Dereck Jean-Jacques, le présumé cerveau dans cette affaire, a jusqu’à présent fait valoir son droit au silence.
Les arrestations se poursuivent dans le cadre de l’affaire Dereck Jean-Jacques, dans laquelle celui-ci est soupçonné d’être un parrain de la drogue opérant dans la région est. L’ADSU a mis la main sur un quatrième suspect qui n’est autre qu’un imam officiant dans les prisons de l’île.
Ses proches, bouleversés, témoignent.
Une réputation sans faille et très solide. C’est l’image que projetait l’imam Moossa Beeharry dans son entourage. Un homme pieux et surtout très engagé auprès des prisonniers. Car depuis 20 ans environ, cet habitant de Beau-Bassin, âgé de 49 ans, enseigne le Coran aux prisonniers de foi musulmane dans les différentes prisons de l’île. Il leur apportait un peu de lumière à travers les prières qu’il disait entre les quatre murs de ces centres pénitentiaires. Il accomplissait ainsi une très noble mission. Et ce n’est pas son frère qui dira le contraire. «Mon frère était très apprécié et surtout très respecté et connu pour le travail qu’il faisait», soutient-il.
Mais la bonne réputation de cet homme «pieux» a pris un sale coup, le vendredi 31 août. Il a été arrêté à son domicile, à Beau-Bassin, par les membres de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) car il est soupçonné d’être celui qui s’occupait des transferts de fonds à l’étranger pour l’achat d’héroïne. Ce dernier est derrière les barreaux depuis plusieurs semaines pour trafic de drogue ainsi que trois autres suspects : Ashish Dayal, Westley Casimir et Hayeshan Madarbacus (voir hors-texte).
Moossa Beeharry a été présenté devant la Bail & Remand Court, le samedi 1er septembre. Il répond d’une charge provisoire de dealing & abetting importation of drug. Selon les aveux d’Ashish Dayal, il aurait eu pour mission de transmettre d’importantes sommes d’argent aux personnes concernées dans des pays d’Afrique, notamment le Kenya, l’Ouganda, en passant par Dubaï. Une fois la transaction effectuée, les colis d’héroïne étaient embarqués à destination de Madagascar avant d’être acheminés à bord du Mauritius Trochetia, en direction de Maurice.
Mais qui est donc cet imam Beeharry qui fait la une de l’actualité depuis hier ? Marié et père de trois enfants, deux filles et un fils, il est décrit par son frère comme étant un homme très réservé. «Nous sommes une fratrie de huit enfants, dont cinq sont décédés. Il ne reste que trois frères, dont Moossa. Il a toujours été très réservé. Chacun pour soi et Dieu pour tous. C’est un peu sa devise», explique notre interlocuteur. Il avoue cependant que la relation entre son frère et lui n’était pas particulièrement au beau fixe depuis de nombreuses années. «Une dispute familiale», évoque-t-il.
Aucun signe de richesse
S’il dit ignorer tout des transactions de son frère, il affirme tout de même être tombé des nues en apprenant que Moossa Beeharry était soupçonné d’être impliqué dans un trafic de drogue. D’autant que celui-ci ne montrait aucun signe de richesse extérieure. «Il n’a même pas complété le crépissage extérieur de sa maison. Je suis terriblement choqué ainsi que toute la famille. Il travaille bénévolement à la prison et enseigne le Coran. On ne sait pas si les allégations portées contre lui sont vraies ou fausses», avance le frère de l’imam.
Bouleversé par le cours des événements, il est également envahi par un sentiment de honte depuis l’arrestation de son frère. D’autant qu’il est en plein préparatifs du mariage de son fils. «Je crains que cette affaire ne soit le sujet de conversation lors des noces qui auront lieu le week-end prochain. C’est un véritable coup en plein cœur que j’ai reçu. J’espère tout simplement que cette affaire ne prendra pas le dessus sur le mariage de mon enfant.»
Boucher de son état à la Meat Authority, Moossa Beeharry passerait une grande partie de son temps libre dans les prisons de l’île. Mais selon une source à la prison de Beau-Bassin, l’imam aurait éveillé certains soupçons de par ses visites jugées fréquentes aux prisonniers, ce avant même que Jean Bruneau, le commissaire des prisons, ne prenne ses fonctions.
«À un moment, un officier avait même demandé à l’imam de se soumettre à une fouille corporelle avant d’entrer à l’intérieur de la prison. Mais il avait refusé. Il avait par la suite rapporté l’officier en question qui ne faisait que son travail», raconte notre source. Quelque temps plus tard, un autre officier devait lui aussi se heurter à un refus du religieux concernant, cette fois, l’inspection de son Coran. «Avant que l’imam Beeharry ne prêche dans les prisons, il y avait quelqu’un d’autre qui accomplissait cette mission. Un jour, lors d’une fouille, un garde-chiourme avait retrouvé un téléphone portable caché dans les pages du Coran de l’imam. Pour éviter ce genre de problème, un garde avait demandé à Moossa Beeharry de lui soumettre son livre sacré pour une inspection. Mais celui-ci avait refusé. Tous ces refus n’ont fait qu’alimenter les doutes qui pesaient déjà sur lui.»
