Tibye Dastofir ne peut contenir ses larmes devant ce qui reste de la voiture de son fils : “Couma ine faire pu tire mo piti et mo ti zenfan la dans ? Ayo mo piti tou ceki mone faire pu twa ine perdi”
Il aura suffi de quelques secondes pour que sa vie bascule dans le noir. Jeudi dernier, un grave accident sur l’autoroute, à la hauteur de Bagatelle, a fait perdre à Tibye Dastofir son fils cadet, Sheik Ahmad Hamza, 37 ans, et le fils de ce dernier, Abdool Hafiz, âgé de neuf ans.
Cet accident de la route, qui a eu lieu aux alentours de 15h05, a coûté la vie à quatre personnes et a fait une blessée, l’épouse du disparu Sheik Ahmad Hamza.
Ces personnes avaient décidé d’accompagner Sheik Ahmad Hamza pour faire un tour à Port-Louis. Ils avaient quitté Quinze Cantons à 14h00 ce jour-là et y retournaient aux alentours de 15h00 quand le drame s’est joué.
C’est pour acheter une pièce pour la machine à laver que Sheik Ahmad Hamza était parti pour Port-Louis alors qu’il devait le faire la veille.
Tibye, 72 ans, n’est plus le même homme. Désespéré, il n’arrête pas de repenser au lourd bilan de cet accident de la route qui a fauché directement deux membres de sa famille.
Son fils Sheik Ahmad Hamza et le fils de ce dernier, Abdool Hafiz, sont décédés de leurs multiples blessures. Le garçon, qui était en ‘Std IV’, ne s’était pas rendu à l’école ce jour-là car il était fiévreux.
Fazila sauvée par l’airbag
Asif, le frère du garçon disparu, est tout attristé par ce drame. “Mo chagrin. C’est ene épreuve pu mwa. Mo papa ek mo ti frère ine mort”.
Bibi Jehan Causmally, 57 ans, la belle-mère de Sheik Ahmad Hamza, est également décédée alors que Bibi Hafroze Korimbaccus, 63 ans, la soeur aînée de Bibi Jehan, est morte d’une fracture et d’une dislocation de la colonne vertébrale.
Fazila Dastofir, 29 ans, la belle-fille de Tibye, blessée et mère de l’écolier décédé dans l’accident, était assise sur le siège avant du taxi. Elle a été sauvée par l’airbag de la Toyota Premio que conduisait son défunt époux, Sheik Ahmad Hamza, mort sur le coup. Elle a eu une lacération à la jambe et une fracture de la clavicule. Après trois jours, elle a quitté l’hôpital hier après-midi. Les proches lui ont annoncé la mauvaise nouvelle.
Goolam, le beau-frère de Fazila Dastofir, nous dit que cette dernière se doutait qu’il s’était passé quelque chose, car tous ceux qui venaient à l’hôpital ne venaient que pour lui rendre visite et pas aux autres - elle croyait qu’ils étaient aussi hospitalisés - qui étaient avec elle dans la voiture accidentée. Les proches ont préféré l’isoler chez son papa.
La mère rescapée quitte l’hôpital
Tibye ne peut contenir sa tristesse devant un tel drame. Vendredi dernier, il est venu récupérer des documents dans le taxi écrabouillé de son fils.
Ce qui restait de la voiture se trouvait dans la cour du tribunal de Moka. Ses cinq autres fils et ses deux gendres l’avaient accompagné pour constater les dégâts.
Abasourdi par ce qu’il a vu, Tibye fond en larmes dans les bras de son fils Goolam : “Couma ine faire pu tire mo piti et mo ti zenfan la dans ? Ayo mo piti tou ceki mone faire pu twa ine perdi”. Le septuagénaire ne peut rester aux côtés des siens. Il rebrousse chemin et retourne vers sa voiture. Direction : Quinze Cantons, à Vacoas, où se trouve la demeure de toutes les victimes de l’accident.
Son petit-fils, Asif, 12 ans, fils du défunt Shiek Ahmad Hamza et désormais seul enfant qui reste de sa mère, suit la scène de très près. L’enfant tient dans ses mains la fameuse pièce de rechange de la machine à laver que son père était allé acheter à Port-Louis avant son rendez-vous avec la mort.
Goolam, tenant son neveu Asif, le frère du garçonnet disparu, dans ses bras, nous fait la déclaration suivante : “Mo neveu ine vine nu frère aster”. Le défunt Sheik Ahmad Hamza avait cinq frères et deux soeurs. Tous sont marqués par ce drame.
Chez les Dastofir, à Quinze Cantons, une atmosphère des plus tendues règne. Les visages font peine à voir. Ils sont nombreux ceux venus témoigner leurs sympathies à la famille endeuillée.
Tibye semble le plus affecté. Le visage du vieil homme témoigne de la peine qu’il endure. Interrogé sur son fils, le septuagénaire nous dresse un portrait des plus éloquents de ce dernier : “Il était ambitieux et débrouillard. Il était très connu dans la localité. Beaucoup de gens l’aimaient”.
