Les Azie vivent dans des conditions qui font peine à voir.
Andréa transporte chaque jour ce seau d’eau des dizaines de fois.
Vivant dans un taudis qui menace de s’effondrer, sans eau, ni électricité, ni toilettes, cette famille qui a à sa charge un bébé de 13 mois, fait face à une pauvreté comme on en voit rarement. Sa choquante histoire, relayée sur les ondes de Radio One, grâce à une initiative de l’ONG Warm Heart, a interpellé les députés de la circonscription no20, ainsi que le ministre de l’Intégration sociale et l’Église catholique qui se mobilisent tout comme une bonne partie de la population.
«Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés.» Cette phrase de Joseph Wrésinki, le fondateur d’ATD Quart Monde (agir tous pour la dignité), un mouvement international qui lutte contre la pauvreté, résume parfaitement la réalité des Azie. Cette famille qui habite à la route Hugnin, à Beau-Bassin, non loin des quartiers huppés de cette région, vit dans des conditions à la limite de l’extrême pauvreté, des conditions inhumaines, indignes.
Car oui, à quelques pas des infrastructures modernes de l’État, réside une famille de six personnes, avec à sa charge un bébé de 13 mois, qui habite sous un amas de tôles, décrit par Jean-Maurice Labour, le vicaire général du diocèse de Port-Louis, comme un «lakaz lapin» (voir d’autres réactions en hors-texte). Un taudis susceptible de s’effondrer à tout moment. D’ailleurs, c’est une vieille armoire qui soutient le toit pour l’empêcher de s’écrouler sur la tête des six habitants.
La situation est plus qu’alarmante. «Du jamais-vu», «une situation incroyable et bien difficile», «des conditions choquantes et déplorables.» Ce sont autant de réactions (voir hors-texte) qui ont déferlé sur les ondes de Radio One cette semaine, suite à cette affaire dévoilée au grand jour par Patrick Virginie, le président de l’ONG Warm Heart, avec la collaboration du journaliste animateur Finlay Salesse, lors de l’émission Enquête en Direct, sur Radio One, mardi dernier.
Nous sommes chez les Azie à la route Hugnin, en ce vendredi 2 novembre. Sous un soleil de plomb, Andréa Azie, 65 ans complètement ridée et écrasée sous le poids de la misère, raconte son calvaire à deux femmes venues lui rendre visite. Elle les reçoit sur le seuil même de sa porte. Pour elle, impossible d’accueillir des invités dans sa bicoque, tant le lieu est insalubre, et aussi parce qu’il n’y a aucun endroit où ils pourraient s’asseoir. En pénétrant dans la cour, dont l’entrée baigne dans une flaque d’eau, nous sommes presque suffoqués par l’odeur nauséabonde qui émane de cet endroit.
Amas de tôles
Un petit coup d’oeil aux alentours et on comprend assez vite d’où vient cette puanteur. La cour est parsemée d’ordures en tout genre. Des vêtements traînent ici et là, des tas de saleté, parfois brûlés, parfois en état de décomposition, donnent presque envie de vomir. Au milieu de ce désordre indescriptible se dresse un amas de tôles, recouvert de draps, de plastique et autre matériel. On a du mal à croire que cette bicoque abrite six personnes, dont un bébé de 13 mois.
À l’intérieur, on aperçoit une armoire qui soutient le toit qui s’élève à à peine à 1m50 et qui est susceptible de s’effondrer à tout moment. Les habitants de ces lieux doivent se courber pour pouvoir pénétrer à l’intérieur, alors que c’est presque en rampant qu’ils regagnent leur lit le soir. «Il y a au moins quatre cyclones qui ont dévasté cette maison. Nous vivons ici depuis 30 ans. Après chaque passage cyclonique, nous avons essayé de reconstruire la maison du mieux que nous pouvions. C’est ce qui explique aussi pourquoi la maison fait presque 1m50 de hauteur. Nous ne pouvons plus vivre dans une telle situation. Avant, on louait cette maison pour la somme de Rs 250. Puis, le propriétaire est décédé. Le terrain a par la suite été vendu à quelqu’un d’autre qui nous a remis un ordre d’expulsion qui vient de la cour. Nous devons quitter les lieux au plus tard le 1er décembre», souligne Andréa Azie. De plus, elle et les siens vivent sans électricité, ni eau, ni toilettes. Une galère au quotidien.
Lasse de cette misère et de cette situation des plus difficiles, Anouchka Vaillant, 18 ans, compagne du petit-fils d’Andréa et mère du petit Alvin, 13 mois, avance qu’elle ne sait plus à quel saint se vouer. Car la nuit, son bébé se fait mordre par des rats qui grouillent dans leur «lakaz lapin». «Il a été mordu aux lèvres et aux pieds. Je l’ai amené à l’hôpital, et il va mieux. Mais j’ai peur que cela ne se répète car le lieu est infesté de rats. Si ce n’est pas mon fils qui est mordu, c’est Andréa. Elle a dû se faire vacciner à plusieurs reprises pour éviter des infections après des morsures de rats. Qui plus est, ces bestioles bouffent toute notre nourriture. On ne sait plus comment stocker nos provisions. Parfois, nous allons au lit le ventre vide à cause de cela», explique la jeune femme, qui partage la vie de Kervin Hélène.
