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Affaire Ishwaree Gonoo, un crime toujours impuni sept ans plus tard

Sa fille Devina : «Eski mo pou trouv lazistis pou mo mama avan mo mor ?»

22 juin 2025

Cela fait sept ans que Devina attend que la police procède à l'arrestation du meurtrier de sa mère.

Sept ans après ce meurtre non résolu, l’arrivée de deux officiers de Scotland Yard pour enquêter sur des affaires médiatisées à Maurice a incité les proches d’Ishwantee Gonoo à lancer un appel pour réclamer justice. Le principal suspect étant toujours en fuite, Devina, la fille de la victime, exprime son incapacité à faire son deuil tant que le crime reste impuni. Elle se confie.

L’arrivée de deux enquêteurs de Scotland Yard à Maurice, cette semaine, a suscité beaucoup de réactions. Leur collaboration avec la police mauricienne est perçue comme une avancée significative pour établir les faits dans des enquêtes non résolues. Leur objectif n’est pas de résoudre directement ces affaires, mais d’apporter une expertise méthodologique et technique en matière d’enquête et d’analyse sur plusieurs affaires médiatisées, telles que la mort de Soopramanien Kistnen en 2020, le meurtre de Michaela Harte en 2011 et le décès de Vanessa Lagesse en 2001. Après qu’ils se seront rendus sur les scènes de crime, auront rencontré tous les acteurs clés de ces enquêtes – les proches des victimes, les médecins légistes, d’anciens enquêteurs ou des témoins – et reconstitué les faits, ils soumettront un rapport détaillé aux enquêteurs du Central Criminal Investigation Department (CCID) et la Major Crime Investigation Team (MCIT) pour leur faire part de leurs recommandations.

Si cette initiative est très bien accueillie par ces familles encore dans le flou, d’autres s’interrogent : «Kan pou ariv tour bann ti-dimounn ?» C’est le cas de Devina Kamdharsing, dont la mère, Ishwaree Gonoo, a été tuée à son domicile à Cottage en 2018 ; un cambriolage ayant mal tourné, semble-t-il. Si l’étau s’est resserré autour d’Andy Bibi – un habitant de localité âgé de 19 ans au moment des faits –, la police n’a pas été en mesure de mettre la main sur lui jusqu’ici, rendant le deuil des proches de la victime, qui était âgée de 68 ans, impossible.

C’est avec le regard plein d’admiration et le cœur empli de gratitude que Devina Kandharsing, enfant unique, nous parle de la personne formidable qu’était sa défunte mère. «Li’nn pas boukou mizer. Mo papa finn kit nou kan mo ti ena 8 mwa ; mo mama finn fer tou zafer tousel.» N’ayant eu autre choix que de retourner vivre chez sa mère, Ishwaree Gonoo a joint les deux bouts en travaillant «dan karo». Avec très peu de moyens, confie Devina, «li’nn donn mwa ledikasion kot li’nn kapav aprann mwa lir, me mo’nn bizin aret lekol. Lerla mo’nn marye». Juste après, Devina Kandharsing s’est installée à Goodlands avec son époux. «Kan mo’nn gagn zanfan, mo belmer ti pe get zot. Kan li’nn desede, mo mama finn vinn rest kot mwa pandan 12 an pou ed mwa okip zot.» Lorsque l’occasion lui a été offerte d’obtenir une maison de la NHDC, à Cottage, après des années de démarches, Ishwaree Gonoo l’a saisie, mais ne manquait aucune opportunité de prendre soin de sa fille. «Elle continuait de venir séjourner chez moi très régulièrement, s’occupait des tâches ménagères lorsque je devais travailler. Kouma mo ti pe malad, li ti pe vini. Sak fwa mo ti ena pou sorti, mo mama ti pe akonpagn mwa partou. Li ti pe fer tou pou mwa.»

Le 14 février 2018, après les célébrations de la fête de Mahashivaratri, Ishwaree Gonoo a quitté le domicile de sa fille pour rentrer chez elle après un séjour d’une semaine. Il était prévu qu’elle revienne dès le lendemain, dans l’après-midi. «Li ti tousel laba, ki li ti pou fer ? Mo ti dir li vini, mo ti pou kwi enn bon manze pou nou asize ansam nou manze», raconte Devina Kandharsing. Vers 15h30, le lendemain, soit le jeudi 15 février, comme sa mère n’était toujours pas arrivée, elle a commencé à se poser des questions. «Mo’nn telefonn li pou kone kifer li pankor vini me li pa’nn dekrose. Mo’nn sonn li plis ki 20 fwa, me mo pa’nn resi gagn li.»

