Il est 15 heures en ce jeudi 30 juillet lorsque Sanjeev Nunkoo entre pour la deuxième fois dans la salle d’audience de la cour d’assises. Cette fois, c’est pour entendre le verdict du jury dans le procès où il est accusé de complicité dans l’assassinat d’Hélène Lam Po Tang en 2010. Un peu plus tôt, la juge Manna avait fait son summing up pour guider les membres du jury dans leurs délibérations. À peine débarrassé de ses menottes, le jeune homme jette un coup d’œil à son père et sa sœur, venus le soutenir.
Son regard se fixe ensuite sur le plafond. Ses lunettes scintillent, reflétant les lumières de la salle d’audience. Son visage est impassible. Que se passe-t-il à ce moment précis dans sa tête ? Ce n’est que le lendemain matin qu’on apprendra qu’il pensait alors à sa mère, décédée l’année dernière. «Je lui demandais sa bénédiction», confie-t-il.
Lorsque la juge fait son entrée 15 minutes plus tard, suivie des membres du jury, Sanjeev Nunkoo change de posture. Il se ressaisit. Les traits tirés, il se met debout pour la procédure d’usage lorsque l’officier présente la charge retenue contre lui.
La tension est palpable dans la salle. Tous sont suspendus à la décision du jury. Quelques secondes plus tard, celle-ci tombe : «Not guilty.» Sanjeev, ébahi et en larmes, demande la permission à la juge de dire quelque chose, mais sa demande est rejetée. Il n’arrive pas à croire qu’il a été innocenté à l’unanimité.
En homme libre, il se précipite vers son père et sa sœur pour les prendre dans ses bras. Toute la famille est en larmes. Tous ont une grosse pensée pour Mantee, 64 ans, la mère de Sanjeev, morte de «chagrin», selon la famille, le 27 janvier 2014, en raison de l’incarcération prolongée de son fils. Pendant ce temps, Rama Valayden, Leading Counsel, est félicité par son équipe et tous ceux présents.
C’est le deuxième procès aux assises qu’il remporte contre la Major Crime Investigation Team après celui du meurtre de Michaëla Harte. Il est très ému. Sa voix en dit long sur son état d’esprit. Plus tard, il laisse entendre qu’il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, car son combat pour faire libérer les quatre condamnés dans l’affaire l’Amicale demeure sa priorité.
Pétarades
À sa sortie de la salle d’audience, dans sa première déclaration à la presse, Sanjeev Nunkoo lance «mwa ki pu fer madam Lam Po Tang gagn zistis». Après avoir été mitraillé par les photographes de presse, l’homme et ses proches se dirigent vers le cabinet de Rama Valayden pour «bwar enn bon dite». Sanjeev Nunkoo peine toujours à croire qu’il a échappé à une condamnation et à plusieurs autres années en prison. Et c’est encore à sa maman qu’il pense dans ce moment-là, comme cela lui est arrivé bien souvent ces dernières années. «Ma mère a toujours cru en mon innocence. J’ai beaucoup prié pour le repos de son âme. Justice lui a été rendue», dit-il. Après le thé chez Me Valayden, c’est l’heure pour la petite famille de rentrer enfin à la maison.
L’horloge indique 17h15 lorsque Sanjeev, 34 ans, son père Moonesh, 70 ans, et sa sœur Preetee, 38 ans, font leur arrivée à l’avenue Louvet, à Quatre-Bornes où la famille habite. Tout sourire, l’ex-accusé avance d’un pas assuré vers le portail d’entrée, un filoir de pétards sous les bras. Il les allume avec le briquet de son père et les pétarades raisonnent gaiement en cet après-midi de jeudi. Une voisine, madame Paul, 90 ans, attirée par le bruit, sort de chez elle pour jeter un œil. Sanjeev se précipite vers elle pour la saluer. La vieille dame est heureuse de retrouver celui qu’elle connaît depuis l’enfance et qui est «un bon garçon».
Ensuite, Sanjeev entre enfin chez lui. Sa première action : se recueillir devant une photo de sa mère bien-aimée. Il ressort quelques minutes plus tard pour aller acheter des cigarettes et des friandises pour ses neveux. Il en a deux. À son retour, il rencontre pour la première fois l’un de ses neveux, le fils de sa sœur, né pendant sa détention.
