La mort des amants de Bassin-Blanc n’est pas due au suicide, conclut le DPP. La police s’attelle à trouver d’autres indices pour élucider ce mystère
- Kishan Hazareesingh, suspect dans l’agression de Malhotra, aurait été visé à la place de Hansee Ittoo et de Ramesh Sandooram
- Pour la police, Antoine Chetty est suspect dans cette affaire et dans l’assassinat de Vanessa Lagesse
“La Central Criminal Investigation Division (CCID) m’a appelé dans le courant de la semaine dernière pour me demander de venir faire une nouvelle déposition concernant l’affaire Bassin-Blanc”. Ainsi débute le récit de Kishan Hazareesingh, un des suspects dans l’agression à l’acide, le 12 mars 1998, du gendre de sir Anerood Jugnauth, Krishan Malhotra qui est devenu, depuis, presque aveugle.
À 5-Plus, il poursuit : “ Je leur ai dit que j’avais tout dit à la police, juste après le drame, au sujet de la vente de ma voiture à Ramesh Sandooram et que je devais consulter d’abord mon homme de loi. J’irai probablement à la CCOD cette semaine. Je ne sais pas de quels éléments nouveaux la police dispose mais je suis prêt à collaborer, là où on a besoin de moi”.
Ainsi, les enquêteurs s’intéressent au 4x4 que Kishan Hazareesing a vendu à Ramesh Sandooram trouvé mort, le 11 novembre 2002, à Bassin-Blanc en compagnie de sa jeune maîtresse, Hansee Ittoo, morte elle aussi.
Les éventuels meurtriers de Ramesh Sandooram et de Hansee Ittoo se seraient trompés de cible car les victimes voyageaient dans le 4x4 en question.
En, fait, ce serait Kishan Hazareesingh qui pourrait avoir été visé : “Quand on avait découvert le véhicule à Bassin-Blanc, plusieurs proches m’avaient appelé pour me demander si j’allais bien parce qu’ils croyaient que le véhicule m’appartenait toujours. J’avais vendu le 4x4 un mois avant le drame à Ramesh Sandooram avec qui je suis parenté. J’ai entendu des rumeurs à l’effet que c’était moi qui étais visé par les agresseurs des victimes de Bassin-Blanc. Depuis un mois, on entend beaucoup parler de cette affaire. Les rumeurs s’intensifient et je commence me faire du souci. Et si c’était vraiment moi qui étais visé?... Je ne connais pas d’ennemis, mais on ne sait jamais. Il y a une affaire contre moi en Cour intermédiaire, car je suis l’un des suspects dans le cas d’agression à l’acide du Dr Malhotra. J’ai toujours plaidé non coupable dans cette affaire”.
La police pourrait chercher à trouver une connexion entre les deux morts de Bassin-Blanc et l’agression à l’acide du gendre de sir Anerood Jugnauth.
Le DPP a demandé que l’enquête soit rouverte sur le drame de Bassin-Blanc.
Kishan Hazareesingh explique les circonstances de la vente de sa voiture à Ramesh Sandooram : “Il est venu voir le véhicule chez moi le 12 octobre 2002 et a tout de suite voulu l’essayer avant de décider s’il allait l’acheter. Il a même fait un papier dans lequel il prend la responsabilité de tout ce qui pourrait arriver au véhicule durant la période d’essai. Quelques jours après, nous avons conclu la vente au coût de Rs 175 000 “.
Chetty suspect pour la police
Le développement majeur dans la mort des amants de Bassin-Blanc coïncide avec l’attitude des enquêteurs envers Antoine Chetty.
Antoine Chetty, ex-bras droit de Vinay Deelchand, avait été appréhendé par les hommes de l’inpecteur Tuyau le 23 mars dernier. Il était en possession de 825 grammes d’héroïne et Rs 225 000 en liquide. Anju Lallah, sa concubine, avait été, elle aussi, arrêtée mais fut blanchie par la suite par la Cour.
