Rookaya Kassenally et Naushad Ramoly
Les récents ‘dérapages’ sur les ondes ont suscité une levée de boucliers du gouvernement contre les radios privées. Rookaya Kassenally, responsable du département Communication à l’Université de Maurice et Naushad Ramoly, légiste qui s’est spécialisé dans le droit des médias, nous donnent leurs points de vue sur les ‘dérapages’ et l’intervention du gouvernement.
Q: Il a été beaucoup question de ‘dérapages’ ces derniers temps sur les radios privées. Que veut dire ‘dérapage’ pour vous et comment réagissez-vous par rapport à cette situation?
Rookaya Kassenally : D’abord, il est important de définir le mot dérapage, un mot qui veut dire beaucoup de choses pour beaucoup de personnes. Pour moi, il y a eu certes des occasions où des personnes ont dit sur les ondes des radios privées des choses qui ont causé un embarras culturel, politique ou ethnique. Il faut que les radios privées fassent attention en ce qui concerne les propos et les débats sur les ondes. Pour ce faire, il faudra garder en tête le ‘set-up’ de la communauté mauricienne et le fait qu’elle est ethniquement fragilisée depuis les émeutes de 1999.
Naushad Ramoly : Je dirai que cette question est sur la table depuis l’existence des radios privées à Maurice. Cependant, eu égard à l’aspect communautaire, la question devient plus sensible. Le terme ‘dérapage’ est indéfinissable. Je dirai que selon les principes de notre Constitution, chaque personne est libre d’émettre son opinion aussi longtemps qu’elle le fait à l’intérieur des restrictions imposées par la Constitution, notamment les lois régulant la sédition et la diffamation.
Q: Que pensez-vous de la levée de boucliers du gouvernement contre les radios privées? Cela vous donne-t-il l’impression que le gouvernement cherche à contrôler les radios privées?
Rookaya Kassenally : Il ne faut pas confondre intérêt et engagement avec interférence dans ce cas précis. Je pense que l’engagement découle d’un intérêt vrai. Notre gouvernement, comme celui de tout autre pays, a un droit de regard sur le fonctionnement des radios privées. Cet aspect est aussi la responsabilité des régulateurs comme l’IBA, de ceux qui diffusent l’information et aussi de l’audience. Chacun doit se sentir concerné et oeuvrer afin de trouver un consensus.
Naushad Ramoly : J’ai cru comprendre que le Premier ministre a rencontré les directeurs des radios privées et que toutes les parties concernées étaient satisfaites de la réunion. De ce fait, il m’est difficile de faire des commentaires sur cette affaire. D’autre part, je crois que l’IBA a été très prudente concernant la question et qu’elle a essayé de proposer certaines mesures pour remédier au problème de dérapages sur les ondes des radios privées.
Q: Le gouvernement et l’IBA ont fait plusieurs propositions, dont un ‘broadcast delay’, une formation plus soutenue pour les journalistes, entre autres, pour éviter les dérapages à l’antenne. Vos réactions?
Rookaya Kassenally : Je pense que dans tous les pays il y a des mécanismes qui sont mis en place, surtout avec les émissions en direct. Le ‘broadcast delay’ est important. Un autre mécanisme important pour éviter les dérapages à l’antenne serait un ‘editorial control’. La BBC a été condamnée dans l’affaire Kelly pour ne pas avoir fait un ‘editorial screening’. Dans le monde de la radio, de la télévision ou de la presse, tout est défini par la part d’audience ou de lecteurs, ce qui fait que le sensationnel est parfois privilégié et un contrôle interne est nécessaire. Par ailleurs, les producteurs indépendants qui font des émissions pour les radios doivent être mis au courant des paramètres dans lesquels ils doivent évoluer. Quant aux journalistes, il faut définir quel type de formation leur donner. Ils doivent apprendre à être plus responsables, à diffuser des informations crédibles et à traiter comme il se doit des sujets sensibles.
Naushad Ramoly : Je crois que si nous voulons être prudents, nous pouvons aller très loin. Mais jusqu’à quel point pouvons-nous être prudents? La liberté d’expression a été définie par la Cour européenne de justice comme incluant des déclarations qui choquent, offensent et dérangent. Maintenant, c’est une chose de dire que nous ne devons rien dire en violation d’une loi, mais c’est une autre chose que de dire que nous ne voulons pas entendre les faits qui dérangent et choquent. La sédition est un délit ainsi que la diffamation. Donc, n’importe quelle personne qui viole ces lois devra en répondre. Mais peut-on empêcher les gens de parler des questions qui les préoccupent même si c’est d’une manière qui peut paraître injuste? Sommes-nous en train de dire que la population mauricienne n’est pas assez mûre pour entendre des propos choquants et dérangeants mais tout à fait légaux? La prochaine question est : sommes-nous prêts pour les radios privées?
Q: De votre côté, que proposez-vous pour y remédier?
Rookaya Kassenally : J’ai déjà répondu en partie à cette question mais j’ajouterai qu’il faut aussi créer une audience responsable. Il ne faut pas non plus que les auditeurs viennent dire n’importe quoi à l’antenne. La formation est essentielle pour que les dérapages soient évités à tous les niveaux. Il faut des débats intelligents - pas d’une façon élitiste - mais mûrs et réfléchis.
Naushad Ramoly : Je crois que nous devons faire preuve d’éthique et être responsables. Cela passe par la façon dont les journalistes gèrent des questions difficiles et c’est pour cette raison que je suis pour la formation. Mais nous devons permettre des débats libres. Je peux vous dire que des candidats de l’extrême droite en France ont tenu des propos racistes mais que cela fait partie de la démocratie.