Alors que l’‘Industrial and Vocational Training Board’ (IVTB) fête ses 15 ans d’existence, un sérieux manque de main-d’oeuvre qualifiée se fait sentir dans certains secteurs. Roland Dubois, directeur de l’IVTB, et le Dr Rechad Sayfoo, directeur du ‘Vocational Training Institute’ (VTI), nous parlent des défis que doit relever le secteur de la formation dans l’île Maurice d’aujourd’hui.
Q : Maurice manque sérieusement de main-d’oeuvre qualifiée dans certains secteurs. Qu’en pensez-vous?
Roland Dubois : Maurice a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée car les nouveaux piliers de son économie exigent une main-d’œuvre qualifiée et compétente. Ce besoin se fait plus sentir dans les secteurs des technologies de l’informatique et de la communication (TIC) dans lesquels Maurice n’a pas encore une masse critique de personnes formées. L’autre secteur qui a besoin d’un plus grand nombre de personnes formées, c’est le secteur hôtelier et touristique. Le secteur textile passe aussi par certaines difficultés. Certaines compagnies licencient, d’autres veulent recruter mais n’arrivent pas à trouver des employés qualifiés. Est-ce parce qu’il y a un manque de main-d’œuvre qualifiée ou est-ce parce que le problème se trouve ailleurs?
Dr Rechad Sayfoo : Dès qu’il y a un manque, cela signifie directement qu’il n’y a pas eu de planification adéquate. Il y a eu deux genres de développement à Maurice. D’abord, il y a eu une industrialisation rapide vers la fin des années 80, n’importe qui se faisait embaucher pour faire n’importe quoi. Ensuite, après les années 90, le concept qualité est devenu plus en vue avec une demande exclusive d’expertise dans ce domaine. C’est de là que sont partis les problèmes. Durant les années 80 à monter, on n’a pas pensé à former notre main-d’oeuvre. Par ailleurs, le gouvernement est incapable de guider les étudiants dans leur choix de carrière car il n’y a aucune projection sur les dix, vingt ou trente prochaines années.
Q : Est-ce à dire que les institutions de formation n’ont pas rempli leur rôle comme il se doit?
Roland Dubois : Un rapport d’une institution internationale disait que la formation professionnelle sera toujours à blâmer; quand l’économie marche bien, on prétend qu’elle ne peut mettre sur le marché le nombre suffisant de personnes formées. Quand l’économie ne marche pas bien, on prétend qu’elle ne répond pas aux competénces requises par le marché du travail. Ceci dit, je ne dirai pas que la formation offerte ne répond pas à la demande du marché du travail. L’embauche est plus rapide dans certains secteurs, comme le secteur hôtelier et celui du graphisme et du stylisme que dans d’autres. Toutefois, la formation n’est pas l’affaire des centres de formation uniquement. Les industries ont une grosse part de responsabilité dans la formation qui ne s’arrête pas à l’embauche. Elle est continuelle.
Dr Rechad Sayfoo : Aucune étude n’a été entreprise par le gouvernement pour connaître la demande sur le marché du travail. Les centres de formation ont eu un rôle plus social qu’économique dans le pays car ils accueillent des recalés du système pour en faire une main-d’oeuvre utile pour le pays. Inutile alors de venir nous jeter la première pierre, comme le fait le ministre Fowdar. Nous sommes le pays qui collectionne aussi le plus grand nombre de rapports pour le secteur de la formation. Malheureusement, ces rapports ont, pour la plupart, été rédigés pour la forme. Prenons la cas de l’IVTB qui se targue, à l’occasion de son 15ème anniversaire, d’avoir formé plusieurs milliers de jeunes. Mais il ne dit pas combien d’entre eux sont au chômage.
Q : Quelle doit être l’attitude de ces institutions face au problème de manque de main-d’oeuvre qualifiée?
Roland Dubois : Tous ceux concernés doivent se mettre ensemble pour aider à pallier ce manque, si manque il y a. Tout centre de formation qui se respecte doit avoir à cœur une formation professionnelle de qualité à nos jeunes d’offrir. La formation est présentement dispensée dans des centres publics et para-publics comme l’IVTB mais aussi dans des centres de formation privés. Je peux seulement parler pour l’IVTB où on travaille en partenariat avec le secteur privé pour la prise de décision au niveau opérationnel. D’ailleurs, le secteur privé et les professionnels sont bien représentés au niveau des différents Conseils, d’administration des différentes écoles. Ensuite, pour chaque métier il y a des comités de veille pour nous guider dans les programmes offerts dans nos différents centres de formation.
Dr Rechad Sayfoo : À eux seuls, les centres de formation privés ou même l’IVTB n’ont pas la solution à ce problème et l’attitude du ministre Fowdar n’y aide pas. Je suis un des pionniers dans le domaine de la formation à Maurice : depuis 1975 avec le ‘Vocational Training Institute’. En 1980, sir Seewoosagur Ramgoolam a créé la ‘Central Training Office’ face à la montée du chômage. La loi a été amendée en 1989 pour donner naissance, sous le gouvernement Jugnauth, à l’IVTB. 15 ans après, il n’y a pas eu de remise en question profonde de l’IVTB ni une vision d’avenir pour les centres privés de formation alors que des institutions de renommée mondiale nous reconnaissent. Les institutions de formation privées jouent bien leur rôle, aux autorités d’en faire autant et de les aider.
Q : La formation professionnelle peut-elle, selon vous, aider à résorber le chômage à Maurice?
Roland Dubois : Comme je le disais plus haut, les métiers existants demandent de nouvelles méthodes de travail et les nouveaux métiers s’appuient totalement sur la nouvelle technologie. Si on n’est pas formé pour cohabiter avec cette réalité, on devient obsolète dans tout ce qu’on fait. Pour être productive et compétitive, toute entreprise a besoin de personnes compétentes, donc formées. La recette du succès passe nécessairement par la formation professionnelle. D’autres pays, comme l’Irlande, ont pu réduire le taux de chômage de 15% à 4% en choisissant bien les piliers de leur économie et en investissant massivement dans la formation de sa population. Alors, pourquoi pas Maurice?
Dr Rechad Sayfoo : Certainement, c’est la seule solution. Mais il faut aussi qu’on connaisse exactement ce dont on aura besoin en termes de main-d’oeuvre. Actuellement, nous formons divers techniciens, ingénieurs dans les domaines tels que l’électronique, la télécommunication, l’automobile et la technologie informatique. Si le gouvernement estime qu’il existe d’autres filières d’avenir, il faut qu’il nous mette au courant afin qu’on puisse s’y préparer. Nos ressources naturelles sont limitées. Chaque année, en raison d’une mauvaise planification dans plusieurs domaines, surtout eu égard à la perspective de faire carrière, plusieurs infirmiers et d’autres Mauriciens s’exilent à l’étranger. Ce n’est pas normal.