Raymond Rivet et Deva Armoogum
Port-Louis a de plus en plus de mal à respirer. Les gens en ont assez de perdre du temps pour entrer dans la capitale et en sortir. À quand une solution? La présentation d’un projet de ‘Ring Road’ et de ‘Link Road’ à la presse par Raymond Rivet, il y a quelques jours, vient relancer le débat. Ce dernier, ex-recteur du collège St Esprit et ancien parlementaire, ainsi que Deva Armoogum, ancien directeur général de la Corporation Nationale de Transport (CNT), nous disent comment réduire la congestion routière.
Q: Que pensez-vous de la situation en ce qui concerne la congestion routière, surtout aux entrées de Port-Louis?
Raymond Rivet: La situation aux heures de pointe a atteint cette année le seuil de l’intolérable. Si aucune mesure concrète n’est prise dans l’immédiat pour éliminer les causes du problème et lancer les travaux dans les meilleurs délais, la situation future sera catastrophique. D’après les statistiques disponibles, près de 26 000 véhicules font quotidiennement, aux heures de pointe, leur entrée dans la capitale et au cours des dix prochaines années, le parc automobile est appelé à recevoir 10 000 nouveaux véhicules annuellement. Par ailleurs, le trafic généré par les activités portuaires est appelé à s’intensifier tout au long des prochaines années, augmentant systématiquement le nombre de véhicules traversant la capitale.
Deva Armoogum: La situation n’est pas aussi chaotique que dans certaines grandes villes du monde, mais elle est critique. Il faut trouver des moyens pour remédier à la congestion routière, sinon elle va empirer. C’est un problème qui fait perdre beaucoup de temps aux gens. Cela débouche sur un aspect social car les gens sacrifient leurs loisirs, le temps accordé à leurs familles, entre autres, car ils passent plus de temps sur les routes. Par ailleurs, la capitale est en train de souffrir. Une capitale doit pouvoir respirer normalement et les gens doivent pouvoir y bouger librement, mais ce n’est pas le cas actuellement. Entre 7h et 9h, il y a 215 véhicules qui entrent à Port-Louis chaque minute. Entre 7h et 17h, 67 000 véhicules traversent Port-Louis sans s’y arrêter.
Q: Comment et pourquoi en est-on arrivé à cette situation? Quelles en sont les conséquences?
Raymond Rivet: La congestion routière s’est dégradée parce que le projet de ‘Port-Louis Ring Road’, élaboré par la ‘Road Development Authority’ (RDA) et approuvé par le gouvernement en 2002, ne peut être concrétisé dans le court terme. La ‘Ring Road’ se caractérise par un long tunnel à travers la montagne Coin Bluff. En conséquence, le tracé de la route doit obligatoirement passer à Tranquebar, à l’endroit qui est occupé par des squatters. Ces derniers se trouvent également sur le tracé de la ‘Ring Road’ à Vallée Pitot. Selon ce que le directeur de la RDA m’a confié, la concrétisation du projet gouvernemental ne pourrait démarrer aussi longtemps que ces squatters ne seront pas relogés. Ce qui va inévitablement prendre du temps, compte tenu du nombre élevé de squatters impliqués.
Deva Armoogum: La congestion routière est la conséquence directe de la croissance économique qui nous a amené une activité économique intense, provoquant le mouvement des marchandises et des gens. Malheureusement, il n’y a pas eu de développement en proportion avec nos routes. De plus, avec la croissance économique, il y a eu une amélioration du pouvoir d’achat des Mauriciens, ce qui a contribué à une hausse dans les activités de loisir et de shopping qui sont en grande partie concentrées à Port-Louis. Par ailleurs, nos routes sont étroites et, en même temps, on n’a pas développé le transport public. Avec l’accroissement de leur pouvoir d’achat, les gens préfèrent acheter une voiture qui leur offre divers avantages qu’ils n’ont pas s’ils utilisent le transport en commun. Le nombre de voitures par kilomètre, dans les années 70 était de 20, dans les années 90, il était de 50, en 2003 il était de 60 et en 2020, on prévoit qu’il sera de 160. 60 voitures par kilomètre, c’est déjà critique mais 160 ce sera intenable.
