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Quand la pluie noie les routes mais boude nos réservoirs

20 mars 2025

Photos : SD, Sumeet Mudhoo et DR

On l’attendait comme une bénédiction, elle est arrivée comme un torrent. Cette semaine, la pluie a bien arrosé l’île, mais pas assez pour remplir nos réservoirs. Des averses intenses, mais trop brèves, qui n’ont fait qu’effleurer la terre assoiffée. Pourtant, en quelques minutes seulement, certaines régions ont été submergées. Dès lundi, des vidéos et photos d’inondations ont envahi les réseaux sociaux. À Quatre-Bornes, où il est tombé 59,5 mm de pluie, des rues entières se sont transformées en rivières. À Vacoas, 62,3 mm de précipitations ont été enregistrés et au Champ-de-Mars, 50,4 mm, forçant les spectateurs des célébrations du 12 mars à fuir sous une pluie battante. L’eau s’est engouffrée dans plusieurs zones sensibles, notamment à Bagatelle, Bonne-Terre, Pailles, Trianon et Phoenix. Une scène inhabituelle s’est aussi déroulée à l’hôpital de Candos, où une vidéo montre l’eau traversant une pièce avant de s’écouler à l’extérieur. Mais l’image qui a le plus frappé reste celle d’une station-service de La Louise, encerclée d’eau, soulevant de nombreuses interrogations. Pendant ce temps, un drame a failli se produire à Vallée-des-Prêtres où, le 11 mars, une fillette a été emportée par le courant de la rivière Lataniers. Par chance, elle a pu être sauvée. Ces inondations, bien que récurrentes, suscitent toujours autant d’exaspération. À chaque forte pluie, les mêmes scènes se répètent, paralysant des quartiers entiers en quelques minutes. Nous sommes allés à la rencontre des habitants, commerçants et témoins qui, une fois de plus, ont dû faire face aux caprices du climat.

C’est près de l’école Marcel Cabon, à Cité La Cure, que nous rencontrons Christina Castor, la tante de la fillette miraculée. Au départ, la famille ne voulait pas s’exprimer. «Nounn tann tou kalite koze, me personn pa kone kinn pase vremem ! Pa 4 zanfan, me enn sel kinn al dan dilo !» Nous comprenons leur agacement face aux fausses informations et aux jugements circulant sur les réseaux sociaux. «Ce jour-là, le temps était ensoleillé, et comme c’était le 11 mars, les enfants sont sortis plus tôt de l’école. Avec les coupures d’eau dues à la sécheresse, ma sœur et moi sommes allées laver notre linge à la rivière. Ne voulant pas laisser les enfants seuls à la maison, nous les avons emmenés avec nous. Rien ne laissait présager qu’en une fraction de seconde, ma nièce de 6 ans, Anaya, allait être emportée par un courant d’eau. Nou bann zanfan landrwa, pa premie fwa nou al larivier ! Pourtant, elle était assise sur le rebord. J’ai vu ma sœur tenter de l’agripper, mais l’eau, dévalant des montagnes avec une telle pression, l’a projetée contre les rochers. Cette scène est gravée dans ma mémoire, je vois encore ma sœur crier, impuissante. Anaya a été emportée sur environ 300 mètres et a fait preuve d’un immense courage en s’agrippant à une liane couverte d’épines. C’est là qu’une dame bienveillante l’a secourue avant de l’emmener à la station de police. Heureusement, après une consultation à l’hôpital, elle s’en est sortie avec seulement quelques égratignures. Rezma li pann aval sa delo sal-la. Se Bondie kinn rann nou nou zanfan !» confie-t-elle, encore bouleversée. Elle poursuit : «Kan nounn rod sekour ek lapolis, zot dir pa zot travay sa ! Je peux comprendre, mais la moindre des choses aurait été d’appeler rapidement les pompiers. Nous étions livrées à nous-mêmes, sans téléphone portable. C’était une épreuve difficile, et jusqu’à présent, ma sœur ne mange plus et reste dans un état dépressif. Il faudrait que le ministère du Bien-être de la famille l’accompagne psychologiquement. Car au-delà de cette tragédie, nous vivons une pression morale intense.» En raison de l’acharnement sur la famille, elle a préféré ne pas montrer leur visage.

À La Louise, Quatre-Bornes, le Colombia Music Shop fait partie du paysage depuis plus de 20 ans. «C’était un vidéo-club avant, aujourd’hui, nous sommes spécialisés dans les instruments de musique. Les accumulations d’eau sur Vacoas Road sont devenues une habitude. L’an dernier, nous avons été victimes d’inondations. Les boîtes remplies de matériel, batteries, haut-parleurs et guitares ont été endommagées. Tout s’est passé si vite ! Nous avons alerté les autorités, inn dir pou fer, me nanie pane fer. À chaque grosse pluie, c’est une frayeur. Nous voulons un entretien régulier des drains», soutient Nitisha Seeburun, qui, timide, a préféré ne pas apparaître en photo.

«Cette situation à La Louise dure depuis sept ans. Je suis né ici et je n’ai jamais vu autant d’eau s’accumuler en si peu de temps. Parfois, quand la station-service est encerclée d’eau, cela remonte jusqu’au kalimaye. Même la place Taxi a été envahie d’eau jusqu’aux genoux. L’eau n’a plus d’issue pour s’évacuer, tou drain bouse ek li pa desann. Quand l’eau descend de la colline, elle passe par Candos et déferle vers La Louise, qui forme une cuvette. J’ai dû aider certains commerçants à poser des briques devant leurs portes pour limiter les dégâts», raconte Bianchi Jolicoeur, rejoint par son ami Lindsay Velvendron. «Il est impératif de réaliser des travaux de drainage dans cette partie de Quatre-Bornes. Il y a tellement de commerces ici, et la route est très fréquentée. Il faudrait travailler par étapes pour éviter de trop pénaliser les commerçants et riverains. Un bon entretien régulier des drains reste la clé», ajoute-t-il.

À La Louise, il y a un lieu que tout le monde connaît : la Place Taxi. Entre chauffeurs de taxi, petits snacks et guichet automatique, un ti bazar anime aussi la place. «Depuis 1992, mo vann legim isi. À l’époque, il n’y avait pas d’accumulations d’eau de cette envergure. Il y a quelques années, les autorités ont détourné l’eau venant de Sodnac et de la station de police vers ce grand canal ici, qui finit à La Ferme. Ce canal principal ne suffit pas à évacuer toute l’eau qui s’y engouffre. Avant, je vendais des légumes près de ce canal, à côté de l’ancien cinéma Milan. Kanal-la ti 3 fwa mo oter ek 15 pie profonder ! Avec le manque d’entretien et les déchets, il s’est bouché rapidement. Le précédent gouvernement avait envoyé des équipes pour nettoyer, mais le problème persiste et s’est même aggravé. Il faut creuser ce canal, l’agrandir et contrôler les constructions illégales. La municipalité doit être plus vigilante face à ce laisser-aller. Mardi dernier, après les fortes averses, nous avons été submergés. Deboute pa ti pe kapav, telma delo», déplore Seerajsingh Jeewooth.

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