Sanjeev, affectueusement appelé Ashwin par les siens, est presque en larmes. L’émotion est forte. Sa soeur l’accueille ensuite au seuil de la porte avec une prière en compagnie de leur belle-sœur. Les retrouvailles sont remplies d’émotion. «Je vis une deuxième naissance», lâche-t-il, heureux, avant de rejoindre les siens.
Dans la soirée, la maison familiale devient comme un lieu de pèlerinage où proches et amis défilent pour saluer Sanjeev. Pour le dîner, il mangera du cari de poulet au chou-fleur et une sauce rouge de crevettes accompagnés de riz et de pain, comme nous le dit son père : «Nous savons tous que la nourriture n’est pas bonne en prison.»
Le lendemain matin, nous avons rendez-vous à 8 heures avec Sanjeev Nunkoo au cabinet de Me Valayden, à Port-Louis. Il débarque à 8h30 accompagné de son père et d’un de ses oncles. Il a l’air épuisé, mais plus sûr de lui. «Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Ce n’est que ce matin après être sorti du lit, pris une bonne douche et fait une prière, que j’ai pu réaliser que j’étais un homme libre. La vie était très dure en prison, même si j’ai pu bénéficier d’un bon encadrement», lâche-t-il.
Rude détention
Sanjeev est marqué à vie. Il a passé en tout, dit-il, 1 748 jours en prison, du 28 octobre 2010 au 30 juillet 2015. C’est dire qu’il comptait les jours. Le plus dur, selon lui, était d’être loin des siens pendant sa détention, surtout après son divorce. Il était marié à une policière. Mais il ne tient pas à s’attarder sur cet épisode. La personne la plus importante à ses yeux, dit-il, était sa mère. Hélas, celle-ci est décédée durant son incarcération et il a juste pu aller lui dire un dernier adieu avant que le corps ne soit amené pour l’incinération. Ce décès l’a beaucoup affecté, rendant son séjour en prison encore plus lourd. Aujourd’hui encore, il puise sa force auprès des siens, surtout de son père.
Il raconte qu’en prison, il trouvait toujours des choses utiles à faire pour meubler son temps libre : «Ma détention s’est bien passée. J’ai eu la chance d’être entouré de gardes-chiourmes très humains. Mais la prison n’est pas un hôtel. Je me réveillais à 4 heures pour faire des prières. On est tous très pieux dans la famille. Mon frère Outam, 43 ans, est d’ailleurs un prêtre hindou très connu.»
La porte de sa cellule s’ouvrait à 6h30 pour la douche et le petit déjeuner. Il y a certaines choses qu’il ne pourra jamais oublier, dit-il, comme ces nombreuses douches à l’eau froide même en hiver. Il aidait ensuite ses camarades «on remand» en partageant sa «cantine», la ration de provisions à laquelle les détenus ont droit.
Sanjeev partageait sa cellule avec deux autres prisonniers. L’un d’eux était le Sud-africain Johannes Jurie Botha, arrêté en 2009 et condamné à 33 ans de prison pour une affaire de drogue. L’homme est rentré chez lui après avoir eu gain de cause en appel le 23 juillet, épaulé par son avocat Nadeem Hyderkhan. En guise de cadeau d’adieu, le Sud-africain a donné son gilet à Sanjeev. «Sa inn vinn mo port boner», souligne l’homme qui ne quitte plus ledit gilet depuis.
Arrêté, incarcéré et poursuivi aux assises pour complicité d’assassinat, Sanjeev sait pertinemment que cela lui prendra beaucoup de temps pour digérer toute cette affaire. Que sa vie ne sera plus jamais la même. Le plus dur, dit-il, sera de faire face au regard de la société et de se réinsérer dans cette société, dont il a été exclu pendant presque cinq ans de prison. Tout ça, dit-il, parce qu’il a obéi à son ancien patron, Gary Lam Po Tang, qui lui aurait demandé de se rendre à sa résidence à Baie-du-Tombeau le jour du drame. Ce que Gary Lam Po Tang a toujours démenti. «Je ne nie pas avoir été chez lui, d’avoir vu le cadavre ou encore de l’avoir touché. Si j’avais averti la police, je n’aurais pas passé ces dernières années en prison», laisse entendre Sanjeev.
