Franco Edouard a subi un sale passage à tabac après la diffusion d’Enquête exclusive.
Le jeune homme, ici sur son lit d’hôpital, se remet lentement de ses blessures.
Il a été démasqué par ses «rivaux» lors de son apparition dans l’émission Enquête exclusive, sur la chaîne M6, consacrée à Maurice. Celui qui s’est autoproclamé «Pablo Escobar» a été tabassé pour avoir utilisé un pseudonyme qui ne serait pas le sien dans le milieu à Maurice. Mais qui est vraiment ce Franco Edouard qui a déclaré être le baron de la drogue de son quartier ? Incursion au cœur de son histoire.
Dans le quartier où il habite, on le surnomme «Babylone». Mais pour ses parents, il est Franco, tout simplement. Le fils bien-aimé de sa mère Noëllie qui le considère comme un être «béni des dieux» pour avoir échappé à la mort après s’être fait agresser à quelques mètres de son domicile, sur le parking des appartements de la NHDC, à Baie-du-Tombeau (voir hors-texte) dans la nuit du 23 janvier.
Quelques heures plus tôt, Franco Edouard était l’un des principaux protagonistes de l’émission d’Enquête exclusive sur M6 intitulée Rêves, fortunes et trafics au soleil, les secrets de l’île Maurice. Il s’y montrait comme un dealer du nom de «Pablo Escobar» et s’évertuait à démontrer comment se déroulait le trafic de drogue à Maurice. Ce qui n’a pas plu du tout à ses rivaux, notamment celui qui serait le «vrai» Pablo Escobar mauricien, qui n’ont pas hésité à le lui faire savoir. Aujourd’hui, il se remet péniblement de ses graves blessures à l’hôpital. Mais il aurait pu y rester.
Depuis toute cette affaire, son nom, ou plutôt son pseudonyme, est sur toutes les lèvres. ils sont nombreux à se poser la question suivante : mais qui est donc ce jeune homme qui s’est proclamé vendeur de drogue sur M6 ? Comment est-il passé de Franco Edouard à «Pablo Escobar» ? Retour sur son parcours.
C’est le 12 septembre 1980 que Franco Edouard – fruit de l’amour entre Noëllie, jeune Rodriguaise qui avait quitté son île natale pour Maurice, et de Jean, originaire de Sainte Croix – vient au monde. Il grandit avec ses parents à Sainte-Croix. Lorsqu’il a 2 ans, sa mère donne naissance à un deuxième fils qui sera prénommé Allan. «Les deux frères étaient très proches et le sont toujours», confie Noëllie Edouard.
Franco fréquentera l’école primaire du Bienheureux Père Laval, à Sainte-Croix. Après deux échecs aux examens du Certificate of Primary Education (CPE), il quitte les bancs de l’école et se lance dans le monde du travail. «Dès l’âge de 12 ans, il commence à travailler. Un ami de la famille l’a initié à la soudure. Depuis, il a toujours exercé le métier de soudeur. Je me souviens qu’à l’époque, Franco gagnait Rs 150 par semaine. Avec cet argent, il se débrouillait pour acheter ce dont il avait envie, un t-shirt ou autre pantalon», se remémoire la mère de Franco.
«Frero» de Colosso
Au fil du temps, le jeune homme se fait plein d’amis dans son quartier. Parmi eux, un dénommé Jimmy Collosso, celui-là même qui l’aurait agressé lundi dernier. «Franco était très connu à Sainte-Croix. Il avait beaucoup d’amis dont Jimmy Colosso. Ce dernier venait souvent à la maison, s’asseyait à notre table pour un dîner ou un déjeuner. Il m’appelait affectueusement matante alors que Franco était son frero.»
Des années plus tard, la famille Edouard quitte Sainte-Croix pour emménager à la NHDC, à Baie-du- Tombeau. Elle s’installe dans son appartement flambant neuf situé au rez-de-chaussée d’un des blocs. «Malgré ce changement d’adresse, Collosso venait souvent à la maison nous rendre visite. Et Franco, lui, continuait de travailler comme soudeur avec un ami à lui. Les deux hommes entreprenaient des travaux de soudure à domicile chez des individus. Mon fils n’a pas son propre atelier de travail. Il gagne une somme modeste qui lui permet de vivre», souligne Noëllie.
