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Afro, dreadlocks, curly... : ces cheveux discriminés

Lionel, Sandrine, Valérie et Mervin avancent qu'il est temps d'affirmer et de célébrer les cheveux au naturel.

La publication de la première dauphine de Miss Mauritus 2021, Esha Luchoomun, sur sa page Facebook, le samedi 10 juin, a suscité une vague de réactions et d’indignation. En effet, la jeune femme, étudiante à l’UTM, confie avoir été victime de propos dénigrants de la part de son Lecturer concernant ses cheveux et ce, devant toute la classe. Mais le cas d’Esha Luchoomun n’est, malheureusement, pas isolé. Même si l’île Maurice prône fièrement sa multiculturalité, les cheveux frisés, bouclés, crépus, entre autres, n’ont pas fini de susciter des critiques.

La discrimination capillaire fondée sur la texture des cheveux est une triste réalité à laquelle plusieurs de nos compatriotes font face. Locks, tresses, afro, vanilles, et autres sont souvent jugés négligés, non professionnels, en sus de déclencher des remarques désobligeantes. Ce n’est pas Esha Luchoomun qui dira le contraire. «Ou bizin koup ou seve», « Zot pa lour sa?» ou encore «Ou kapav fer dimounn galoupe si trouv ou aswar»… Tels sont les propos lancés par son Lecturer concernant ses cheveux devant toute la classe. À la fin du cours, elle a abordé le sujet avec le principal concerné qui lui a fait comprendre que c’était une plaisanterie et qu’il s’en excusait. Ce dernier avait aussi formulé son intention de lui présenter des excuses devant toute la classe mais il n'a pu le faire car il a été révoqué par la direction de l’établissement tertiaire – après que celle-ci a pris connaissance de cette affaire – au cours de la semaine écoulée.

 

Cette histoire interpelle beaucoup ceux qui sont passés par un peu la même situation en raison de la nature de leurs cheveux. À l'instar de Kelly* qui confie avoir été victime de discrimination capillaire durant toute sa scolarité au secondaire. «Ce furent des années marquées par un manque de confiance en soi, mais aussi de complexes inutiles. Les remarques désagréables venaient souvent des enseignants et un tel agissement encourageait certains élèves à en faire de même. Vous vous imaginez le supplice que vit cette minorité ? Être toujours la risée de la classe juste parce que nous avons des boucles avec du volume ?» lance-t-elle.

 

Mais le plus dur, nous dit-elle, c’est que contrairement à Esha, ses dénonciations tombaient dans les oreilles de sourds. «L’administration ne faisait rien contre les enseignants ou simplement me disait fer defrizan ladan. Et cela était pareil pour tous les élèves avec des cheveux dits texturés. J’étais donc obligée de vivre avec cela, car on avait peur des répercussions si on froissait un enseignant. Et aujourd’hui, en stage d’étude, je suis obligée de côtoyer ce genre de personnes encore et je ne peux rien faire car j’ai besoin de mon rendu de stage», se désole-t-elle.

 

Lionel Lajoie, qui assume ses cheveux afros depuis environ 10 ans, constate, tristement, que les propos désagréables peuvent aussi venir du cercle d’amis ou familial, aussi bien que professionnel. «La discrimination capillaire est un fait et certains le subissent systématiquement. Et nous l’avons vu avec cet étudiant dans le Sud et celui de Rodrigues qui ont eu des problèmes à l’école, juste parce qu’ils avaient des dreadlocks. Mais le pire dans la discrimination, c’est celle qui se manifeste souvent dans les petites choses du quotidien. Comme pour le cas d’Esha, c'est parfois formulé comme une blague. Mais, souvent, ce sont aussi dans des dialogues qui peuvent venir des proches, des collègues, entre autres. Ces personnes croient que c’est drôle ou affectueux, alors que non. C’est dénigrant et blessant, surtout que c’est fait uniquement envers les personnes ayant des cheveux rastas, crépus ou autres. J’ai même eu un proche qui m’a demandé si j’avais des choses à cacher dans mes cheveux en faisant allusion à de la drogue et une autre personne proche de moi m’avait aussi dit "si to asiz devan mwa dan sinema mo pa pou trouv nanie sa"», confie le jeune homme.