Trouver un travail
Selon Me Valayden, «Sanjeev ne nie pas non plus avoir acheté un couteau et de l’avoir jeté par dessus le mur, comme lui avait demandé son patron». Mais, en cour, l’homme de loi a pu établir que ce n’était pas le couteau qui avait servi à l’assassinat. Il en a fait la démonstration en cour en se tapant sur le bras avec le couteau en question à plusieurs reprises. «J’ai dû taper 29 fois pour avoir une petite blessure, alors que madame Lam Po Tang a reçu plusieurs coups mortels.»
Maintenant que tout cela est derrière lui, Sanjeev Nunkoo se donne pour mission d’aider les enquêteurs à y voir plus clair dans cette affaire (voir hors-texte). Sa priorité est aussi la recherche d’un travail. Et cette fois, il espère trouver quelque chose qui correspond davantage à sa filière d’étude. Classé 563 aux examens du Certificate of Primary Education, Sanjeev Nunkoo a fait ses classes du secondaire au collège St Mary’s avant de s’envoler pour Bombay en 2001 où il a décroché un 1st Class First en physique en 2004. À son retour à Maurice, il a travaillé à temps partiel comme clerk chez Lam Po Tang jusqu’à son arrestation, le 28 octobre 2010.
«Je n’ai jamais eu de travail dans ma filière. Mes nombreuses demandes pour travailler comme enseignant au secondaire n’ont jamais abouti. La seule demande qui avait été agréée est celle que j’avais faite pour travailler dans la police. Je venais de quitter le pays pour mes études lorsque mes parents ont reçu une correspondance dans ce sens. J’espère avoir plus de chance cette fois dans mes démarches pour trouver un emploi», déclare le jeune homme. Car son avenir, il veut qu’il soit brillant et réussi, afin d’effacer ces noires années qu’il a passées en prison avec un épée de Damoclès suspendu sur la tête.
Quel avenir pour la MCIT ?
«Amateurisme», «incompétences des enquêteurs», «mode de fonctionnement qui laisse à désirer»... Les critiques pleuvent une fois de plus sur la MCIT depuis l’acquittement de Sanjeev Nunkoo. C’est cette unité qui avait enquêté sur l’assassinat d’Hélène Lam Po Tang. Depuis le début du procès aux assises, la façon dont l’enquête a été effectuée est vivement critiquée. D’ailleurs, plusieurs anomalies et autres incohérences ont été mises à jour durant le procès. «Qui est le vrai coupable ?» se demande Rama Valayden, disposé à aider une nouvelle équipe d’enquêteurs à élucider cette affaire. Aux Casernes centrales, on laisse entendre que l’enquête sur cet assassinat est toujours «on». On fait ressortir que Sanjeev Nunkoo avait été déféré aux assises pour complicité et non pour l’assassinat lui-même.
Gary Lam Po Tang : «L’assassin de ma femme ne sera peut-être jamais retrouvé»
C’est un homme qui ne semble rien espérer de la justice. Pour Gary Lam Po Tang, l’époux d’Hélène, il y a peu de chance que son épouse obtienne justice. «Je ne pourrai pas faire grand-chose pour retrouver celui qui a tué ma femme. L’assassin ne sera peut-être jamais retrouvé. Je prends pour exemple l’enquête sur la mort de Nadine Dantier. Plus de dix ans après, le meurtrier court toujours. Je crains fort que le même scénario ne se produise dans le cadre du meurtre de mon épouse», affirme-t-il, l’air défaitiste.
Le jugement rendu en cour suprême le jeudi 30 juillet, déclarant Sanjeev Nunkoo non coupable de complicité dans le meurtre de sa femme, ne le laisse pas insensible. «Ma fille, qui vit en Angleterre, est elle aussi troublée par ce verdict. Elle n’est pas satisfaite de ce dénouement», avance cet habitant de Morcellement Swan, à Baie-du-Tombeau.
Pointé du doigt au départ par Sanjeev Nunkoo qui l’avait désigné comme étant le commanditaire du meurtre de sa femme avant de revenir sur ses déclarations, Gary Lam Po Tang avait été arrêté. Défendu par Me Yousouf Mohamed, l’homme d’affaires a par la suite été lavé de tout blâme. Ainsi qu’un dénommé Ah Kim, arrêté lui aussi. «Je ne connais rien dans cette affaire. Et je ne soupçonne personne d’être le meurtrier d’Hélène, car elle était une femme douce et sans histoire. Elle n’avait pas d’ennemi.»
