Publicité

Ces cités en mal de regard

Quand les quartiers vibrent autrement !

2 juillet 2025

Il y a ces cités à Maurice dont la simple évocation du nom fait se hausser les sourcils et se détourner les regards. À Port-Louis, de Roche-Bois à Sainte-Croix, nous nous sommes baladés dans les rues de Cité Briquetterie, de Batterie Cassée ou encore de Cité Ducray. Malheureusement, ce jour-là, en début d’après-midi, l’accès à Karo Kalyptus nous est refusé… Reprenons depuis le début. C’est sûr, les cités évoquent trop souvent une stigmatisation tenace. Si autrefois, la pauvreté et l’échec scolaire dominaient les récits, aujourd’hui, c’est la peur des fléaux sociaux – comme la drogue – qui fait frissonner. À peine arrivés dans ces quartiers, nous nous sentons dévisagés, comme si tout le monde reconnaissait en nous des étrangers aux lieux. Si la vue d’une caméra ou d’un carnet agace certains, d’autres, au contraire, veulent raconter l’autre facette, moins sombre, plus humaine. Nous avons voulu marcher ici, comme partout ailleurs à Maurice, armés de notre sourire et de cette envie sincère de découvrir les gens, les lieux, les talents, les aînés et cette jeunesse qui rêve d’un avenir plus clair. Le hic du jour ? Une tentative d’entrée à Karo Kaliptis stoppée net : «Ou pa pou gagn rantre sa ler-la mamzel ! Sirtou pa ek enn kamera ni ou portab !» Choqués, tristes, mais respectueux, nous avons reculé. Pourtant, ceux qui ont bien voulu nous parler nous ont ouvert tout un monde : celui de la joie de vivre malgré tout, de la solidarité tenace, d’aînés au regard vif, de jeunes encore motivés. Depuis le 15 juin, avec Anou Transform Nou Landrwa, de Karo Kalyptus au Roche-Bois Youth Centre, des activités voient le jour pour redonner espoir, canaliser l’énergie et, surtout, offrir des alternatives à la dérive.

Sur la route principale de Batterie Cassée, nous rencontrons Jean-Noël Colette, bien occupé avec son plat de riz, brèdes et poisson ! Loin d’être dérangé par notre présence près de la boutique-bazar du coin, il nous répond avec entrain : «Nou kontan ena bann aktivite koumsa pou fer reviv landrwa-la !» Mais il nuance : «Ce chemin est, hélas, la cause de plusieurs accidents, aussi bien pour les grands que pour les petits. Bann transpor-la roul tro brit ! Les jardins d’enfants sont peu entretenus et sécurisés. Nous n’avons pas de grands projets pour occuper les jeunes. D’ailleurs, dès qu’on entend parler de notre cité, pran nou pou bann dernie. Certes, nous avons des problèmes, mais aussi de bons côtés comme ailleurs. Il est temps d’avancer et de penser à cette relève, pour que les jeunes aient un avenir professionnel. C’est cette discrimination qui nous tue. D’ailleurs, le centre social pourrait accueillir des cours de soutien éducatif gratuits. Il faudrait des personnes motivées pour encadrer ceux qui en ont besoin.»

Ducray, cette cité entre Abercrombie et Sainte-Croix, reste souvent dans l’ombre. Mais Maryse Louis et Rosy Carron, figures du quartier, nous éclairent. «À l’époque, il faisait bon vivre ici. C’était une grande famille. Aujourd’hui, même les amis hésitent à venir. On doit faire attention à quelle heure on marche sur le chemin», lancent-elles. Maryse est la présidente de l’association Le Cœur à la Main, active depuis 30 ans. «Chaque mois, nous offrons un déjeuner aux aînés et à ceux dans le besoin. Nous faisons des dons à ceux qui peinent à finir le mois. Mais le manque de coopération policière pèse car trop souvent, nous sommes livrées à nous-mêmes.» Elles saluent toutefois l’aide du conseiller municipal Frédéric Speville pour faire déblayer la route des Pamplemousses. «Nou pa pe rod mirak, mais juste un soutien constant des élus pour améliorer notre quotidien.» Besoin d’aide ? L’association est joignable sur le 5931 9677.

Beaucoup de ceux qui ont grandi à Cité Briquetterie connaissent bien Laboutik Kala ! Elle est aujourd’hui appelée Tabagie Marvin et c’est le petit-fils qui a repris le flambeau. Son épouse Sandrine Potou nous accueille avec gentillesse, malgré le va-et-vient constant. «Je me suis mariée il y a un an, et quitter Ste-Croix pour venir ici n’a pas été un grand changement. Le quartier a besoin de projets pour redonner espoir aux jeunes. Kar se ladrog ki blok enn landrwa.» Elle voit dans le sport et l’art des échappatoires vers un avenir plus prometteur. Son mari Marvin renchérit : «Ena 30 an de sela, kartie-la ti pli korek ! Ti ena respe pou bann gran dimounn. Mais aujourd’hui, la réalité est plus difficile : une heure d’eau par jour, la dépendance aux camions-citernes, la stigmatisation. Bann dimounn dir isi enn baz ladrog. Pa gagn travay koumsa. Mem taxi pa anvi rant dan landrwa. Pourtant, nous avons aussi des professionnels, des artistes et des jeunes diplômés. C’est ce manque de considération qui pousse les jeunes vers l’argent facile. Nous, on ouvre à 5 heures du matin, on vend du thé et du pain à nos fidèles clients, qui sont souvent eux-mêmes les victimes de ce système.»

Artiste dans l’âme et zanfan landrwa, Dominique Sobha, 43 ans, colore son quartier à travers ses graffitis. C’est lui qui peint les fresques dans les différentes régions du programme Anou Transform Nou Landrwa (ATNL). «Breakdance ou encore peinture, je suis un passionné avant tout. J’ai longtemps donné des cours gratuitement aux jeunes, jusqu’à ce que le manque de moyens ait raison de la motivation. Nous aidons sans rien attendre en retour, mais nous avons aussi une famille à nourrir. Il faut investir dans des coachs réguliers et dévoués, qui accompagnent les jeunes et leur montrent l’exemple. Nou ena sertifika ki pe dormi dan larmwar ! Grâce à ATNL, c’est une occasion de redonner vie au quartier, de repérer des talents et, surtout, de raviver la confiance dans la cité.»

Interdits d’accès, c’est via le post du député Ludovic Caserne que nous découvrons Karo Kalyptus et les actions de nettoyage engagées.

Ki sa proze-la ?

Lancé le 15 juin 2025 à Karo Kalyptus, Anou Transform Nou Landrwa est une initiative citoyenne menée en collaboration avec le ministère de la Jeunesse et des Sports. L’objectif : occuper les jeunes à travers des activités sportives, créatives et éducatives, afin de lutter contre les fléaux sociaux. Après Karo Kalyptus, le programme a posé ses valises à Cité Briquetterie (le 22 juin), se poursuit à Batterie Cassée (29 juin) et se clôturera au Roche-Bois Youth Centre, près de Laplenn Dragon (le 13 juillet), avant de s’étendre à d’autres régions de l’île.

Publicité