Pramode Jaddoo et Rajen Narsinghen
Navin Ramgoolam contre le gros capital. Voilà un combat que le leader du PTr semble avoir à coeur. À tel point que son discours devient plus radical, plus cru. C’est ce que ceux présents au meeting du PTr le 1er Mai dernier ont constaté. Pramode Jaddoo et Rajen Narsinghen, ‘Senior Lecturers’ au ‘Mauritius Institute of Education’ (MIE) et à l’Université de Maurice respectivement, commentent, chacun à sa façon, le discours du leader du PTr.
Q: Le discours de Navin Ramgoolam contre le gros capital semble plus radical. Qu’en pensez-vous?
Pramode Jaddoo: Il a compris que sa politique de démocratiser l’économie n’a pas été bien comprise par le petit peuple. Il a également obtenu la confirmation qu’il avait été renversé par le gros capital qui sort gagnant avec le régime actuel. Notre économie est en grande partie contrôlée par une poignée de personnes du gros capital; c’est ce qu’il voulait toucher mais il n’a pas pu le faire. Maintenant, sachant qu’il a une grande popularité parmi le petit peuple, il a le courage de venir dénoncer ouvertement ce qu’il faisait diplomatiquement quand il était au pouvoir.
Rajen Narsinghen: La différence dans le discours de Navin Ramgoolam, c’est qu’auparavant il était dirigé contre le secteur privé mais maintenant, il l’est davantage contre un groupe ethnique qui dirige l’économie. S’il est contre le capitalisme, ce doit être ‘across the board’ sans cibler une communauté particulière. Pour pouvoir vraiment démocratiser l’économie, il faut absolument ne pas donner une couleur ethnique. Si Navin Ramgoolam adopte cette politique, il sera sur la bonne voie.
Q: Est-il sincère, selon vous, quand il s’attaque au gros capital?
Pramode Jaddoo: Je pense qu’il est sincère dans ce qu’il dit. Il exprime le sentiment du petit peuple. Il est leur représentant. Le discours de Navin Ramgoolam vient du coeur et est accepté par la masse mais il va être jugé la-dessus quand il sera au pouvoir.
Rajen Narsinghen: C’est difficile de dire si Navin Ramgoolam est sincère ou pas. Que ce soit le PTr, le MMM ou le MSM, ces partis ont tous pratiqué le capitalisme quand ils étaient au pouvoir. On ne peut pas savoir si Navin Ramgoolam dit qu’il est contre le gros capital juste parce qu’il est dans l’Opposition ni s’il va avoir le même discours quand il sera à nouveau au gouvernement.
Q: Il précise qu’il n’est pas contre le secteur privé mais contre la petite poignée de gens qui en tirent le plus de bénéfice. Vos réactions?
Pramode Jaddoo: Le secteur privé n’est pas que le ‘Joint Economic Council’ (JEC). Ce dernier représente seulement un certain type de secteur privé. Mais il y a également les banques, les assurances, les Petites et Moyennes Entreprises (PME), le service tertiaire, notamment le secteur du transport, le secteur agricole. Ce ne sont pas ceux-là que Navin Ramgoolam menace mais bien la petite poignée de gens qui représente le gros capital.
Rajen Narsinghen: C’est un peu flou. Comment peut-on dire qu’on n’est pas contre le secteur privé mais contre le gros capital. Moi, je dis qu’il faut démocratiser d’une façon ‘genuine’ mais qu’il faut laisser le temps faire son travail. Si on attaque le gros capital d’un seul coup, il y a des risques de dérapages. Maurice peut se retrouver comme le Mozambique. Il faut procéder d’une façon pragmatique pour éviter le boycott économique du gros capital.
Q: Qu’est-ce qui explique, selon vous, ce discours plus radical dont Navin Ramgoolam s’est servi le 1er Mai?
Pramode Jaddoo: Le PTr actuel représente le MMM des années 70. D’abord, dans la réorganisation du PTr qui est en train de faire revivre une structure négligée par le MMM. Ensuite, dans le recrutement de jeunes professionnels dynamiques, chose que faisait le MMM auparavant. Le PTr prépare son avenir alors que le MMM est en train de vieillir. Il y a également le contrat social du PTr qui veut amener tous les Mauriciens à bénéficier des retombées de l’économie. Le PTr prône une politique issue du marxisme et du socialisme ‘revisited’ et son leader est beaucoup plus accessible. C’est un leader qui a connu beaucoup de difficultés et qui est tout à fait conscient maintenant de ce qui est bien et de ce qui est mal pour les Mauriciens.
Rajen Narsinghen: Le militantisme, on voit ça d’une façon antagoniste. C’est le petit peuple contre le gros capital et vice-versa. La question qu’il faut se poser, c’est si Maurice est prête pour une rupture. Il faut, d’après moi, penser en termes de redistribution des richesses, d’augmentation de la productivité. Il y a des gens qui travaillent dans les secteurs de la zone franche et de l’industrie sucrière qui sont surexploités. D’autres personnes dans d’autres secteurs ne travaillent pas assez.
Q: S’il accède au pouvoir de nouveau, pensez-vous qu’il puisse réellement arriver à démocratiser l’économie comme il dit le souhaiter?
Pramode Jaddoo: Je pense qu’il peut réussir car il est sincère dans ce qu’il dit. Mais il faut également de la volonté. Quand il sera au pouvoir, il ne faut pas qu’il demande une, deux ou trois années pour réaliser son projet de démocratiser l’économie. Nous avons un système trop basé sur le capitalisme qu’il faut démanteler avec vigueur. La structure économique doit également être revue. Certaines activités sont contrôlées par le gros capital; il faut au contraire encourager la compétition de l’intérieur comme de l’extérieur pour faire baisser les prix dans l’intérêt du consommateur. Le fonctionnement du secteur public ne doit pas être négligé. L’État aussi doit devenir plus efficace et donner le bon exemple avec ses institutions économiques. C’est une grande responsabilité. Le public a beaucoup de patience dans l’attente d’un changement. Quand ce sera l’heure, il demandera des comptes et il faudra venir avec des preuves.
Rajen Narsinghen : Je pense surtout qu’il faut qu’il soit concret. Comment redistribuer la richesse? Va-t-on reprendre les terres sur lesquelles sont construits des hôtels? Il faut repenser les lois. Soit on est capitaliste, soit on est socialiste. Mais avec la mondialisation et la politique libérale prônée par les États-unis, les choses ont changé. Tout le monde est plus ou moins d’accord avec le capitalisme. Mais quelle alternative trouver au capitalisme pur et dur? Il y a les pays scandinaves, la Suède, la Norvège et le Danemark, qui prônent le capitalisme mais qui privilégient aussi une politique sociale, soit une redistribution plus ou moins équitable de la richesse. S’il est vrai que Navin Ramgoolam veut démocratiser l’économie, il faut qu’il donne la chance à tout le monde d’avoir accès à des facilités de crédit, à des permis. Il ne faut surtout pas essayer d’éliminer 17 familles blanches pour les remplacer par 40 ou 45 familles d’une autre communauté.