Depuis ce drame, dit-il, c’est toute sa vie qui a changé. «Je ne suis plus le même homme. Ma femme me manque énormément et il m’est très difficile de vivre sans elle. Je suis à un âge où j’ai le plus besoin d’elle», avance-t-il d’une petite voix. Le plus dur pour lui est le fait de continuer à vivre dans maison où sa femme a été retrouvée morte. «On a passé plus de 40 ans ensemble. Maintenant, je passe le plus clair de mon temps à dormir, à regarder la télévision, à faire de la lecture et à jouer au bridge. Quant à mon business, je lui accorde au minimum deux heures par jour.» Quoi qu’il en soit, une question reste toujours posée. Qui a tué Hélène Lam Po Tang de plus de 20 coups de couteau ?
Laura Samoisy
Rama Valayden : «Il y a des leçons à tirer de cette affaire»
Son expérience au barreau a été un appui de taille. Tout comme dans l’affaire Harte, Rama Valayden a réussi à semer le doute dans la tête des membres du jury dans le procès de Sanjeev Nunkoo aux assises. L’assassinat d’Hélène Lam Po Tang remonte au 14 octobre 2010, Baie-du-Tombeau. La victime avait reçu 33 coups de couteau, dont 10 sur le devant du corps et 23 dans le dos. Sanjeev Nunkoo a toujours clamé son innocence dans cette affaire et dit avoir uniquement reçu des directives de Gary, l’époux de la victime, pour se débarrasser du cadavre contre paiement.
«Il y a des leçons à tirer de cette affaire», explique Me Valayden. Sans le dire ouvertement, l’avocat fait comprendre que son client doit son acquittement en grande partie à plusieurs manquements dans l’enquête policière : «Lenket inn mal fer. Se pa akoz la polis pa byen forme ki linn mal fer me structir la polis la mem in depasse. Enkor pe servi metod yester century. Mentalite la osi parey.» Dans cette affaire, la Major Crime Investigation Team s’est uniquement basée sur les confessions de Sanjeev Nunkoo. Lesdites confessions avaient été contestées, car elles auraient été obtenues sous la torture tout comme dans l’affaire Harte. Rama Valayden a relevé plusieurs manquements dans l’enquête policière. Il compte déposer un rapport sur le sujet bientôt afin d’aider la police à y voir plus clair.
«C’est une honte. La police n’a même pas enquêté pour savoir ce que la victime avait mangé le jour de sa mort. Par contre, nous savons qu’elle avait acheté deux puits d’amour et des gâteaux piments. C’est mon équipe qui connaît ses habitudes. Les enquêteurs n’ont pas interrogé les voisins et les proches. Sur une photo de la police prise à l’intérieur de la maison, on voit un seul côté d’une pantoufle. La police ne sait toujours pas où est l’autre côté», s’insurge Valayden. La liste est loin d’être terminée, dit-il : «Il y avait un livre à proximité de la tête de la victime, intitulé Accident de parcours. Il y avait des gouttelettes de sang sur le livre. Ledit livre n’a jamais été analysé, de même qu’un car mat retrouvé dans la maison. Le plus surprenant est le fait que la police n’a jamais analysé le personal diary de la défunte qui était souillé de sang. Des pages avaient également été déchirées.»
Rama Valayden a aussi évoqué un compte bancaire à la HSBC qui pourrait permettre de déterminer le mobile du crime. Le jour du drame, Hélène Lam Po Tang avait visiblement servi une boisson à quelqu’un dans une tasse et celle-ci se trouvait dans la cuisine quand la police a débarqué. La police n’a pas pensé à faire des prélèvements sur ce contenant en vue de tests ADN. L’avocat ne comprend toujours pas pourquoi la police a autorisé des proches d’Hélène Lam Po Tang à incinérer sa dépouille de même que le tapis sur lequel son corps était disposé dans la maison après sa mort : «Zame pa ti analiz tapi la pu kone ki sa bann tras disan ki ti lor la.»
Le Senior Counsel compte écrire au Premier ministre quand ce dernier sera de retour au pays pour lui demander la réouverture de l’enquête. Son client, dit-il, va également entamer des poursuites contre l’État : «La polis bizin kompran ki bizin lezot prev apar confesion kan fer lenket. Inn ariv ler pu fer reform dan la polis. Kan mo ti minis la zistis mo ti propoz juge d’instruction à la mauricienne. Person pa ti pran mwa o serie. Inn ariv ler pu fer li selma.»