Antoine Chetty, repenti entre-temps, avait alors fait des confessions qui ont mené à une série d’arrestations, dont celles du notaire Vinay Deelchand, de l’avocat-parlementaire Dev Hurnam, de l’ex-CP Raj Dayal. Ont aussi été arrêtés : Chandradeo Samsaurooah, Moonsamy Mooraghen, Sandeep Appadoo, Dharmanaden Sambon, Mahendra Chooneea, Sylvain Daughet, Mario Vythilingum, Cyril César, Désiré Soyfoo, et Yogesh Bissessur. Ils plaident tous non coupables.
Pour la police, Antoine Chetty n’est plus un repenti. Il est un suspect dans plusieurs cas de crimes et de disparitions non-élucidés, dont ceux de Hansee Ittoo et de Ramesh Sandooram à Bassin-Blanc, d’Ismaël Dhoba, disparu à Rose-Hill en janvier 2000, et de Vanessa Lagesse, découverte morte dans sa baignoire en mars 2001.
Depuis vendredi dernier, Antoine Chetty est soumis à un interrogatoire serré à La Bastille où il est incarcéré. “La police a demandé à Antoine Chetty s’il avait des révélations à faire, car les enquêteurs soupçonnent qu’ils détiennent des éléments d’informations qui tendent à attester que les amants de Bassin-Blanc ne se sont pas suicidés mais qu’ils ont été victimes d’un complot de ‘contract killers’ (ndlr : tueurs à gages)”, déclare Samad Gaulamaully, avocat d’Antoine Chetty.
Le Commissaire de police est arrivé à la conclusion qu’il existe à Maurice un petit groupe de tueurs à gages et qu’ils se connaissent entre eux. D’où l’insistance des enquêteurs à interroger Antoine Chetty longuement demain matin, car ce dernier serait un tueur à gages très respecté dans le milieu. “La police n’écoute plus ce qu’a à dire mon client, mais le questionne comme s’il est un suspect. Plusieurs dossier sont rouverts, dont ceux de Vanessa Lagesse, Ismaël Dhoba et de Bassin-Blanc”, dit l’avocat.
Pour l’assassinat de Vanessa Lagesse, l’inspecteur Tuyau a posté un de ses hommes, le sergent Toofany, à Grand-Baie pour ‘gather evidences’ sur une éventuelle connexion entre la styliste et un de ceux arrêtés dans l’affaire Deelchand.
Le DPP croit le Dr Boolell et non la police
Sur ordre du DPP, la police a dû revoir les premières conclusions des enquêteurs de la MCIT, de la CID de Savanne et de la CCID dans la mort des amants de Bassin-Blanc.
Le DPP a prêté plus foi aux conclusions du médecin légiste qu’à celles de la police et conclut au ‘foul play’. Dans son rapport, le Dr Satish Boolell écarte la thèse du suicide.
La police avait estimé, à l’époque, que les amants s’étaient donné la mort. Elle s’était basée sur le fait que ces derniers avaient été repêchés du Bassin-Blanc liés à la taille par une ceinture, les pieds de Hansee Ittoo enlaçant les reins de son amant.
Les enquêteurs se demandaient aussi pourquoi un homme se trouvant en danger avait préféré appeler un ami au lieu d’alerter son frère policier.
Les enquêteurs se demandaient également comment Ramesh Sandooram avait pu dialoguer avec son ami durant le trajet Quartier Militaire-La Marie tout en étant battu par des individus. Et si vraiment les deux amoureux avaient été frappés à mort à Bassin-Blanc, pourquoi des ouvriers qui travaillaient sur un chantier de terrassement à 400 mètres n’auraient rien entendu ?
Si, effectivement Ramesh Sandooram avait été battu, il aurait tenté de se défendre, alors que ses vêtements sont restés intacts.