Q: Que peut-on faire pour régler le problème de la congestion routière aux entrées de la capitale?
Raymond Rivet: La priorité doit être donnée à la construction dans les meilleurs délais d’une ‘Ring Road’ contournant Port-Louis. Il existe une alternative au projet du gouvernement qui se caractérise par un tunnel à travers la montagne Goat Rock/Snail Rock dont le tracé est totalement libre de squatters. En conséquence, les travaux sur ce nouveau tracé pourraient démarrer aussitôt que le contrat de construction aura été alloué. J’ai élaboré ce projet portant le nom de Pailles-Guibies-Port Louis Ring Road en 2001. Le coût du projet devrait être moins élevé que celui du projet gouvernemental dont le tunnel est plus long et dont la totalité du tracé de 10,3 kilomètres implique la création de nouvelles routes et de leurs drains. Déjà en 1975, j’avais proposé une ‘Port Louis Ring Road’ à l’Assemblée législative alors que j’étais député. En 1998, j’avais proposé la création d’une Moka-Guibies-Port Louis Link Road qui décongestionnerait, dans une certaine mesure, les entrées nord et sud de Port-Louis. La création de la Pailles-Guibies-Port Louis Ring Road serait un premier pas vers la construction de cette ‘Link Road’.
Deva Armoogum: Il faut absolument réduire la pression en jouant sur la demande. Il faut trouver des moyens pour freiner l’achat des voitures et également faire payer les automobilistes à travers l’‘Electronic Road Pricing’ pour l’utilisation de leurs véhicules. Plus on utilise la route, plus on paye. Il faut évidemment trouver des moyens pour encourager les gens à circuler par autobus. La ‘ring road’ et la ‘link road’ que j’ai aussi beaucoup étudiées sont également des solutions que l’on pourrait adopter pour réduire la congestion routière. C’est un problème assez complexe à régler. D’un côté il faut encourager les gens à venir à Port-Louis car la majeure partie des activités économiques y est concentrée et en même temps, il faut réduire le nombre de véhicules entrant dans Port-Louis. Il y a beaucoup d’idées pour réduire la congestion routière mais il faut qu’elles s’accompagnent d’un ‘planning’ intégré.
Q: Que pensez-vous des mesures qui ont été prises et qui sont annoncées par le gouvernement pour résoudre le problème?
Raymond Rivet: L’augmentation du prix des parkings publics et la création du parc automobile ‘Park and Ride’ à Les Salines n’ont pas donné des résultats dans la réduction de la congestion routière. Par ailleurs, on ne peut pas venir pénaliser injustement les gens en augmentant le prix des parkings publics ou en réduisant le nombre de parkings privés même si ces derniers doivent être contrôlés. Quant au péage, je pense qu’il est prématuré d’en parler. La création d’une ‘Ring Road’ et d’une ‘Link Road’ devrait résoudre le problème de congestion routière. Si après, il faut venir avec d’autres mesures, on verra.
Deva Armoogum: Tous les moyens sont bons pour réduire la congestion routière et cela passe aussi bien par l’introduction du flexi-time, l’augmentation du prix des places de parking public, la réduction du nombre de parkings privés. Le péage préconisé par le consultant singapourien, Pr Menon, peut également aider à réduire la congestion routière. L’adoption des modes de transport alternatifs tels que le métro léger serait également une bonne chose et je pense que le projet est à un stade assez avancé au niveau du gouvernement. S’il se concrétise, ce projet d’envergure va transformer complètement le paysage mauricien et l’impact sera le même que celui qu’il y a eu avec l’arrivée des hypermarchés.