Antivol forcé

Elle s’était dit que la sexagénaire avait peut-être accidentellement mis son cellulaire en mode silencieux et a alors appelé une tante domiciliée dans la région de Cottage pour qu’elle se rende sur place. «Mo matant pa ti la, me li’nn dir so garson al get li. Kan mo kouzin finn ariv laba, li’nn kriye mo mama me personn pa’nn ouver. Li’nn gagn traka. Enn vwazin finn vinn ed li. Letan toulede inn rantre, zot finn gagn enn sok.» Ishwaree Gonoo était allongée sur le sol, sur le dos, et portait une profonde entaille au cou. Elle avait aussi de graves blessures à la tête. L’antivol forcé d’une imposte et la maison sens dessus dessous ont orienté les enquêteurs vers la piste d’un cambriolage ayant mal tourné. D’autant qu’il ne s’agissait pas du premier vol recensé au domicile d’Ishwaree Gonoo, ni dans la région. Quant à la victime, elle avait succombé à une stab wound to the neck, selon l’autopsie pratiquée par les médecins légistes Sudesh Kumar Gungadin et Prem Chamane.

La police n’avait pas tardé à avoir une piste sérieuse. Quelques jours après le meurtre, soit le lundi 19 février, la Field Intelligence Unit (FIU) de la Northern Division avait procédé à l’arrestation d’une habitante de Terre-Rouge âgée de 46 ans, retrouvée en possession du cellulaire d’Ishwaree Gonoo. Soumise à un feu roulant de questions, elle avait d’abord prétendu avoir ramassé l’objet dans une fête, avant de cracher le morceau. Elle avait déclaré que le vendredi 16 février, Andy Bibi serait venu chez elle à l’occasion d’une fête lors de laquelle il lui aurait vendu le téléphone portable contre la somme de Rs 100. Elle avait ajouté que durant la soirée, le jeune homme aurait confié à sa sœur et à son cousin avoir commis un meurtre la veille.

Dans son récit, il aurait raconté qu’il s’était introduit chez la sexagénaire pendant qu’elle arrosait son jardin pour y commettre un vol. Il se trouvait toujours à l’intérieur lorsqu’il l’aurait entendue entrer et se serait caché sous le lui. Il serait, toutefois, sorti de sa cachette parce qu’Ishwaree Gonoo mettait du temps à s’en aller. Surprise par cette dernière, il se serait emparé d’une arme tranchante pour l’égorger. Il aurait même tenté de mettre le feu à sa maison avant de s’enfuir mais n’y serait pas parvenu. Également soumis à un interrogatoire, la sœur et le cousin de la femme en question avaient donné la même version. Après leurs confessions, la police a débarqué au domicile d’Andy Bibi pour procéder à son arrestation, mais il est parvenu à prendre la fuite. Plus de sept années se sont écoulées depuis, mais il reste introuvable. Sa mère assure également qu’elle n’a pas eu de ses nouvelles depuis ce jour (voir en hors-texte).

C’est avec une plaie pénétrante que Devina Kamdharsing tente, épreuve après épreuve, de survivre à cette tragédie. Perte d’appétit, sommeil perturbé et anxiété sont devenus son quotidien après que la vie a été arrachée froidement à celle qui la lui a donnée. «Mo pena ni ser, ni frer, ni papa ; mo mama ti tou pou mwa. Pena nanie ki kapav ranplas enn mama. Je lance un appel au Premier ministre et au commissaire de police pour qu’ils entendent ma souffrance, pour qu’ils retrouvent le meurtrier de ma mère, pour que ma famille et moi-même puissions enfin faire notre deuil», lâche notre interlocutrice. À plusieurs reprises depuis le drame, elle s’est rendue dans les locaux de la MCIT, qui s’est saisie de l’affaire, cherchant à savoir où en était l’enquête. «Sak fwa monn ale, zot inn dir mwa zot pe travay lor la» ; la dernière fois remontant à trois ans de cela.

«Mo leker ankor plore»

Depuis, dit-elle, «mo pann gagn letan okip sa. Se mo tonton ki ti pe amenn mwa, me linn malad. Mem peryod, mo misie inn atake apre enn kanser. Cela fait un an et demi qu’il nous a quittés, et je me suis retrouvée avec une montagne de responsabilités». Bien que le décès de son époux a été une douloureuse épreuve, elle avance qu’il a été plus facile à accepter que le départ subit et tragique de sa maman, d’autant que justice n’a jamais été rendue dans cette affaire. «Letan mo mazine ki mo mem sel zanfan pou mo mama, mo pa kapav avanse si mo pa fer tou pou gagn so kriminel. Si lapolis ti aret li, mo ti pou gagn enn kouraz ki gouvernman inn fer mo mama gagn enn lazistis.»

