kadress Pillay et Clency Appavou
Le rapport de l’Audit paru la semaine dernière est accablant pour tous les ministères. Toutefois, aucune mesure ne peut être prise contre les concernés car le directeur de l’Audit n’a ni pouvoir de sanctions ni de recommandation de sanctions. Kadress Pillay, ancien directeur de l’Audit, et Clency Appavoo, ‘Senior Partner’ chez Appavoo Associates, nous donnent leurs points de vue.
Q: Que pensez-vous de l’Audit et de son dernier rapport sur les ministères?
Kadress Pillay: L’Audit est une institution incontournable dans toute démocratie qui se respecte; l’exercice d’audit, c’est de ‘rendre compte’. Le dernier rapport ne fait que souligner, comme l’ont fait les rapports précédents, un certain laxisme dans la gestion des fonds publics. C’est le résultat de plusieurs facteurs: (1) une certaine inconscience des politiques du rôle primordial de l’audit dans le processus démocratique, (2)des structures de gestion désuètes, (3) un encadrement légal inadéquat dans la fonction de l’audit public et (4) un certain laisser-aller au niveau des ministères.
Clency Appavoo: Je suis terriblement choqué. Le gouvernement fait des lois pour le secteur privé en vue d’une refonte complète de la profession comptable à Maurice, une initiative que les gens du métier accueillent favorablement d’ailleurs. Mais à l’intérieur même des organismes de l’État, cela ne fonctionne pas bien. C’est une chose très grave car au niveau des finances publiques, c’est l’argent des contribuables qui entre en jeu. On parle beaucoup de ‘Corporate governance’ dans le secteur privé, cela devrait aussi s’appliquer au secteur public.
Q: En cas de rapport défavorable, aucune sanction ne peut être prise contre les concernés car le directeur de l’audit n’a pas le pouvoir de sanction. Trouvez-vous que c’est normal?
Kadress Pillay: Ce n’est pas nécessaire que le directeur de l’Audit ait le pouvoir de sanction parce qu’il ne peut pas être juge et partie en même temps. Il revient à un ‘Public Accounts Committee’ restructuré et modernisé de recommander des sanctions à la ‘Public Service Commission’ avec l’aval du Parlement, si c’est nécessaire. L’ultime sanction, toutefois, repose sur l’opinion publique qui, à travers son droit de vote, signifie sa désapprobation au moment des élections générales.
Clency Appavoo: Le directeur de l’Audit ne doit pas avoir de pouvoir de sanction car ce serait contraire à son rôle de chien de garde et à son statut d’indépendant par rapport aux institutions au pouvoir. Par contre, le gouvernement, à travers le Parlement et les organismes tels que le ‘Public Accounts Committee’ ou le ‘Management Audit Bureau’, aurait dû prendre les sanctions qui s’imposent en cas de rapport défavorable. Les mesures disciplinaires devraient être très sévères.
Q: Dans ce cas, quelle est l’utilité du rapport que l’Audit fait sur les ministères?
Kadress Pillay: Le rapport de l’Audit est utile parce qu’il met au grand jour les lacunes dans le système de gestion des finances publiques. C’est aux médias, aux parlementaires et à l’opinion publique de faire le suivi.
Clency Appavoo: Le rapport de l’Audit a tout son poids et cet organisme doit continuer à exister. À travers son rapport, l’Audit assume son rôle de chien de garde. Quant aux suites à être données, elles relèvent de la responsabilité du gouvernement.
Q: Selon vous, à quoi sert ou devrait servir un rapport d’audit, que ce soit dans le secteur public ou privé?
Kadress Pillay: Un rapport d’audit doit nous permettre de nous assurer que chaque sou est dépensé conformément aux règlements ou lois y relatifs, que l’objectif pour lequel l’argent est dépensé est atteint et qu’il n’y a pas de fraudes, de gaspillages, de pertes, d’extravagances et de dépenses inutiles. Du côté des revenus, l’audit doit s’assurer que le mécanisme d’évaluation, d’imposition et de collection est tel que toutes les recettes potentielles sont collectées et comptabilisées à temps.
Clency Appavoo: Que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé, l’audit a la même fonction. L’auditeur donne son opinion sur le bilan financier de l’entreprise et, à partir de là, c’est le conseil d’administration qui décide des sanctions à prendre s’il y a des irrégularités. Dans ce cas, il y a des sanctions internes à l’entreprise et le côté criminel qui est la responsabilité de la police ou autre.
Q: Qu’en est-il du secteur privé? Est-ce que l’auditeur a le pouvoir de sanctions ou de recommandation de sanctions?
Kadress Pillay: L’audit privé n’a pas de pouvoir de sanctions. Il devrait, selon moi, suivre les mêmes objectifs d’un audit public mais nous sommes malheureusement bien loin de tout cela puisque l’audit privé est très limité dans son approche. Il y a un sérieux besoin de revoir l’encadrement légal de l’audit public et privé à Maurice.
Clency Appavoo: Dans le secteur privé, l’auditeur n’a pas le pouvoir de sanctions ou de recommandation de sanctions. Il donne son opinion sur les comptes de l’entreprise et ça s’arrête là. L’auditeur n’est pas un policier, ni le DPP ni le Parlement. Il est un chien de garde.