Arrêté le vendredi 31 août, Moossa Beeharry a retenu les services de trois hommes de loi : Mes Shaukat Oozeer, Hisham Oozeer et Tawseek Joomaye. Contacté au téléphone, Me Shaukat Oozeer nous a fait la déclaration suivante : «Mon client a reconnu avoir fait des transferts de fonds à l’extérieur mais nie que ceux-ci étaient liés à la drogue.» Il devra de nouveau se présenter en cour, demain. Quoi qu’il en soit, la réputation de l’imam Beeharry a pris un sacré coup.
La concubine de Gro Dereck :
«La vérité finira par triompher»
L’existence de cette jeune femme a complètement basculé le jour où son compagnon a été arrêté par la police. Mélanie François, la concubine de Dereck Jean-Jacques, âgée de 19 ans, dit vivre un véritable cauchemar depuis que toute cette affaire a éclaté. Qui plus est, toutes ces allégations formulées contre Dereck, avec qui elle a un fils de 2 ans, la mettent terriblement en colère. Car pour elle, son compagnon est innocent.
«Dereck n’est pas mêlé à cette affaire de drogue. Mon fils ne cesse de réclamer son père chaque jour. Je n’en peux plus de cette situation. Mais je garde espoir qu’il va s’en sortir. Jour après jour, j’entends une nouvelle version de cette affaire. Je ne sais plus quoi penser. Je n’ai jamais entendu parler de toutes ces personnes qui accusent Dereck. J’espère tout simplement que la vérité finira par triompher», soutient-elle. Pour l’heure, elle assiste, impuissante, aux multiples rebondissements de cette affaire qui l’affecte de plus en plus.
Comment l’affaire a éclaté…
C’est l’histoire d’une arrestation ayant conduit à plusieurs autres. Le 12 juillet, Seewoosing Dayal, aussi connu comme Ashish, un chauffeur de taxi habitant Quatre-Bornes, est arrêté dans un bungalow à Péreybère. Un colis d’héroïne de 7 kg, estimé à
Rs 150 millions, est retrouvé en sa possession. Interrogé, il allègue que la marchandise appartient à un certain Dereck Jean-Jacques, habitant la cité Richelieu, à Petite-Rivière.
Allant plus loin dans ses aveux, Ashish Dayal confie aux enquêteurs de l’ADSU qu’il avait pour tâche de vendre cette drogue, principalement dans les rues et ce pour le compte du dénommé Dereck, qu’il désigne comme étant son patron. Quelques jours plus tard, soit le 27 juillet, celui qui est aussi connu comme Gro Dereck est arrêté à son domicile. Interrogé, il fera valoir son droit au silence.
Par ailleurs, dans le sillage de cette enquête, Ashish Dayal collabore pleinement avec les enquêteurs et va de dénonciation en dénonciation. Il a d’abord expliqué le modus operandi mis en place par Dereck Jean-Jacques pour que la drogue arrive sur le sol mauricien. Selon ses dires, celle-ci provient des pays d’Afrique et est ensuite acheminée vers Madagascar. Une fois que le colis atteint la Grande île, une personne se chargeait de sa réception et le placerait en lieu sûr à bord du Mauritius Trochetia, appareillant en direction de Maurice.
Ainsi, dès que le navire accostait les eaux mauriciennes, soit dans les parages d’Albion, la drogue était jetée en mer et récupérée par un skipper qui la ramenait sur la terre ferme. Les colis de drogue seraient ensuite dissimulés dans différents endroits à travers l’île. C’est ainsi que selon des informations fournies par Ashish Dayal, les membres de l’ADSU ont mis la main sur 5 kg d’héroïne à Forbach, dans la nuit du 1er août. La drogue, estimée à Rs 75 M, était enterrée dans un terrain en friche.
Au lendemain de cette découverte, l’ADSU mettait la main sur le skipper qui récupérait la drogue, Bruno Westley Casimir, un habitant de Baie-du-Tombeau. Il a, jusqu’à ce jour, nié toute participation dans cette affaire. Dans la nuit du vendredi 24 août, une autre arrestation devait avoir lieu. Le suspect appréhendé n’est autre qu’un employé du Mauritius Trochetia, Hayeshan Madarbacus alias Long lascar. C’est lui qui avait eu pour tâche de récupérer la drogue à Madagascar pour la transporter à Maurice. Lors de ses interrogatoires, il a expliqué qu’il dissimulait les colis dans des poubelles avant de les balancer par-dessus bord une fois dans les eaux locales.
Le dernier épisode de l’affaire Gro Dereck est l’arrestation de l’imam Moossa Beeharry. Il a été dénoncé par Ashish Dayal qui l’a formellement identifié lors d’une parade. Dans sa déclaration, Ashish Dayal avait indiqué qu’il avait remis une importante somme d’argent à un certain La Barbe pour l’achat de drogue. Lors de cette parade, il a affirmé que le dénommé La Barbe était bel et bien l’imam Moossa Beeharry. À l’heure où nous mettions sous presse, l’interrogatoire du religieux n’avait pas encore été bouclé et se poursuivra dans les jours à venir. Affaire à suivre…