Philippe Calou
Son amour illimité pour Dieu le pousse à pardonner. Philippe Calou a le coeur “clair” depuis qu’Antoine Chetty, un des huit suspects dans l’affaire Deelchand, a dévoilé à la police qu’il est l’un de ses deux agresseurs. Philippe Calou pardonne à Antoine Chetty “devan Bondié” d’avoir voulu lui ôter la vie parce que celui-ci s’est repenti : ce geste, il le fait parce que “Jésus même ti pardonne so bourreau, abé ki fer mo pa kapav fer pareil”.
Quatre ans se sont écoulés depuis cette agression sauvage. Les plaies se sont cicatrisées, mais pas celles du coeur. Philippe Calou souffre au fond de lui-même. Il est traumatisé. À l’évocation de son agression au sabre, le vieil homme panique. Les souvenirs sont encore trop vivaces. Les images défilent, comme dans un film, dans sa tête, lui rappellent les coups de ces armes tranchantes sur le dos, sur la la tête, sur tout le corps. Il ne peut soutenir de revivre ce passé douleureux et lâche en sanglots : “Pa ti facile, mone trouve la mort devant mwa. Bondié grand, line épargne mo la vie”.
C’est ce même amour pour le Tout-Puissant qui le pousse aujourd’hui à pardonner à Antoine Chetty sa tentative de meurtre sur sa personne.
Philippe Calou regrette même d’avoir traité le suspect d’“assassin” le jour de la reconstitution de son agression mercredi dernier : “Mone laisse mo douleur kozé (les larmes accompagnent ses paroles, ndlr). Mo ti bisin remercié li parski li même ine dévoile li à la police couma mo agresseur”. Mais il se reprend.
Philippe Calou pense que c’est à la justice maintenant de faire son travail : “La loi des hommes le jugera, il devra payer les conséquences. L’argent l’a conduit à l’erreur, il doit songer qu’il est un humain tout comme moi et qu’il a tenté de m’ôter la vie”.
Tout comme le chef de famille, Lucienne, son épouse, et leur fille Gilberte, de foi adventiste (comme Philippe Calou catholique converti à cette religion il y a 25 ans) accordent leur “pardon” à Antoine Chetty.
Les larmes aux yeux, Gilberte dit avoir craint le pire pour son père: “Quelques heures après son agression, je me suis rendue à l’hôpital. Il était aux environs de 10h00. Les infirmiers m’ont autorisée à entrer dans la salle; je me suis alors dit que cette permission hors des heures de visite était une indication que mon père n’allait pas survivre (elle ne peut continuer le récit et pleure, ndlr). J’étais plus affligée quand il m’a tenu la main pour me dire : “Papa pé allé, dir mwa aurevoir”. Et d’ajouter : “Cette agression n’a pas fait qu’une victime en la personne de mon père. À l’époque, j’étais enceinte d’un mois, je venais de me marier. Le choc causé par son agression m’a fait faire une fausse couche”.
Sécurité en danger
La peur d’une nouvelle agression hante toujours les Calou. Un appel anonyme reçu le vendredi 30 avril dernier les effraie à nouveau. “Ène la voix zom dire mwa avant li raccrocher : To enkor continué are sa zaffair rempli la gazette là. Rempli même, so dernier mot to pu coné”, déclare le vieil homme. Il n’a pas fait de déposition à la police parce qu’il n’a plus confiance en celle-ci : “L’ADSU même ine vine guette mwa kan zafaire Deelchand ine éclaté mais mone refusé done l’enquête parski la police ine pran quatre ans pur faire ène l’enquête kan mo ti fini done zot noms”. Selon la police, les suspects étaient ‘unknown’.
Son amertume pour la police s’intensifie après que “mo tifi ine fatigue téléphone zot pu conne l’évolution l’enquête mais à chaque fois banne policiers dir pa pé gagne Veeren (Moonsamy Mooraghen,ndlr) kan mo ti fini donne zote so l’adresse Curepipe”. Son épouse ajoute : “Nous vivons dans la peur”.
Flash back. 17 janvier 2000 à Le Bouchon. Il est 05h40. Les rayons du soleil levant caressent l’asphalte. Chaussé de bottes en caoutchouc et vêtu de l’uniforme de l’usine Mon Désert Mon Trésor, Philippe Calou, 59 ans, accroche son panier contenant son ‘cathora’ à côté de ses outils de travail au guidon de sa bicyclette. Aujourd’hui, la tâche de ce laboureur - avec quarante ans d’expérience derrière lui - consiste à débarrasser un champ de cannes de leurs mauvaises herbes. Sifflotant l’air du cantique ‘Dieu me conduit’ qu’il affectionne particulièrement, il enfourche sa bicyclette.
Appels à Dieu
À un tournant, à quelques centaines de mètres de son domicile, la mort le guette. Dissimulés derrière les cannes poussant en bordure de la route, deux hommes encagoulés et armés de sabres l’attendent. Lorsque Philippe Calou arrive à leur hauteur, l’un deux s’écrie : “Ala lila Antoine”. Le vieillard n’a pas le temps de réagir. Il reçoit un coup d’un objet tranchant sur le dos. Un deuxième sur la tête le fait chuter de sa bicyclette. Ses agresseurs ne s’arrêtent pas. Ils assaillent de plus bel leur victime.
