Demain, cela fera une semaine que les urnes ont parlé, délivrant ainsi la voix du peuple. Si ça a été la douche froide pour le clan de Pravind Jugnauth, la défaite a aussi été cinglante pour les partis extraparlementaires qui n’ont pas réussi à faire élire un seul député. Bien que certains résultats restent malgré tout honorables, les Mauriciens n’ont, au final, pas adhéré au discours «Ni Navin Ni Pravind», préférant voter massivement pour l’Alliance du Changement et éjecter brutalement l’Alliance Lepep du Parlement. Pourtant, au fil de ces derniers mois, les partis extraparlementaires, qui avaient fini par se regrouper sous la bannière Linion Reform le 11 octobre dernier lors de l’enregistrement des partis et des alliances, ont su se frayer une petite place sur la scène politique locale, jouant un rôle non-négligeable de contre-pouvoir, tels de véritables garde-fous de notre démocratie souvent mise à mal par le régime MSM au cours de son dernier mandat.
Devant une mobilisation souvent réussie, ils étaient animés par la volonté de bousculer le paysage politique et de se positionner comme une troisième force, persuadés de pouvoir enfin séduire un électorat las de la politique traditionnelle. Forts de leurs nombreuses mesures solides et audacieuses, ils militaient pour une vraie relance de l’économie avec, au cœur de celle-ci, les petites et moyennes entreprises. Ils souhaitaient soulager les Mauriciens, qui croulent sous le poids de la cherté de la vie et des dettes, et redonner espoir aux jeunes. Animés par une vraie volonté de rendre Maurice meilleure, ils s’élevaient aussi contre toute répression, toute manipulation, tout accaparement du pouvoir.
Alors, le verdict sans appel des urnes a été difficile à encaisser et à comprendre. La déception et l’amertume dans la voix et les yeux de Rama Valayden, candidat dans la circonscription n° 19, le 11 novembre, au moment d’annoncer sa défaite alors que les résultats n’étaient même pas encore connus en disent long. «Mon état d’esprit ne peut pas être normal et bon quand tout le monde sait que depuis mon retour au pays et même avant, je suis celui qui a travaillé le plus pour cette circonscription. C’est la vie. L’électorat en a voulu ainsi. Je disais dans les meetings “si zot pa oule krisifie mwa” et on dirait qu’ils l’ont fait avec leker kontan», a-t-il déclaré disant devoir désormais tirer les leçons politiques et personnelles de cet échec tout en assurant qu’il restera jusqu’au bout la personne engagée qu’il est.
C’est avec la même déception, la même amertume et le même désarroi que Roshi Bhadain s’est exprimé à chaud le lundi 11 novembre après avoir fini à la quatrième place au n° 20 (Beau-Bassin–Petite-Rivière) avec 11 271 voix. «Moi, je pense que le peuple a mal voté parce que je pense que c’est la fin des extraparlementaires. Je pense aussi qu’il y aura une opposition parlementaire très très faible, ce qui n’est pas bien pour la démocratie. C’est le verdict du peuple, on doit l’accepter. Quant à moi, je retourne à ma profession et je vais passer plus de temps en famille. C’est difficile pour moi de dire ça, mais je prends un congé politique d’au moins quatre ans.»
Pause
Des mots qui ont suscité interrogation et incompréhension chez certains et perplexité chez d’autres. Le leader du Reform Party a finalement adressé un autre message à ses partisans sur sa page Facebook le 13 novembre dernier. «Cher Reformers, on a vraiment fait de notre mieux ! Je suis reconnaissant envers les 11 271 personnes qui m’ont fait confiance et ont voté pour moi ! Je suis aussi très fier de vous. C’était une grosse vague anti-Jugnauth ! Je suis là, je serai toujours présent avec vous et je vous aime tous !» Contacté au téléphone plus tard, Roshi Bhadain nous dira qu’il prend, en ce moment, du temps pour lui et sa famille et lorsqu’on l’interroge sur son avenir politique, il dit ne pas souhaiter répondre tout de suite : «Pour le moment, je souhaite passer quelques jours en famille. Je suis avec ma maman, mon épouse et mes enfants. Appelez-moi la semaine prochaine et je répondrai à votre question.»
Tout comme pour lui, la défaite est amère pour Nando Bodha qui aspirait au poste de Premier ministre. Alors, même si aujourd’hui le résultat est dur à encaisser, il estime que cela en valait largement la peine. «La volonté du peuple est claire. Il voulait en finir avec le régime en place. Pour nous, ce n’était pas une élection, mais une mission car lorsque j’ai commencé ce combat il y a quatre ans, j’ai senti la volonté du peuple d’en finir avec le système que je dénonçais. Les électeurs sont venus et finn tap trwa koulou pou dir non. C’est une grande vague. On respecte et on croit dans notre démocratie.»
S’il ne donne aucune réponse précise sur comment il envisage désormais son avenir politique, Nando Bodha assure qu’il restera présent, du moins pour ses mandants. «C’est une élection qui a testé notre courage, nos valeurs et nos principes. J’aime mon pays et j’aurai toujours une grande vision pour l’avenir des futures générations. Je salue l’esprit de combat de tous nos candidats et soldats qui ont tout donné face à ces deux grands blocs. Je ne sais pas comment remercier tous ceux qui nous ont soutenus. Je suis reconnaissant de la confiance placée en moi et je serai toujours présent pour servir comme cela a été le cas dans le passé. Nous avons jeté une grande fondation, mais notre combat pour une plus grande île Maurice continue. Nous serons toujours là.»
Aujourd’hui, au vu de la nouvelle configuration parlementaire imposée par ce 60-0, beaucoup s’accordent à dire qu’une opposition extraparlementaire est d’autant plus importante et nécessaire. En effet, faire le contrepoids face à un gouvernement qui aura devant lui une faible opposition, et donc carte blanche pour faire adopter tous les projets de loi qu’il présentera à l’Assemblée nationale, semble plus que jamais crucial pour le bon fonctionnement de la démocratie. C’est d’ailleurs ce qu’a laissé entendre Dev Sunnasy dans un communiqué émis par Linion Moris au courant de la semaine. «Le résultat est un parlement sans opposition, et dans une démocratie sans “check and balance”, c’est le pire des résultats.» Néanmoins, poursuit-il, malgré une opposition parlementaire inexistante, «les extraparlementaires seront probablement les vrais chiens de garde de notre démocratie».
Joint au téléphone, Dev Sunnasy estime qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’avenir des partis extraparlementaires, même si leur rôle reste très important. «Nous devons laisser le temps au temps. Pour les prochains six mois, il n’y aura rien. Pour le moment, nous félicitons le nouveau gouvernement et nous le laissons travailler. Nous ne sommes pas là pour critiquer. Une des choses les plus importantes c’est le Freedom of Information Act et nous espérons que l’Alliance du Changement fera les choses correctement, surtout qu’elle est partie sur un modèle de surenchère pendant la campagne.»
Et il y a, dit-il, du pain sur la planche. «Il faut mener une lutte acharnée contre les fléaux et mettre en place la reprise économique. Sans une économie correcte qui se développe, on ne pourra pas s’en sortir. Je donnerai un coup de main s’il le faut. Je crois que nous devons, dans un premier temps, soutenir un nouveau gouvernement.» La priorité aujourd’hui, affirme-t-il, c’est le pays.