Quelques années après être venu habiter à Baie-du-Tombeau, Franco fait une belle rencontre et tombe éperdument amoureux. Mais cette idylle ne durera que quelques années. «Il vivait en concubinage avec la jeune femme mais ils sont maintenant séparés. Ils ont une fille, âgée de 3 ans. Elle vit avec sa mère, qui a épousé un autre homme, à Baie-du-Tombeau», soutient notre interlocutrice.
Quoi qu’il en soit, à en croire Noëllie Edouard, son fils est un homme sans histoire, qui n’aurait jamais eu de démêlés avec la police et ne serait pas trempé dans des trafics de drogue. Mais il s’avère que l’homme est bel et bien dans le collimateur de l’Anti-Drug And Smuggling Unit (ADSU). Cette unité le soupçonne de faire partie d’un réseau impliqué dans le trafic du Subutex et de l’héroïne opérant dans la région de Sainte-Croix et Roche-Bois.
Dans le passé, suivant certaines informations, les membres de l’ADSU ont effectué plusieurs descentes chez lui à Baie-du-Tombeau. Toutefois, ces opérations se sont révélées infructueuses car aucune drogue n’a été trouvée sur place. Par contre, selon une source policière, le jeune homme a été arrêté, il y a quelque temps, pour possession d’armes (bearing offensive weapon).
«Il n’a pas de voiture»
Noëllie Edouard, elle, continue à défendre son fils bec et ongles. Selon elle, il n’est pas le caïd qu’on voudrait faire croire, même si lui-même affirme être un dealer de drogue devant les caméras de M6, et vit très modestement. Interrogé sur la voiture que conduisait Franco lors du tournage de l’émission Enquête exclusive, elle affirme que ce véhicule n’appartient pas à son fils. «Il n’a aucun moyen de transport. Ni voiture, ni motocyclette. Même pas une bicyclette. Certaines personnes racontent qu’il a caché sa voiture. Mais c’est totalement faux. Il est soudeur. Il gagne peu d’argent. Il doit subvenir aux besoins de sa fille. Il n’a même pas de maison à lui et vit toujours sous mon toit. Ses moyens ne lui permettent pas ce genre de folie.»
En tout cas, voiture ou pas, son fils conduisait. C’est même lui qui avait véhiculé le chanteur Pierpoljak lorsque celui-ci était venu à Maurice, en octobre 2008, pour le Reggae Dancehall Festival. La mission de Franco était de conduire le chanteur à ses différents points de rencontre. Lors du grand concert qui avait eu lieu au Stade Sir Gaëtan Duval, à Rose-Hill, il avait été aperçu aux côtés de l’artiste à sa descente de voiture.
Mais revenons à l’agression dont Franco a été victime, lundi. Pour justifier ce passage à tabac, Noëllie Edouard avance que celui qui serait derrière, Jimmy Colosso, est jaloux du physique de son fils. «Tout le monde sait et voit que Franco est un beau garçon. Jimmy est tout simplement jaloux de sa beauté. C’est pour cela que, lorsqu’il a agressé mon fils sous mes yeux, il a
piétiné son visage au point de le rendre méconnaissable. Lors de cette agression Jimmy a enlevé les vêtements que portait Franco, à l’exception de son sous-vêtement. Il l’a laissé sur le sol, saignant abondamment et m’a jeté ses vêtements à la figure, me disant d’aller à la police et de raconter aux limiers comment lui, Jimmy Colosso, a tabassé mon fils.»
Selon Noëllie, Jimmy Colosso en voudrait également à Franco à cause d’un incident. «Je me souviens qu’une fois, Jimmy avait organisé un bal. Franco avait invité quelques-uns de ses amis qu’il avait fait entrer gratuitement. Jimmy n’avait pas apprécié et avait giflé mon fils. Or, ceux présents au bal avaient pris la défense de Franco. Depuis, Jimmy avait une dent contre lui. Le jour de l’agression, il m’a dit que c’était en partie par vengeance et en partie à cause de l’intervention de Franco dans cette émission qu’il s’était vengé.»
