L’ancien ministre des Finances a présenté son rapport sur la réforme électorale. Un travail de longue haleine que l’homme a fait, dit-il, pour l’avancement de son pays.
Il est un peu avare… de copies (mais pas d’explications). L’ancien ministre des Finances n’a prévu que 20 impressions de son exposé sur sa proposition de réforme électorale. 20 copies pour 19 titres de presse : c’est un peu juste. Alors, Rama Sithanen s’explique, avec une pointe d’humour, à la fin de son «grand oral» qui a duré plus de deux heures : «C’est du travail bénévole, ne l’oubliez pas.» Visiblement heureux de sa présentation, il distribue, lui-même, des copies en lançant des «Comment vous avez trouvé ?» Après tout, cette Initiative citoyenne pour une réforme réalisable à Maurice – Roadmap for a better balance between stability and fairness in the voting formula qu’il a présentée hier, samedi 28 janvier, c’est un peu son bébé…
Des longues heures de travail, de recherche, de réflexion, de rencontres (avec les leaders des principaux partis, des experts en Constitution et un groupe de citoyens représentatifs de «l’arc-en-ciel mauricien»), de calculs et de rédaction…Pendant plusieurs semaines Rama Sithanen a mis sa vie entre parenthèses : «J’ai travaillé 400 heures non-stop. Je n’ai fait que ça. Du coup, je n’ai même pas pu profiter de Noël et du Nouvel An.» Un sacrifice nécessaire, un exercice citoyen pour cet amoureux de son pays: «C’est ma contribution pour Maurice. Je maîtrise le sujet, j’ai une appréciation de la société mauricienne et de ses subtilités… Je ne pouvais pas rester les bras croisés.»
Une contribution qui se traduit dans la pratique par une série de mesures proposées par celui qui a consacré sa thèse de doctorat au système électoral en prenant comme exemple, le cas mauricien. Des mesures avec pour objectifs une meilleure représentativité des femmes au Parlement, le remplacement du mécanisme du Best Loser System (et non son objectif : la représentativité de toutes les minorités) par le Unreturned Votes Elect (UVE) et l’allocation des sièges d’une façon plus «juste» après des élections (voir hors-texte pour les points clés du rapport Sithanen).
Ce sont certains points de la réforme électorale proposée par le professeur Carcassone qui ont poussé l’économiste à revenir sur le devant de la scène (il s’était fait discret après les législatives de 2010): «J’estimais que certaines propositions de son rapport n’étaient pas adaptées à la situation mauricienne.» Désormais, après avoir rendu public son rapport, le citoyen Rama Sithanen – et non le politicien, précise-t-il – est investi d’une nouvelle mission : «Faire passer mon message auprès de mes compatriotes et des politiciens, leur montrer que l’UVE est la solution. Je ne peux pas faire plus que ça, ce n’est pas moi qui décide.»
Et c’est, donc, pendant plus deux heures qu’il s’est adressé à ses «compatriotes», précisant à maintes reprises qu’il avait tout «vulgarisé», n’hésitant pas à se mettre debout pour mieux expliquer, pour mieux se faire comprendre, ajoutant ici et là des petites blagues, des «papa o», des «li simple»…C’est un Rama Sithanen passionné qui a partagé sa réflexion. Une réflexion qu’il a maîtrisé du début jusqu’à la fin, s’appuyant sur des chiffres, sur des simulations se basant sur les législatives de ces quarante dernières années (illustrées par une présentation powerpoint).
