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Véronique Charoux dénonce son oncle après 23 ans : «C’est pour me libérer que je viens de l’avant»

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Tout changement de comportement dans l’attitude d’un enfant traduit qu’il est en souffrance.

Pour briser un tabou, elle a choisi, dit-elle, de sortir de l’ombre pour raconter les sévices qu’elle a subis lorsqu’elle était encore une petite fille. À travers son acte, Véronique Charoux, 34 ans, veut inciter ceux et celles qui ont été la proie de pédophiles, à venir de l’avant pour raconter leur cauchemar…

Le fardeau devenait lourd à porter. Le secret, trop pesant. Les cauchemars, persistants. Et les douloureux souvenirs, omniprésents. Car plus les années passaient, plus elle avait du mal à avancer, à oublier, à vivre, tout simplement. Il lui fallait donc réagir. Pour arrêter sa descente aux enfers, pour ne pas sombrer davantage… pour briser le silence oppressant.

Après 23 ans emmurée dans son mal-être, Véronique Charoux, 34 ans, a décidé de dénoncer son oncle qui, dit-elle, a abusé d’elle durant son enfance. Mardi dernier, en allant déposer une plainte contre celui-ci au Central Criminal Investigation Department, elle a décidé de sortir de l’ombre et de dire «stop» à la souffrance qui la ronge depuis trop longtemps : «C’est pour me libérer que je viens de l’avant…» Mais aussi, insiste-t-elle, pour que «la pédophilie ne soit plus un tabou» et que «les victimes sortent de leur mutisme pour dénoncer ces actes qui n’ont rien de normal et de banal».

Lorsque nous l’avons rencontrée, vendredi, Véronique n’arrivait toujours pas à réaliser qu’elle avait enfin pu briser le silence infernal dans lequel elle s’était murée depuis 23 ans. Au fil des années, avec son lourd secret, la jeune femme s’était renfermée sur elle-même, cherchant du réconfort dans l’alcool pour tenir le coup : «Il m’a fallu faire un gros travail sur moi-même. J’ai essayé de vivre avec et je n’ai pas pu. J’espère que les choses vont changer pour le meilleur, maintenant que j’ai décidé d’en parler ouvertement.»

Si elle avait d’abord choisi de raconter son histoire sous le couvert de l’anonymat, il y a deux semaines, sur la page Facebook de Pédostop, cette semaine, elle a décidé de franchir une nouvelle étape, de ne plus se cacher et de révéler son histoire et son identité au grand jour pour pouvoir se relever et aller de l’avant. Un sursaut qui est, pour elle, important dans ce qu’elle appelle sa «phase de reconstruction» : «J’ai décidé de ne plus avoir honte. Après tout, dans l’histoire, c’est moi la victime, je n’ai aucune raison de me cacher. Je ne suis coupable de rien. Et si je témoigne aujourd’hui, c’est pour que le coupable soit puni pour que je puisse retrouver une certaine tranquillité d’esprit.»

Et même si l’oncle en question n’a pu donner sa version des faits à la police, parce qu’il serait à l’étranger, selon Véronique, elle garde espoir que la justice triomphera. «Le fait qu’il ait quitté le pays est une bonne indication qu’il a quelque chose à se reprocher. Je suis confiante par rapport à la suite. Il me fallait simplement affronter mes peurs, vaincre mes angoisses et dire tout simplement la vérité. Je suis contente d’avoir pu faire ce pas…», confie la jeune femme, visiblement soulagée.

Véronique a finalement décidé de reprendre sa vie en main. Finies les larmes, finies les phases de doute, finis les cauchemars, les périodes sombres d’automutilation et autres tentatives de suicide, qui n’étaient pour elle que des moyens de crier son désarroi et son mal-être. Mais pour certaines personnes de son entourage, il fallait qu’elle se taise : «On me faisait comprendre que c’était une chose normale et qu’il existait de telles choses dans toutes les familles et qu’il fallait donc que je tourne la page pour passer à autre chose.»

Elle a beau essayer, Véronique n’est jamais parvenue à oublier et à faire comme si tout allait bien : «Je pouvais sourire, je pouvais me réfugier dans la peinture, dans le théâtre ou encore dans l’écriture de poésies qui me permettaient de m’évader, d’oublier pendant un court instant ce que j’avais subi, mais à chaque fois, mes vieux démons refaisaient surface.» Elle a essayé, encore et encore, de tout enfouir au plus profond d’elle-même. Malgré cela, chaque scène, chacun de ces moments où son prédateur a sévi sont omniprésents dans sa mémoire.

Un long combat

Comme le jour où tout a commencé alors qu’elle n’avait que 11 ans : «Il s’est mis à côté de moi (…) Puis, il a commencé à me chatouiller (…) Je lui ai dit d’arrêter, je savais que ce n’était pas normal, je me sentais mal, je me suis mise à pleurer et quand j’ai voulu crier, il a mis violemment sa main sur ma bouche en me disant que si je criais et que si je persistais, il me frapperait. Je suis restée paralysée. Il m’a longuement attouchée avec son regard vicieux, de pervers, que je n’oublierai jamais.»