Après cette terrible agression qui a failli lui coûter la vie, Franco Edouard se remet lentement de son passage à tabac à l’hôpital Jeetoo, à Port-Louis. Dans un premier temps, il avait été admis à l’unité des soins intensifs et est resté plongé dans le coma pendant trois jours. Sur son lit d’hôpital, où nous l’avons vu vendredi, Franco Edouard, salement amoché, éprouvait beaucoup de mal à parler. Quelque peu agressif par moments envers sa mère qu’il ne cessait de réclamer en appelant «ma ! ma ! ma !», le «faux» Pablo Escobar mauricien devra patienter encore un moment, selon le personnel soignant, avant d’être complètement rétabli. Une chose est sûre, il n’oubliera jamais son passage sur la chaîne de M6 et tout ce qui a suivi.
Le «dealer» piégé et tabassé
Peu après la diffusion d’Enquête exclusive sur M6 le lundi 23 janvier, soit aux alentours de 23 heures, Franco Edouard s’est fait rouer
de coups. Ses rivaux n’auraient pas apprécié le fait qu’il s’est servi du pseudonyme «Pablo Escobar» lors de cette émission consacrée à Maurice. Il s’est présenté comme un dealer de son quartier.
À peine l’émission terminée que Franco reçoit un appel d’une personne qui lui demande de se rendre sur le pont Bruniquel, à Sainte-Croix, muni de deux doses de Valium. Il quitte la maison ne se doutant pas qu’il se jette tout droit dans la gueule du loup. Une fois dans la rue, son présumé agresseur l’aurait roué de coups en se servant d’un bloc en béton avant de lui donner des coups de pied au visage. «Je regardais la télévision à ce moment-là. C’est un habitant du quartier qui m’a prévenue que mon fils se faisait tabasser sur le parking. Quand je l’ai vu, il saignait abondamment et son agresseur s’acharnait de plus en plus sur lui avant de lui retirer ses vêtements et de s’en aller», raconte Noëllie Edouard, la mère de Franco.
Il était une fois… un parrain colombien
Né le 1er décembre 1949 en Colombie, Pablo Emilio Escobar était le trafiquant de cocaïne le plus important – et le plus recherché – de son pays, voire même du monde entier. Issu d’une famille pauvre, Escobar a grandi dans une hutte sans électricité, ni eau courante. Il était le troisième d’une famille de sept enfants. Son père Abdel de Jésus Escobar était un paysan et sa mère, enseignante dans une école.
La carrière de malfrat de Pablo Escobar débute par le vol de pierres tombales et de voitures. À l’âge de 20 ans, il devient garde du corps et se fait de l’argent facile en kidnappant des cadres de Medellin et en demandant des rançons contre leur libération. Pour réaliser son souhait de devenir millionnaire, il va aussi travailler pour un chef de contrebande. À l’âge de 22 ans, il devient millionnaire et investit dans la cocaïne.
Il pilote lui-même son avion, principalement entre la Colombie et le Panama dans le but de passer de grosses quantités de cocaïne en contrebande. Ceux qui le gêne, notamment Fabio Restrepo, un célèbre trafiquant de Medellin, ou encore des policiers, il les assassine sans scrupule. En 1986, il tente d’entrer dans la vie politique de son pays et propose de rembourser toutes les dettes de l’État. Le 2 décembre 1993, il est tué dans son fief à Medellin suite à une vaste opération américaine.
M6 se défend
A l’heure où nous mettions sous presse hier soir, la cellule de communication de M6 n’avait toujours pas repondu à notre série de questions envoyée à la chaîne jeudi dernier. En revanche, le rédacteur en chef de l’émission Enquête exclusive, Jean Marie Tricot, avait précisé, sur les ondes d’une radio privée, que M6 n’a rien à se reprocher concernant l’agression de Franco Edouard. Le rédacteur
en chef a nié toute implication dans cette affaire. Le soudeur de Baie-du-Tombeau a été passé à tabac juste après la diffusion de l’émission à Maurice, lundi dernier, parce que dans le reportage il s’est présenté comme le «Pablo Escobar local». Ce qui aurait provoqué la colère de ses «rivaux» dans le milieu de la drogue. Si beaucoup affirment que l’identité de Franco Edouard n’a pas été correctement dissimulée, la chaîne française dit avoir pris toutes les dispositions pour le protéger.
Textes : Laura Samoisy et Christophe Karghoo