Tibye en profite aussi pour remercier tous ceux qui les ont aidés. Il remercie aussi tous ceux qui ont présenté leurs sympathies à la famille.
Le chauffeur craint pour sa sécurité
Lorsque la conversation tourne autour des circonstances de l’accident et le rôle du chauffeur du camion fou, les commentaires vont bon train, mais tous accusent Vikash Jagoo, le chauffeur du poids lourd.
Ce dernier a été arrêté le soir de l’accident. Il a comparu devant le tribunal de Moka sous une accusation provisoire d’homicide involontaire et a été libéré après avoir fourni une caution de Rs 50 000 en début d’après-midi de vendredi dernier. Sa prochaine comparution en Cour est prévue pour le 29 juillet prochain.
Après avoir retrouvé la liberté après une nuit en cellule policière, Vikash Jagoo n’a pas voulu faire de déclaration à la presse. Son homme de loi, Me Yves Hein, nous a dit pour sa part qu’il n’avait, lui non plus, aucune déclaration à faire. C’est aussi motus, bouche cousue du côté de l’employeur de Vikash Jagoo.
Dans sa déposition aux enquêteurs du poste de police de Moka vendredi dernier, Vikash a expliqué que “mone perdi kontrol mo kamion” sur l’autoroute qui était arrosée, dit-il, d’une pluie fine au moment de l’accident.
Le chauffeur du camion fou, un habitant de Khoyratty, Pamplemousses, âgé de 34 ans, précise qu’il roulait à 40 km/h comme l’autorise la loi pour ce type de véhicule. Une boîte noire se trouvant dans le camion peut servir de preuve, dit-il, lors d’une expertise pour déceler une possibilité de défaillance mécanique.
Le camion roulait en direction de Port-Louis alors que le taxi roulait en sens inverse, en direction de Réduit.
Vikash Jagoo ajoute, dans sa déposition à la police, que son véhicule a dérapé lorsqu’il a appliqué les freins, dans un premier temps, et qu’en rétrogradant pour se rabattre sur la droite, il a vu un autobus de la ‘United Bus Service’qui était en panne sur la gauche.
Le camion a traversé le terre-plein pour rouler à contresens sur l’autre voie rapide.
Avant de s’immobiliser, le poids lourd a écrabouillé le taxi conduit par Sheik Ahmad Hamza et heurté sur son passage quatre autres véhicules. Les occupants de ces derniers s’en sont heureusement sortis avec des égratignures.
Vikash craint pour sa sécurité. C’est ce qu’il a fait comprendre aux enquêteurs du poste de police de Moka, vendredi dernier. Conduit sur les lieux de l’accident en compagnie de son avocat avant sa comparution en Cour, Vikash n’est pas descendu de la voiture policière qui le transportait parce que des proches des victimes étaient sur les lieux.
Funérailles la nuit
Interrogé sur des éventuelles poursuites contre le chauffeur du camion fou, Tibye nous fait la déclaration suivante : “Si Allah ine appelle zot, mo respecté so choix. La police bisin faire so travail. Sofer la bisin coz la vérité lors ene plan humanitaire. Pa pu kapav réclame li mo garçon et mo ti zenfan”.
C’est en présence d’une foule de sympathisants que les funérailles des victimes ont eu lieu dans la nuit de jeudi dernier aux alentours de 23 heures au cimetière de Phoenix après les autopsies.
Plusieurs personnalités étaient présentes à Quinze Cantons, Vacoas, où habitent les Dastofir, les Korimbaccus et les Causmally.
On pouvait voir Steven Obeegadoo, ministre de l’Éducation et député de la localité, Leela Devi Dookhun, PPS et député de la localité, le leader du Hizbullah, Cehl Meeah, Mes Shakeel Mohamed et Ashley Hurhangee.
Le lendemain, c’est le vice-président de la République, Raouf Bundhun, qui s’est rendu chez les proches des victimes. Rentré d’une mission à l’étranger, Showkutally Soodhun, ministre du Travail et député de la localité, a tenu, lui aussi, à présenter ses sympathies aux familles endeuillées.
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Quand des ‘camions fous’ sèment la mort
Le drame tel que celui survenu jeudi n’est pas le seul qu’a connu Maurice. C’était le 25 avril 1995, à Bell Village. Un camion fou - après que ses freins eurent lâché - tua huit passagers d’un autobus de la CNT. L’autobus fut réduit en un amas de tôle. 20 ans plus tôt, le 12 août 1975, un accident impliquant aussi un camion dont les freins avaient lâché causa la mort de 15 personnes à Rose-Belle. Ce drame devait, à l’époque, soulever un grand élan de solidarité dans le pays. Le lendemain de l’accident fut décrété jour de deuil national et plus de 50 000 Mauriciens apportèrent leur soutien aux familles des victimes en accompagnant les cortèges funèbres.