Ce dernier, qui collectionne des petits boulots pour faire bouillir la marmite, explique qu’il ne peut avoir un emploi fixe car les différentes démarches qu’il a entamées pour obtenir un certificat de moralité ont jusqu’à présent été vaines. «J’avais été arrêté par la police car il y avait des allégations de vol contre moi alors que j’étais innocent. Je n’avais pas d’argent pour payer une caution de Rs 30 000. Donc j’ai dû rester en prison pendant huit mois. À ma sortie de la prison, la police m’a informé qu’il n’y a jamais eu de plainte formelle contre moi. J’ai été puni injustement. Je me demande comment c’est possible. Je suis victime d’une mauvaise administration», lance le jeune homme avec rage.
Les seuls revenus fixes de cette famille proviennent de pensions de l’État, comme le fait ressortir Andréa. «Je touche une pension de Rs 3 500 par mois. Ma fille Louidette qui a 43 ans et est atteinte d’un problème mental et de crise d’épilepsie, touche, elle, Rs 3 000. Elle vient de rentrer à la maison après une période d’hospitalisation à l’hôpital Brown-Séquard. Mon fils Danny, âgé de 41 ans, touche aussi une pension de Rs 3 000. Il souffre d’épilepsie, comme sa sœur. Avec les trois pensions, nous pouvons nous débrouiller pour avoir de quoi manger. Nous demandons seulement de l’aide pour avoir une maison décente dans laquelle nous pourrons vivre comme des humains. Car après 30 ans dans cette maison, je sens que je suis maintenant arrivée à bout», pleure la sexagénaire.
Le triste quotidien de cette vieille dame frêle se résume comme suit : réveil à 4 heures du matin pour aller chercher de l’eau dans un centre situé à quelques centaines de mètres de sa maison, un petit bain, un petit déjeuner qui se compose pour la plupart du temps d’un pain beurré ou nature et d’une tasse de thé, le plus souvent sans lait. «Par la suite, je vais faire la vaisselle, la lessive et je m’assois dehors car la chaleur est insoutenable dans cette bicoque pendant la journée. Puis, je repars chercher de l’eau dans l’après-midi avec un gros seau sur la tête. C’est l’enfer.»
Elle regarde avec désolation le taudis où elle vit avec sa famille et où sont entreposés, entre autres, un vieux réfrigérateur qui sert d’armoire dans un coin et un autre, sans porte, où dorment Anouchka, Kervin et leur bébé de 13 mois. Une situation qui a de quoi toucher les cœurs, même les plus endurcis. Et cette famille n’attend plus qu’une chose : sortir de cette misère plus que noire.
Réactions…
Jean-Maurice Labour, vicaire général : «Leur condition de vie est plus que choquante»
«J’ai rendu visite à la famille Azie le mercredi 31 octobre. Leur condition de vie est plus que choquante. L’inégalité se creuse davantage entre les riches et les pauvres. La disparité entre l’extrême pauvreté et les discussions récentes sur le dernier rapport du PRB prouvent que les riches vont s’enrichir alors que les pauvres vont s’appauvrir davantage. En janvier 2012, la Commission Justice et Paix du diocèse dénonçait avec force les maisons boîtes d’allumettes de 25 m² construites à travers l’île par la National Empowerment Foundation (NEF). Nous avons demandé à ce que les superficies soient révisées et les maisons construites sur un espace de 30 m². Mais ils prétendent qu’ils n’ont pas d’argent alors que le luxe des bureaux de la NEF est choquant. Par ailleurs, je précise que le Caritas de la région de Beau-Bassin essaie de trouver une solution pour cette famille depuis bientôt quatre ans. Les reloger dans une maison n’est pas chose facile. Mais nous essayons toujours et je suis l’affaire de près.»
Suren Dayal, ministre de l’Intégration sociale, sur les ondes de Radio One : «Ils sont dans une situation très difficile»
«Je ne suis pas insensible au sort de cette famille. J’ai envoyé mes officiers sur place pour voir dans quelle mesure nous pouvons leur venir en aide. La pauvreté est quelque chose qui interpelle tout le monde.»
Finlay Salesse, journaliste animateur d’Enquête en direct : «C’est du jamais-vu !»
«En 10 ans de radio, j’ai vu beaucoup de misère autour de moi. J’ai monté plusieurs opérations caritatives pour venir en aide à plusieurs familles qui étaient dans le besoin. Mais je n’ai jamais rencontré une situation semblable à celle de la famille Azie. Pour moi, c’est du jamais-vu. Très choquant. Cette situation dépasse tout ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Pour l’heure, nous sommes dans l’urgence de reloger cette famille. Il nous faut un toit car on ne peut pas laisser ce bébé de 13 mois vivre dans des conditions pareilles. Radio One est prêt à payer le loyer de cette famille pour une durée d’un an. Nous sommes également disposés à meubler la maison avec l’aide de nos sponsors et des Mauriciens en général. Il serait bien de la part de l’État de mettre à notre disposition un appartement de la NHDC qui aurait été saisi, par exemple, afin qu’on puisse reloger les Azie.»
Rajesh Bhagwan, député du no 20, sur les ondes de Radio One : «Je n’ai jamais vu une telle misère»
«Nous avons déjà des personnes qui sont à la recherche d’une maison afin de reloger la famille Azie. En 30 ans de carrière en politique, je n’ai jamais vu une telle misère. Je suis heureux que le ministre de l’Intégration sociale a lui aussi pu constater de visu les conditions dans lesquelles vit cette famille.»