peu avant la naissance d’Ajay et depuis, elle a créé son monde autour de lui. Sans elle, je suis persuadée que j’aurais été heureuse avec mon mari”.
L’atmosphère à la maison devient alors très vite pesante. Le couple bat de l’aile. Au bout de six mois de mariage, Ajay retourne chez sa mère, au rez-de-chaussée, à la demande de celle-ci : “Ajay devenait aussi souvent violent, il me donnait des coups. Ma belle-mère s’y mettait aussi en me giflant, me pinçant et me tirant les cheveux. J’ai beaucoup subi”.
Shanti décide alors d’aller se plaindre à la police. À son grand étonnement, sa belle-mère et son mari sont passés avant elle: “Ajay voulait faire accroire à la police que je m’étais blessée toute seule”. Elle consigne quand même une déposition contre sa belle-mère et son mari.
Shanti veut tenir jusqu’au bout: “Je sais qu’Ajay m’aimait. Il m’avait même dit de divorcer et qu’on allait se remettre ensemble après. Ils avaient peur que la maison puisse me revenir étant l’épouse d’Ajay, mais je n’ai jamais été intéressée par cette maison. Je sais que mon époux m’aimait. D’ailleurs, en l’absence de sa mère, il montait chez nous , alors qu’il avait élu domicile au rez-de-chaussée, et quelquefois le soir il se glissait dans mon lit”.
Un autre incident dont Shanti se rappelle s’est produit le jour où la mère d’Ajay les avait surpris tous les deux ensemble dans leur lit alors qu’Ajay était supposé dormir au rez-de-chaussée : “Elle est alors entrée dans une colère folle, m’injuriant et me traitant de tous les noms. Pour entrer dans la maison, elle avait lancé un ‘tempo’ contre ma porte d’entrée pour briser les vitres. Ce jour-là, contrairement à son habitude, mon mari a pris ma défense. C’était la première fois que je le voyais tenir tête à sa mère. Mais c’était plus fort que lui. Le lendemain matin, comme pour ne pas décevoir sa mère, il est retourné auprès d’elle”.
La pire des humiliations est infligée à Shanti le 14 février de cette année, le jour de la St-Valentin. Ce jour-là, au lieu de recevoir un beau cadeau ou un bouquet de fleurs de son époux, elle reçoit à la figure sa demande de divorce : “Je suis restée sans voix. Drôle de cadeau pour un St-Valentin”.
Shanti ne peut plus supporter cette situation. Le mardi 18 juin dernier, elle décide de mettre la pression sur son époux: “Il me suivait lorsque je sortais. Je lui ai alors demandé d’arrêter de se plier aux exigences de sa mère. J’ai aussi voulu connaître les raisons pour lesquelles il ne se montrait tendre à mon égard qu’en son absence”.
Le même soir, c’est le choc pour la jeune femme. N’ayant pas digéré la discussion qu’il avait eue avec Shanti quelques heures plus tôt, Ajay et sa mère font irruption dans la chambre de la jeune femme alors que celle-ci prend son repas : “Il est entré et est devenu comme fou. Il a commencé à tout casser sur son passage. Il a alors pris un couteau, m’a écorché les bras et m’a menacée. Ma belle-mère m’a alors dit cette phrase qui a fait dresser les cheveux sur ma tête : ‘Mo pou faire pareille ar twa couma zot ine fair ar Sandhya’. J’ai eu peur et j’ai alors décidé de quitter ce lieu”. Le soir même, elle fait une nouvelle déposition à la police.
Le lendemain, sans regret, Shanti prend ses affaires et décide de fuir. Elle a aujourd’hui trouvé refuge dans une chambre qu’elle loue. Elle travaille aussi à l’ashram Gayasing comme ‘attendant’.
Cette jeune femme veut s’en sortir: “Je veux continuer à vivre. Je veux être indépendante. Le cas de Sandhya Bappoo m’a interpellée. Il ne faut plus que la violence conjugale gâche la vie des femmes. C’est terrible quand on est maltraité”.
Pourtant, malgré toutes ces épreuves, Shanti se dit prête à retourner avec son époux: “Ma seule condition, c’est qu’on ne vit plus avec ma belle-mère. Son influence sur mon mari est trop grande”. Elle attend maintenant que son procès de divorce soit entendu en novembre prochain.
À plusieurs reprises, vendredi matin, nous avons essayé d’avoir une réaction d’Ajay et de sa mère aux allégations de Shanti, mais en vain.
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Myriam Timol, psychiatre : “C’est une mère qui ne veut pas partager son fils”
Entre mère et fils, l’amour peut mener très loin. C’est l’avis de Myriam Timol, psychiatre, qui explique la forte influence qu’une mère peut avoir sur son enfant : “Le premier objet d’amour pour une fille comme pour un garçon c’est la mère. Un objet d’amour idéalisé. Cela s’explique par la relation entre une mère et son bébé durant les premiers mois de la vie. Après on dépasse ce stade. Le père entre en jeu quand il doit faire montre de son autorité. Mais l’amour entre la mère et l’enfant parfois ne dépasse pas ce stade de séparation, c’est l’état de symbiose. Pour la mère, malgré les années qui passent, l’enfant reste son bébé. L’enfant est à elle et c’est grâce à lui qu’elle survit. Dans le cas du mari de Shanti et de sa mère, c’est l’amour fusionnel entre une mère et son fils. La mère a une telle emprise sur son fils qu’elle peut le pousser à faire ses quatre volontés. Quand le fils se marie, la mère veut de son côté le récupérer. Elle n’accepte pas le mariage de son fils et ne veut pas le partager”.
Par Christophe Karghoo et Michaëlla Coosnapen