D’ailleurs, dans sa déposition après son arrestation avec 825 grammes de drogue, Antoine Chetty, l’un des deux agresseurs et aussi le principal dénonciateur dans l’affaire Deelchand, a avoué qu’il avait été chargé par son patron, le notaire Veenay Deelchand (celui-ci a été arrêté après qu’Antoine Chetty l’eût désigné comme étant celui qui lui avait remis la drogue saisie chez lui; Chetty a aussi avoué que le notaire était l’instigateur du meurtre par overdose de Parvez Damree, il y a dix ans, de l’incendie du garage d’Anwar Toorabally, de la tentative d’assassinat de Fezçal Buglah. Pour ne citer que les cas les plus importants, ndlr), d’éliminer Philippe Calou. “Nu ti vine pou touyé pa pu blessé. Mo fine batte Calou avec une telle violence ki lame mo sabre ine gagne lédent ler mo ine tape lor so la tête. Ler mo tape mo sabre lors so lipied, so lézo crasé couma bouteille ”, a-t-il raconté à la police.
Plié sous les coups, Philippe Calou demande pardon . “J’ai crié : Antoine arrête batte moi. Pardon Antoine. Pardon Antoine. Pardon, Sénieur Zésus, sappe mo la vie Bondié”, se souvient-il en pleurant. Mais ses supplications ne font pas fléchir ses “bourreaux”.
L’arrivée d’un autobus vient couper court à la mission de ces derniers. Avant que les deux hommes masqués ne prennent la fuite, la victime réussit à saisir un deuxième prénom, un autre indice sur leur identitié : “L’un deux a crié : Nou alé Veeren”.
Des monstres aux visages humains
Le corps mutilé, Philippe Calou veut survivre. Il scrute la route et voit Abel Pascal, un ami, qui se rend à la sucrerie pour travailler. Il rassemble toutes ses forces et l’appelle à l’aide. “Son corps portait plusieurs blessures. J’ai été étonné qu’on ait pu en vouloir à Philippe Calou, lui, un homme doux et calme”, se souvient Abel Pascal.
Avant de l’envoyer chercher du secours, Philippe demande à Abel de lui enlever ses bottes. Celui-ci s’exécute. Ce qu’il voit alors le fait reculer d’un pas : le tibia a été partiellement sectionné, un morceau de chair le retient toujours. “En même temps ki mo pé retire son botte, mo pé peur tension ki bane agresseurs là retourné”, nous dit Abel Pascal.
Lucienne, qui avait déjà songé au pire en apprenant la nouvelle, accourt en criant :“Mon mari fine mort”. Elle le retrouve complètement affaibli. Soulagée, elle soupire : “Il est en vie”.
Quand la police pointe cinq minutes plus tard, Philippe Calou balance les noms d’Antoine Chetty et Moonsamy Moorgahen (dit Veeren) comme étant ses agresseurs (voir hors texte)- le deuxième suspect, arrêté après avoir été dénoncé par Antoine Chetty, nie avoir participé à l’agression du sexagénaire.
Gilberte se souvient même qu’avant que son père ne soit conduit dans la salle d’opération, le policier qui a consigné la déposition de son père “a pris son pouce, l’a imprégné d’encre avant de l’appliquer au bas de la déposition comme signature”. Quelques jours après sa sortie de l’hôpital, un policier s’est présenté chez Philippe et celui-ci a répété la déposition qu’il avait faite le jour de l’agression.
Selon la déposition d’Antoine Chetty, en apprenant que la cible Calou était encore en vie “Deelchand ine mari en colère ler line apran ki Calou pas fine mort. Dépi l’agression, li ti en communication permanent are lopital pu conné si line mort”.
Aujourd’hui, après trois opérations, Philippe Calou est partiellement infirme il ne peut pas fléchir les genoux. Il tente de reprendre une vie normale auprès de ses six enfants qu’il a failli ne plus jamais revoir.
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Quatre arpents de terrain : sujet de discorde
C’est en 1995 que Philippe Calou connaît ses premières tribulations avec le duo Chetty/Mooraghen. Alors qu’il a eu l’autorisation d’Eddy Du Pavillon, l’héritier et propriétaire d’un terrain de quatre arpents à Le Bouchon, pour créer un potager, Philippe Calou voit débarquer un beau jour Antoine Chetty et Moonsamy Mooraghen. Ce dernier se présente comme le propriétaire du terrain.
Surpris, Philippe Calou va s’informer auprès d’Eddy Du Pavillon qui le rassure en ces termes : “Je n’ai pas vendu mon terrain. Tu peux continuer à l’occuper”. Pour que Philippe soit davantage rassuré un contrat de location à ‘bail’ en bonne et due forme est établi. Mais à la grande surprise de Philippe Calou, les visites des deux compères deviennent plus régulières. “Au départ, je les ai invités à venir prendre le thé chez moi mais après, j’ai coupé tout contact avec eux”, raconte-t-il. Selon la victime, Moonsamy Mooraghen lui a demandé “d’arrête planté lors terrain. To pas compran ki li pa pu sa vié c… blanc là astère”. Mais ayant eu la double assurance d’Eddy Du Pavillon qu’aucune vente n’a été faite, Philippe Calou persiste et... plante.
Quelques jours avant son agression, il est averti, par un de ses amis, qu’il y avait un complot ourdi par Antoine Chetty et Moonsamy Moorghen pour le tuer. L’éxécution du complot a lieu quelques jours plus tard. Nous avons tenté d’avoir une déclaration de cet ami mais en vain.
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Anju Lallah libre
Le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) a décidé de rayer, mardi dernier, la charge de possession de drogue qui pesait sur Anju Lallah, la concubine d’Antoine Chetty. Elle est la seule des protagonistes à avoir été libérée; elle était défendue par Me Yatin Varma.
Par ailleurs, la police a procédé à la reconstitution de trois des divers délits dans lesquels avait participé Antoine Chetty : l’incendie du garage d’Anwar Toorabally, l’agression de Lalldev Gujadhur et celle de Philippe Calou.