À l’heure où les officiers de Scotland Yard sont en train d’enquêter essentiellement sur trois affaires très médiatisées, Devina Kamdharsing continue de se demander : «Ki pou arive pou tou bann lezot dimounn kinn perdi enn pros me ki pankor gagn lazistis ? Nou ousi nou dan enn soufrans. Tousa letan-la inn pase, zot ankor pe travay lor la ? Eski mo pou trouv lazistis pou mo mama avan mo mor ? Mo leker ankor pe plore.» Elle continue de se dire, amère : «Li pa ti ena okenn problem, li ti bizin ankor la avek mwa azordi.» Sollicité, un préposé du Police Press Office (PPO) avance que les recherches sont toujours en cours pour retrouver le suspect.

Andy Bibi, le suspect principal, toujours en cavale

Sa mère Cindy : «Depi mo garson finn sove, mo pann retann li zame ; li pa fasil»

Comme les proches d’Ishwaree Gonoo, elle prie pour que les forces de l’ordre s’activent afin que son fils soit enfin retrouvé. Elle, c’est la mère d’Andy Bibi, le meurtrier présumé de la sexagénaire. Si les proches de la victime souhaitent évidemment le voir derrière les barreaux, convaincus qu’il est l’auteur de ce crime sordide encore impuni, Cindy, pour sa part, souhaite tout simplement avoir des nouvelles de son fils. Le jeune homme, fiché comme récidiviste, ne lui a plus donné signe de vie après qu’il a pris la fuite en voyant débarquer la police peu après la mort d’Ishwaree Gonoo en 2018. «Set lane fini pase. Depi mo garson fi’nn sove, mo pa’nn retann li zame ; li pa fasil. Mo enn mama, mo pe manz mo kou mem, komie plore mo pou plore ?» Jour après jour, les interrogations continuent de la ronger, de la consumer. «Si li’nn fer enn zafer, li bizin asim konsekans. Me tan ki pa gagn li, tan ki pa pran so temwagnaz, pa kapav pwint ledwa lor li. Mo bien sagrin pou bann fami sa dimounn ki’nn mor la, li bien trist perdi enn pros koumsa, me momem mo pa kone ki mo pou fer. Mwa ousi mo anvi kone ki finn pase ek kot mo garson ete, si li ankor vivan.»

Domiciliée à Cottage, Cindy continue de se repasser en boucle dans sa tête les jours ayant précédé la disparition de son fils. Au moment où elle a appris le décès d’Iswaree Gonoo, dit-elle, «m’onn sonn mo garson deswit parski sak problem ti ena dan landrwa zot ti akiz mo fami. Letan mo’nn demann li kot li ete, li’nn dir ki li ti pe pran bis pou al zwenn so kopinn akoz ti ena sin valantin lavey, apre li’nn al kot so granmer dan Bois-Marchand». Des milliers de questions continuent de trotter dans sa tête car «enn madam ti dir li’nn trouv mo garson kot madam ki’nn mor la, me li pa ti pou mem kapav trouv lakaz tantinn depi kot li reste. Mo pala pou pran defans mo zanfan, parski mo pa ti la, mo pa kone ki finn pase». Toutefois, elle concède qu’après avoir appris que la police soupçonnait son fils, «mo’nn al rezwenn li kot mo ser ler mo’nn sorti travay. Mo’nn met li asize, mo’nn dir li get mwa dan mo figir ek dir mwa ki finn pase, lerla li’nn koumans plore. Li’nn dir mwa li’nn fer enn erer, me ki li pa pou kapav dir mwa ki finn pase parski ena lezot dimounn inplike. So ser finn dir li ki li pa kapav pran sarz lezot dimounn, lerla li’nn dakor pou nou vinn ek li stasion».

Au moment où ils quittaient les lieux pour se rendre au poste, relate Cindy, «nou’nn trouv enn ta lapolis debarke avek zarm. Ils ont pointé un fusil sur la tête de mon gendre et lui ont demandé de décliner son identité car ils étaient à la recherche d’Andy. Mo panse letan mo garson finn trouv sa, li’nn per, lerla li’nn sot baraz deryer lakaz li’nn sove. Ziska ler mo pa kone ki’nn ariv li, mo gagn traka parski mo zanfan malad, li gagn kriz epilepsi. Si lapolis ti vinn kouma imin, li pa ti pou sove, mo garson ti pou la. Mem si li ti dan prizon, omwin mo ti pou kone kot li ete. Mo ti ava fer demars, rod avoka, li ti ava gagn so koreksion lerla li ti ava sorti». Elle dit s’être rendue aux Casernes centrales à plusieurs reprises pour savoir où en était l’enquête, en vain. «Mo’nn mem devid mo kont labank, lwe loto, al rod li partou kouma enn fol. Ziska ler, nanie mo pa’nn tande.» Aura-t-elle des réponses à ses nombreuses questions un jour ? Elle l’espère en tout cas

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