Pour les enquêteurs d’alors, le fait que les amants avaient été surpris à Sodnac par la CID de cette localité les ont poussés au suicide.
Ces mêmes enquêteurs soutenaient aussi que le dernier Short Message (SMS) de Hansee Ittoo à Ramesh Sandooram pouvait tendre dans le sens du suicide. Le SMS se lisait ainsi : “If I tell you something, will you do it? ”
Le médecin de la police, par contre, démolit les thèses de ces enquêteurs.
Le Dr Satish Boolell, qui a pratiqué l’autopsie des deux amants de Bassin-Blanc, avance qu’en l’absence d’eau dans les poumons de Hansee Ittoo et de Ramesh Sandooram et en présence de ce qu’ils avaient mangé avant qu’ils ne trouvent la mort, il ne pouvait s’agir de suicide.
Le Dr Boolell a également fait ressortir qu’en l’absence de points de chute et de falaises abruptes à Bassin-Blanc, la police devrait voir ailleurs. Autrement dit, les amants ne se sont pas donné la mort là où on a découvert leurs cadavres.
Officiellement, Hansee Ittoo et Ramesh Sandooram sont morts d’une hemorragie cérébrale.
Un enquêteur de la police ne fait pas totalement confiance aux conclusions des médecins légistes.
Cet enquêteur en a pour preuve l’erreur commise par le défunt Dr Sohun, comme révélé par 5-Plus il y a deux ans : “Souvenez-vous de ce cas d’un père arrêté et mis en cellule policière pour avoir pris la virginité de sa fille, une retardée mentale. Par la suite, après des examens par d’autres spécialistes en gynécologie, ces derniers ont confirmé que la fillette était encore vierge”.
Les parents croient au meurtre
Même si la police veut fouiller davantage dans cette affaire, il n’existe plus de cadavres. Les dépouilles des deux amoureux ont été incinérées.
“On reconnaît avoir fait une grave erreur en brûlant les corps de nos enfants, mais à cette époque-là, les enquêteurs nous affirmaient que c’était un cas de suicide”, dit le père de Hansee Ittoo.
Du côté des Sandooram, c’est la perplexité devant l’attitude de la police. “On s’étonne que la police n’ait pas objecté à la crémation des deux victimes”, dit un des proches de Ramesh.
Les proches des deux amoureux se posent aussi une série de questions qui demeurent pour eux sans réponses, dont celles-ci : “Où est le portable de la marque Nokia dont le numéro est le 727 2360 et doté d’un appareil photo qui aurait pu être utilisé pour prendre des photos susceptibles d’aider l’enquête?” (ndlr : on se souvient que le premier portable de Sandooram avait été découvert dans la poche d’un des policiers participant aux recherches); “Qu’est-ce qui a motivé Ramesh Sandooram à appeler son ami Sachin Padaruth pour ne donner aucun détail ?” “Pourquoi Sandooram s’était-il arrêté à Bassin-Blanc s’il avait des problèmes, alors que le poste de police de Chemin-Grenier se trouve à quelques kilomètres? “Où sont les deux gardiens de chasse qui auraient vu une voiture, avec à son bord des hommes encagoulés, poursuivre celle de Ramesh Sandooram alors que ce dernier était scotché à son portable au volant ? ”
La conclusion des proches de Hansee Ittoo et de Ramesh Sandooram est qu’il y a eu meurtre. Rejetant, tout comme le DPP et le Dr Satish Boolell, la thèse du suicide collectif.