Désormais, l’ancien ministre des Finances peut reprendre ses «activités» : «Je reprend le travail. Mais cette fois, c’est pour gagner de l’argent. J’ai travaillé ces dernières semaines pour le pays. Je le répète : ma démarche n’avait aucune contrepartie financière», confie-t-il dans l’ascenseur qui le ramène au rez-de-chaussée de l’Hôtel Labourdonnais, là où avait lieu sa conférence de presse…
Les leaders et la réforme
Le mot sur toutes leurs lèvres. Ben oui, les leaders politiques n’ont pas manqué de faire des déclarations, cette fin de semaine, sur la réforme électorale. À commencer par le Premier ministre Navin Ramgoolam, qui a déclaré, vendredi dernier lors de l’inauguration du Emtel Data Centre à Arsenal, qu’un «candidat ne doit pas être obligé de déclarer son appartenance ethnique aux législatives.» Pour ce qui est du rapport Sithanen, il a dit qu’il attendra de l’avoir entre les mains pour l’étudier.
Paul Bérenger, pour sa part, a déclaré, lors de la conférence du MMM hier, que «quoi que dise Sithanen, le MMM ne va pas changer son opinion sur la réforme (…), je vais proposer au PM de présenter un projet de loi pour inclure une dose proportionnelle de 20 candidats ainsi que le maintien du best loser system».
Finalement, Pravind Jugnauth a souligné, lors de la conférence de presse du MSM que «la réforme électorale ne doit pas être juste l’affaire des Ramgoolam, Bérenger et Sithanen».
Ce que dit le rapport
Il y en a dans ces 133 pages et 17 chapitres. La réforme électorale de Rama Sithanen semble avoir été minutieusement préparé. Tout en revenant sur le fait qu’il n’est pas d’accord avec Carcassonne et en énumérant le pourquoi d’une réforme électorale (stabilité politique, système juste et équitable, représentativité de toutes les composantes de la société, etc), l’ex-ministre des Finances est entré en profondeur sur ces trois aspects de sa réforme :
Un autre best loser system :
Sithanen précise : «Nous devons continuer l’objectif du best loser system, qui garantit une représentation ethnique équitable. Ce qu’il faut changer, c’est le mécanisme.» Ses propositions :
- que chaque parti crée une liste, appelée Party List, qu’il soumettra le jour du Nomination Day, avec les noms, en ordre, tout d’abord de ceux qui entreraient au Parlement s’ils sont élus, et ensuite ceux qui entreraient en tant que best losers. Ce sera donc au parti de décider de la représentation ethnique.
- cette liste sera fermée et donc non modifiable.
- les candidats pourront avoir droit à une double candidature, sur la liste de ceux qui pourraient être élus et sur celle des potentiels best losers.
- il faut garder le nombre de candidats à trois par circonscription.
- il faut garder le nombre d’électeurs par circonscription.
- il faut une allocation de 20 sièges additionnels.
- il ne sera pas obligatoire de mentionner son appartenance ethnique.
Répartition équitable entre hommes et femmes au Parlement :
- qu’il n’y ait pas plus de deux personnes du même sexe dans une circonscription.
- aucun genre, homme ou femme, ne doit être représenté de moins de 33 % dans la liste de chaque parti.
- sur chaque trois candidats dans la Party List, il doit y avoir une femme, bref, que les femmes ne soient pas tout au bas de la liste.
- sur ce volet féminin, Sithanen a balayé plusieurs méthodes qu’il ne juge pas bonnes pour arriver à cela, notamment la réservation de sièges pour les femmes au Parlement et l’inclusion de ses propositions dans la Constitution ou la loi électorale. Il préfère que ce soit les partis eux-mêmes qui prévoient tout cela dans leur constitution.
L’allocation des sièges au Parlement
Sithanen préconise un système, appelé le Unreturned Votes Elect, qui comptabiliserait les votes perdus (c’est-à-dire pour les candidats qui ont eu beaucoup de votes mais qui n’ont pas été élus) et ensuite déterminer par ce calcul s’ils ont eu assez de votes pour entrer au Parlement. L’ex-ministre dit faire cette proposition pour trouver un bon équilibre et pour plus de justice, tout en donnant toujours un léger avantage à ceux qui vont gouverner.
Textes : Yvonne Stephen et Stéphane Chinnapen