Il y a aussi eu ces autres fois où à nouveau, son prédateur est passé à l’acte : «Il me montrait des photos pornos. Vers mes 14 ans, il m’a entraînée dans un bois et un jour, il m’a droguée pour abuser de moi.» Depuis, dit-elle, sa vie n’a été qu’un long combat contre elle-même : «Je me rendais responsable de tout ce qui était arrivé et que ce soit pour cet oncle qui avait fait des choses sur moi et pour certaines personnes de mon entourage à qui je m’étais confiée, il s’agissait effectivement de ma faute.»

Mais aujourd’hui, après plusieurs années dans le noir, Véronique veut se reconstruire : «Je veux pouvoir sourire à la vie, ne plus penser à la mort, pouvoir avoir une relation stable, aimer et respecter mon corps mais aussi accomplir des choses.»

En paix avec elle-même pour avoir osé dénoncer son agresseur, Véronique tient à remercier Pédostop pour le travail que fait son équipe et les nombreuses personnes qui lui ont témoigné de la sympathie sur Facebook. Elle a retrouvé foi en l’avenir et espère par-dessus tout maintenant, que la justice fera son travail : «Je veux aussi dire aux personnes qui vivent la même chose que moi de ne plus hésiter et de venir de l’avant car ça aide.» Car après, le fardeau est moins lourd à porter…

D’autres jeunes femmes racontent leur terrible histoire

Des témoignages qui touchent, des récits bouleversants et des appels à l’aide. Depuis que cinq jeunes femmes ont porté plainte contre Michel de Ravel de l’Argentière, un homme d’affaires de Rivière-Noire, pour pédophilie – il est passé aux aveux et a été inculpé pour attentat à la pudeur –, plusieurs autres jeunes femmes ayant été abusées dans leur enfance sont venues de l’avant pour raconter leur terrible histoire.

Tout comme Véronique, d’autres victimes ont tenu à témoigner sur la page Facebook de Pédostop (Pédostop-contre la pédophilie à Maurice). Parmi les derniers témoignages, une jeune femme qui a vécu à Maurice pendant son enfance raconte son vécu à visage découvert. Lorsque nous l’avons sollicitée pour une réaction à la suite de sa démarche, elle nous a fait la déclaration suivante : «J’ai choisi de publier à visage découvert sur mon histoire pour deux raisons. D’abord, et avant tout, parce que je n’ai plus honte. Ensuite, parce qu’il faut briser la chaîne du silence, que les coupables soient reconnus. Je n’ai cité aucun nom mais il se reconnaîtra, ou en tout cas, il sera reconnu sans que j’aie à le nommer.»

Dans son récit, sur la page de Pédostop, la jeune femme raconte avec beaucoup de détails ce qu’elle a subi : «Je suis arrivée à Maurice à l’âge de 3 ans avec mes parents et nous y avons retrouvé la famille de mon père. Sa sœur était mariée et avait deux enfants, un fils et une fille que j’adorais. Souvent, comme mon cousin était plus âgé que moi, il me gardait quand nos parents devaient s’absenter. Je devais avoir environ 4 ou 5 ans, quand tout a commencé. Il mettait en scène une situation qui dépassait l’entendement de la petite fille que j’étais.»

Elle raconte comment le cousin en question procédait : «Comme il collectionnait les timbres, il s’asseyait à son grand bureau avec ses albums et faisait semblant de travailler. Je devais m’asseoir en face de lui et l’appeler Monsieur le directeur, le vouvoyer. Il restait quelques minutes à parler de choses et d’autres, puis il se levait, allait vers son lit et là, je devais l’embrasser sur la bouche, avec la langue. Puis il descendait son short, et je devais enlever ma culotte (…)»

Depuis plusieurs semaines, d’autres témoignages ont aussi été postés par d’autres victimes. À l’instar du message laissé par J. qui racontait aussi sa mauvaise expérience avec un adulte malintentionné : «Dans la nuit, il venait me réveiller pour me faire des choses. Pendant 18 ans, j’ai vécu avec ce secret. J’ai perdu mes années d’ado, mais j’ai encore toute ma vie d’adulte devant moi.» Depuis la fin de la semaine, une autre personne est aussi venue de l’avant pour témoigner. «J’ai moi aussi été victime d’un beau-père de bonne famille. Très présent matériellement pour moi (…) Il m’a volé mon enfance avec ses attouchements.» C’est encore une autre histoire qui touche et qui bouleverse plus d’un… Un témoignage de plus sur la route de la libération.

Alexandra Schaub de Pédostop :«Quelque chose de profond est en changement dans notre société»

Comment Pédostop accueille tout le buzz qu’il y a en ce moment autour de la pédophilie ?