 

Célébrer son identité

 

Que faire pour changer la donne ? Selon Lionel Lajoie, pas grand-chose. «Selon moi, dans le cas d’Esha, il n’était pas nécessaire de révoquer la personne. Car Esha a fait ce qu’il fallait, c’est-à-dire expliquer à la personne pourquoi ses propos sont dégradants et faire comprendre que ce qui a été dit comme une blague est blessant et raciste, car ce genre de blagues est fait envers les descendants d’Africains principalement. Il faut simplement que nous nous affirmions, car nous faisons le choix d’avoir les cheveux au naturel et qu'on se sent bien ainsi, et c’est normal. Il y a plus une nécessité d’affirmation qu’autre chose. Car je ne souhaite pas qu’il y ait des lois comme aux États-Unis ou des revendications, parce que cela mettra automatiquement les personnes qui le demandent dans une position de victimes et je ne suis pas d’accord avec ça. Il faudrait plutôt se dire que nous avons autant de droits que quiconque d’être là et d’exister tels que nous sommes. C’est lassant de devoir toujours raisonner les gens sur leurs propos à notre égard. Pour moi, les cheveux afros, rastas ou crépus, c'est un statement politique dans la mesure où mes cheveux afros ça veut dire ki mo refiz leritaz kolonial, mo asime ki dan mo laparans ena bann zafer ki asosie a bann textir afrikin alors que tout a été fait dans l’histoire pour les éliminer. Mais, comme je le dis, que chacun fasse ce qui lui convient. Moi, j’ai fait ce choix afin de ressembler à Angela Davis ou d’autres héros africains qui ont des discours d’affirmation et d’auto-détermination au lieu de vivre selon les normes que certains nous imposent.»

 

Et ces normes imposées, Mervin Léon en a fait les frais. «J’étais enseignant dans le privé pendant trois ans et cela ne posait aucun problème que j’aie des dreadlocks car cela ne m’empêchait pas de bien faire mon travail. D’ailleurs, j’avais même fait 100% de réussite avec une classe de repeaters. Et ma plus grande erreur a été de croire que je serais accepté pour mes qualifications dans un établissement gouvernemental, mais j’ai été recalé juste parce que je refusais de couper mes cheveux. Le système, ici, est encore archaïque et c’est révoltant. Il y a le fils d’un ami qui a subi de la discrimination dans son école parce qu’il avait des dreadlocks. On disait à cet enfant, qui 12 ans, que ses cheveux puaient ou autre. Se rend-on compte du tort qu’on cause à cet enfant ? Il est grand temps de changer le système et que chacun soit reconnu pour ce qu’il est.»

 

Jérôme* 35 ans, a arboré des dreadlocks de son adolescence jusqu’à ses années universitaires. Les moqueries et commentaires désagréables l’ont poussé à couper les ponts avec plusieurs de ses proches. «Les remarques pénibles sont deux fois plus difficiles à digérer quand elles proviennent de notre cercle familial. J’étais un étudiant exemplaire et quelqu’un de toujours respectueux. Mais lors de réunions familiales, j’étais le clown ou le sujet de conversation. Certains me donnaient des surnoms blessants ou on disait à untel de ne pas me fréquenter, car je suis sûrement un drogué. C’était difficile à vivre, surtout qu’au quotidien, je faisais face à des regards et à la méfiance des gens. J’ai préféré couper les ponts avec certains membres de ma famille. Aujourd’hui, je n’ai plus de dreadlocks et cela toujours par choix personnel. Et là encore, je vois comment l’attitude des gens change. Ceux qui me méprisaient veulent renouer avec moi, car j’ai une bonne situation professionnelle et plus de dreadlocks.»

 

En effet, l’idée même que certains types de cheveux ne sont pas suffisamment beaux et dignes a été transmise depuis des générations. Sandrine et Valérie, deux sœurs, femmes éduquées, résilientes, se sont donc engagées dans l’empowerment de la femme noire en lançant Curlies, marque de produits capillaires créée par deux femmes noires. «L’identité de la femme noire est intimement liée et indissociable de ses cheveux (crépus, bouclés, frisés,…), et ceux-ci ont été pendant longtemps sources de souffrance pour ces femmes. Maintenant, ça suffit, il faut que ça change ! C’est pour cela que nous avons créé Curlies, afin de répondre à un besoin pour ces femmes ou même ces hommes qui font un retour aux sources», confient les deux sœurs.

 

Pour promouvoir l’acceptation des cheveux naturels, Valérie a aussi écrit un livre de jeunesse intitulé Shake, Shake, Shake tes vanilles, vendu à Maurice par Sandrine, mais aussi en Allemagne, le pays d’adoption de Valérie. Le livre relate l’histoire émouvante de Deborah, une noire, et Aïcha, une métisse, qui apprennent à s’occuper de leurs cheveux depuis leur enfance, car c’est là que tout commence, à la source ! «Avec Shake Shake Shake tes vanilles, je veux toucher l’esprit et le cœur des petites filles. Leur donner tout ce dont ma sœur et moi avons manqué pendant notre enfance pour apprendre à aimer et accepter nos cheveux, mais cela peut aussi aider les autres à comprendre.»

 

Sandrine et Valérie croient dur comme fer dans leur action  : «Lorsqu’on comprend que nos cheveux au naturel sont beaux et qu’ils sont dignes, on commence alors à embrasser son identité et à la célébrer. Et notre mission commune est d'enseigner et d'équiper. Car si nous ne pouvons peut-être pas changer la mentalité des oppresseurs, nous pouvons définitivement aider à changer la mentalité des oppressé/es. »

 

*prénoms fictifs