Raj Mathur et Ashok Subron
Le ministre de la Pêche et leader du parti Les Verts/OF a choisi de s’abstenir lors du vote sur la loi sur les Organismes génétiquement modifiés (OGM) à l’Assemblée nationale le mardi 22 mars dernier. Un ministre peut-il s’opposer à la décision du gouvernement et rester au sein du même gouvernement? Raj Mathur, Professeur en Sciences politiques à l’Université de Maurice, et Ashok Subron, de Lalit, nous donnent leurs points de vue.
Q: Que pensez-vous de l’attitude de Sylvio Michel à l’Assemblée nationale concernant le projet de loi sur les OGM?
Raj Mathur: Tout le monde, y compris le PM, était au courant de la position de Sylvio Michel et du parti qu’il dirige, les Verts/OF, sur la question des OGM. Ils avaient décidé de faire de cela une question de principe et, en s’abstenant de voter la loi sur les OGM, ils n’ont pas été obligés de renoncer à leurs principes. Il est vrai que la responsabilité collective est un des principes sacro-saints d’un gouvernement mais, dans le contexte mauricien, elle ne peut être appliquée dans toute sa rigidité.
Ashok Subron: En s’abstenant de voter en faveur ou contre la loi sur les OGM, Sylvio Michel a remis en question, a trahi ses propres convictions. S’il était un vrai militant écologiste, il devrait voter contre cette loi qui n’est pas, à notre avis, une simple loi mais a une portée historique. Cette loi aura une incidence sur l’humanité et la planète, y compris évidemment Maurice. En s’abstenant, Sylvio Michel n’a pas prouvé qu’il était contre le gouvernement. Il a fait connaître ses opinions mais c’est l’acte qui compte. Ce n’est qu’en votant contre la loi sur les OGM qu’il aurait pu démontrer son désaccord.
Q: Aurait-il dû démissionner de son poste de ministre ou est-ce que le PM aurait dû le contraindre à démissionner ou le révoquer?
Raj Mathur: Dans un monde parfait, un ministre qui n’est pas d’accord avec le gouvernement peut démissionner ou être contraint à la démission. Mais à Maurice, nous vivons dans une société hétérogène où il faut ménager les susceptibilités, les sensibilités de tout un chacun. De plus, nous avons le plus souvent des gouvernements de coalition dont les différents partis représentent un groupe socioéconomique. Il faut, donc, une certaine flexibilité concernant les principes comme la responsabilité collective, sinon le gouvernement ne peut pas survivre. Dans un ‘one-party government’ comme en Angleterre, c’est plus facile d’appliquer de tels principes. Par ailleurs, il y a eu un cas presque similaire à celui de Sylvio Michel sous le règne de SSR quand le ministre Harryparsad Ramnarain s’était abstenu de voter une loi jugée répressive contre les syndicats.
Ashok Subron: Nous pensons qu’après s’être abstenu de voter en faveur ou contre la loi sur les OGM, Sylvio Michel aurait dû démissionner de son poste de ministre et siéger comme ‘backbencher’. Qu’il se soit abstenu et n’ait pas démissionné démontre un demi-courage qui ne fait pas honneur à ses convictions proclamées. Il est certain que le PM aurait dû le pousser à soumettre sa démission. Mais ce dernier manque autant de courage et de principes que Sylvio Michel. Robin Cook, un ministre anglais, a démissionné pour manifester son désaccord sur la position de Tony Blair et d’autres ministres sur la question de l’Irak; Jean-Pierre Raffarin a présenté sa démission après les élections régionales en France. Il y a des principes à respecter. Il faut aussi respecter ce que l’on croit et respecter le citoyen.
Q : Pourquoi Sylvio Michel n’a-t-il pas démissionné et pourquoi le PM ne l’a pas contraint à le faire?
Raj Mathur: Sylvio Michel n’a pas démissionné car, comme il l’a dit lui-même, il a trouvé que malgré tout, le gouvernement a beaucoup fait pour le groupe qu’il représente. Il a réussi à garder ses principes et à amener le gouvernement à faire quelque chose pour le groupe socioculturel qu’il représente. De plus, quel gouvernement laisserait partir un parti, aussi petit soit-il mais qui représente un groupe socioéconomique important ? Il y va de l’avenir du gouvernement qui en sortirait affaibli.
Ashok Subron: C’est en raison de calculs bassement politiques et électoraux car nous venons de sortir d’une élection partielle et allons vers une élection générale dans quelque temps. Les agissements de Sylvio Michel et du PM ne sont pas différents des manoeuvres des politiciens carriéristes et des partis ‘cassé rangé’ qui ont gouverné le pays. Ce sont les ‘vested interests’ communaux et économiques qui ont pris le dessus.
Q: Sylvio Michel est allé - si l’on peut dire - contre le principe de la responsabilité collective. Quelle est la part de ce principe au bon fonctionnement d’un gouvernement?
Raj Mathur: Selon le principe de la responsabilité collective, les ministres ont le droit d’exprimer leurs points de vue durant la réunion du Cabinet mais, à la fin de la journée, c’est la majorité qui l’emporte et tous les ministres doivent soutenir la décision finale même s’ils sont contre. Sinon, ils n’ont d’autre choix que de démissionner et de défendre leur position en tant que ‘backbenchers’. Mais comme je l’ai déjà dit, à Maurice il est difficile d’appliquer ce principe dans toute sa rigidité.
Ashok Subron: C’est plus qu’une responsabilité qui doit primer au sein d’un gouvernement. Ce dernier est l’incarnation d’une politique commune que le parti au pouvoir détient. Dans ce cas, soit on est d’accord avec cette politique commune, soit on exprime son désaccord en démissionnant.