L’un des objectifs de Pédostop est la communication. Il est donc atteint quand les médias sont sensibilisés à cette cause. Le fléau de la pédophilie et de l’inceste n’est pas nouveau à Maurice, c’est le fait d’en parler qui est récent.

Depuis quelque temps, plusieurs victimes sont venues de l’avant sur votre page Facebook pour raconter leur triste histoire. En quoi est-ce bénéfique pour elles ?

La parole est libératrice. Le premier pas vers sa reconstruction, pour une victime, est de dire et d’être entendue. Cette page donne un espace de liberté à ces personnes qu’elles n’ont pas eu dans leur sphère privée, et qui leur permet d’interagir avec d’autres internautes, de se sentir comprises et reconnues en tant que victimes. La lecture des témoignages aide aussi ceux ou celles qui sont dans le déni, ou qui ont peur de parler. Nous voyons actuellement une grande solidarité autour des victimes. Cela démontre que quelque chose de profond est en changement dans notre société.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le fonctionnement de Pédostop. Qu’est-ce qui se passe à partir du moment où une victime se tourne vers vous ?

Pour l’instant, nous sommes une toute petite structure, et nous fonctionnons «avec les moyens du bord». Nous orientons les victimes vers des professionnels, de la santé ou juridiques, nous répondons à leurs questions, et surtout, nous sommes à leur écoute. Nous espérons pouvoir mettre en place une hotline, un site web d’informations, et nous allons continuer à communiquer, surtout pour que le silence n’étouffe pas des générations d’enfants.

Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue : «Le premier pas de libération est précieux»

Il y a de plus en plus de victimes qui viennent de l’avant pour raconter ce qu’elles ont vécu dans leur enfance. Comment est-ce que vous accueillez cela ?

Quand certaines victimes (hommes ou femmes) lisent des témoignages d’autres victimes, elles peuvent ne plus se sentir seules dans leurs souffrances. Elles se sentent rejointes et comprises par les témoignages d’autres personnes qui, comme elles, ont été victimes.

Comment expliquer le fait qu’elles viennent de l’avant longtemps après avoir été une proie pour ces prédateurs sexuels ?

La pression sociale, la honte d’être jugées, la culpabilité, la peur de ne pas être crues peuvent les habiter. Le fait de ne pas avoir dit non, d’avoir parfois ressenti du plaisir, de s’être laissée abuser par quelqu’un en qui elles avaient confiance, qu’elles aiment et de qui elles ont souvent très peur, etc. ont aussi un impact important.

Est-ce que c’est bien pour les victimes de venir raconter leur calvaire ?

Il est très positif pour une personne victime d’abus sexuels d’arriver à en parler. Ce premier pas de libération est précieux ! Cela lui permet d’aller au-delà du secret, élément central des abus sexuels, élément sur lequel insiste l’abuseur (homme ou femme), sous peine de menaces de mort, de briser la famille, que la victime a «cherché» cet abus vu sa séduction, etc. D’en parler permet à la victime de sortir de cet état de victime pour rendre à l’agresseur la responsabilité de ses actes d’abus ! Aucune victime n’est ni responsable, ni coupable de ce qu’elle a subi !

Souvent ces enfants se renferment sur eux-mêmes et ne se confient pas à des adultes. Mais y a-t-il un moyen de reconnaître une victime de par sa manière d’être ?

Les enfants victimes d’abus disent parfois ce qu’ils ont subi, s’ils sentent qu’ils sont en confiance, s’ils sentent que leurs parents ou autre adulte proche vont les croire et vont pouvoir «tenir le coup» sans être trop choqués, sans trop en souffrrir. Les enfants tentent de protéger leurs parents, le plus possible. Et pour ce faire, ils peuvent ne rien dire. Parfois, ils peuvent dire aussi : «Je n’aime pas aller chez X, je n’aime pas quand Y m’embrasse, etc.» Par contre, faute de mots, leurs actes peuvent traduire que l’enfant est en souffrance : changement brutal de comportement, comportements agressifs soudains, insomnies, cauchemars, gestes sexuels non appropriés à son âge. Par exemple un enfant qui se masturbe beaucoup, un petit entre 5 et 12 ans qui mime une fellation en mangeant une banane, un enfant qui abuse d’un autre, etc.

Que doit-on faire lorsqu’on reçoit les confidences d’une victime de pédophilie ?

Il faut toujours croire un enfant ! Un enfant dont la parole est désavouée ou à qui on dit «aret fer maleleve», «ne dis pas ça  de ton papa!», «il faut oublier, c’est du passé», risque d’être dans le déni ou de vivre avec ce secret toute sa vie. Il faut valider la parole de l’enfant en lui disant. «Je te crois, je crois ce que tu me racontes.» Il importe que la victime puisse bénéficier d’un suivi psychologique, médical et légal pour qu’elle soit prise en charge et protégée !

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