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Me Yousuf Mohamed, avocat du Dr Malhotra: “Mon client n’est pas mêlé à cette affaire”
L’homme de loi du gendre de SAJ, Me Yousuf Mohamed, soutient qu’il ne croit pas en une éventuelle connexion entre l’agression de son client, le Dr Malhotra, et l’affaire Bassin-Blanc: “Je ne pense pas que le Dr Malhotra soit mêlé de quelque façon que ce soit à cette affaire car depuis son agression à l’acide en mars 98, il vit en Angleterre avec sa famille parce qu’il y suit des traitements. Il n’a pratiquement plus de connexion avec Maurice”. Me Mohamed nous apprend que son client est devenu aveugle suite à l’agression et a dû subir de multiples interventions chirurgicales. Il est venu à Maurice seulement deux fois depuis qu’il a émigré en Angleterre pour déposer dans cette affaire. Celle-ci est actuellement en Cour intermédiaire et le jugement sera rendu le 30 juin prochain.
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Le Dr Malhotra, agressé à l’acide en 1998
La Fête de l’indépendance, le Dr Krishan Malhotra, gendre de sir Anerood Jugnauth, l’a vécue dans le noir. C’est un 12 mars qu’il fut victime d’une agression à l’acide qui lui a coûté l’usage de ses yeux.
Vers 10h30, un individu qui a pris rendez-vous avec le Dr Malhotra deux jours plus tôt, fait irruption dans son bureau et lui lance de l’acide en plein visage.
Quatre jours plus tard, Nirmal Ramdin, suspect principal dans cette affaire, se rend à la police. Les autorités le mettent en détention ainsi que deux de ses proches : Kishan Hazareesing et Kishan Ramdin.
Leur version des faits est contradictoire. Ils affirment qu’ils étaient venus voir le medecin pour l’un d’entre eux qui souffrait d’une complication à la jambe. Le 20 mars 1998, Hazareesing et Ramdin, défendus par Me Navin Proag, sont relâchés sous caution.
Le 24 octobre 2001, le Dr Malhotra explique en Cour qu’il avait eu des problèmes avec Hazareesing. Ce dernier, semble-t-il, voulait transférer son père dans une clinique autre que Med Point pour une opération chirurgicale.
En février 2004, Veena Soodeen, témoin de l’agression, revient sur sa déposition consignée le 28 mars 1998 , dans laquelle elle avait dit qu’elle avait vu de dos un homme se diriger vers la grille d’entrée de la clinique. Le témoin se retire parce qu’il hésite sur la description du suspect en question.
En avril 2004, la défense fait une demande pour rayer l’affaire. La raison principale est que la police a trop laissé traîner l’affaire. Le rapport soumis par l’inspecteur chargé de l’enquete, M. Rahoma, au DPP était incomplet. Il n’incluait même pas le rapport du Dr Satish Boolell, médecin légiste.
Le jugement est attendu le 30 juin prochain dans cette affaire.
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Rappel des faits
Le lundi 11 novembre 2002, l’’Information Room’ de la police reçoit un appel signalant la disparition d’un couple: Ramesh Sandooram et Hansee Ittoo.
Ramesh Sandooram, marié et père d’une fillette, était un homme d’affaires habitant Quartier-Militaire alors que sa maîtresse, Hansee Ittoo, une étudiante, habitait Palma à Quatre-Bornes.
Trois jours après, soit le jeudi 14 novembre, les corps des deux disparus sont retrouvés flottant dans le lac de Bassin-Blanc.
Avant d’être porté manquant en compagnie de sa jeune maîtresse, Ramesh avait fait trois appels de détresse à son ami Sachin Padaruth qui habite également Quartier-Militaire.
Ramesh lui avait demandé de le rejoindre à Bassin-Blanc car il avait des problèmes avec deux individus.
Quand Sachin, en compagnie d’autres personnes, était arrivé sur place, il n’y avait aucune trace de Ramesh.
Ils n’ont vu que son 4x4, un ‘Toyota Land Cruiser’ immatriculé EK 65, qu’il venait d’acheter un mois plus tôt de son cousin, Kishan Hazareesing, dont la mère est une demoiselle Sandooram.
Par Jean-Claude Dedans/Jean-Marie Gangaram
Michaëlla Coosnapen et Nadine Bernard