Dans le courant de la semaine, des bruits circulaient à l’effet que vous n’étiez plus rattaché à l’écurie Narang. Qu’en est-il réellement?
Effectivement, cela fait maintenant trois semaines que je ne supervise plus l’entraînement des chevaux de l’écurie Narang. Il faut savoir que Shirish Narang et moi-même avons eu une vive discussion dès le deuxième jour du lockdown. A l’époque, je sentais déjà le burnout en train de me gagner. Avec le recul, cette séparation est peut-être un mal pour un bien.
Vous avez connu une bonne dose de succès avec les écuries Allet et Narang récemment mais vous-vous êtes, à chaque fois, séparés pour des divergences d’opinions. Ne pensez-vous pas qu’il serait peut-être temps pour vous de voler de vos propres ailes ?
Cela fait plus de trente ans que je suis dans le giron hippique et j’ai même bénéficié d’une expérience à l’étranger. Est-ce que l’idée d’avoir ma propre écurie me séduit, tout comme mes anciens confrères jockeys que sont Simon Jones, Preetam Daby et Praveen Nagadoo ? Bien évidemment. Mais je sais que je ne suis pas encore prêt pour cela. Car diriger une écurie, c’est comme avoir une entreprise. Il vous faut être fort financièrement et avoir un bon entourage pour vous épauler.
Une nouvelle expérience à l’étranger ne vous tenterait pas ?
L’opportunité s’est déjà présentée. Mais je suis père de famille. Mo pa kapav kit tou mo ale. Et puis, j’ai beaucoup d’activités en dehors du monde hippique. J’ai mon propre business et je suis secrétaire d’une organisation non-gouvernementale affiliée au ministère de la Sécurité Sociale. Je suis aussi un massage therapist. Tout cela pour vous dire que les courses hippiques ne sont plus mon gagne-pain mais j’éprouve toujours l’envie de rendre à l’industrie ce qu’elle m’a apporté.
Vous avez rendu votre tablier du côté de l’écurie Narang au tout début de l’apparition du COVID-19 à Maurice. Imaginiez-vous que cela allait prendre une telle proportion ?
Pour tout vous dire, j’étais en voyage en Asie quand l’épidémie a commencé à se propager. J’avais déjà une petite idée de comment ce serait une fois que le COVID-19 franchirait nos frontières. J’anticipais déjà que les grooms auraient des difficultés à venir travailler, notamment avec les work access permits. D’ailleurs, je tiens à dire un énorme merci à mes amis palefreniers pour tout le travail qu’ils abattent en cette période très difficile. Il a fallu mettre en place un shift system, travailler les chevaux plus à la longe. Et c’est sans doute sur ces aspects du management de l’écurie que Shirish et moi-même avons été le plus en désaccord.
Au niveau du training, l’écurie Narang semblait la plus avancée pour la reprise de la saison. Comment avez-vous fait pour vous réajuster ?
A vrai dire, nous avions déjà commencé à ralentir le rythme en raison du mauvais temps et des bouleversements liés à la préparation des festivités pour les célébrations de l’Indépendance du pays. Les barrier trials avaient même été annulés à cause du mauvais état de la piste. Donc, le travail avait déjà baissé en intensité, de même que les rations de nourriture pour les coursiers.
Entre deux à six semaines : les avis divergent quant à une éventuelle reprise de la compétition une fois le déconfinement entériné par le gouvernement. Quel est votre avis sur la question?
D’abord, il faut savoir une chose : enn seval pa enn loto. Il ne suffit pas de le mettre en marche chaque deux jours et s’attendre à ce qu’il grimpe jusqu’à 100 km/h en un simple claquement des doigts. Avec le ralentissement du training et le changement dans l’alimentation, j’estime que la plupart des coursiers doivent être actuellement à 30% de leurs capacités. Pour éviter qu’ils contractent des pépins physiques, il faut monter jusqu’à au moins 70% avant d’envisager la possibilité de les faire courir. Il faudra, selon moi, au minimum un mois post-déconfinement pour la reprise.
Tant que ça ?
Les gens doivent réaliser que le déconfinement ne se fera pas d’un seul coup. Et puis, il faut aussi prendre en considération que toutes les écuries ne sont pas au même niveau. Prenez par exemple l’écurie Gujadhur qui a stoppé net l’entraînement. A bien y voir, il serait peut-être souhaitable que la Duchesse ne soit pas au programme de la journée inaugurale. Comme c’est une course prestigieuse et surtout du fait que des propriétaires ont investi gros pour cette course, je pense que ce serait mieux de repousser sa tenue. Cela a déjà été fait dans le passé.
Le huis clos est évoqué pour redémarrer en douceur l’activité hippique. Qu’en pensez-vous?
Ce serait effectivement un bon début, mais nous ne sommes pas à Hong Kong ni en Australie. Je pense qu’il faut voir plus loin. Un partenariat fort entre l’Etat et le MTC devient une priorité absolue. Il faudrait que le MTC saisisse cette occasion pour revoir son business model avec l’implication de l’Etat comme cela se fait ailleurs. Il faut que les courses hippiques ne soient plus considérées comme un divertissement par le gouvernement mais plutôt comme un business entertainement et qu’il investisse de façon significative dans l’industrie hippique.
Avec l’économie du pays pratiquement à l’arrêt, il y a fort à parier que l’industrie hippique ne sera pas la priorité du gouvernement…
Il faut que cela change. Je comprends qu’un secteur comme le tourisme mérite une attention particulière mais il y a près de 5 000 familles qui vivent de façon directe ou indirecte des courses hippiques. Zot lakwizinn pa bizin roule zot?
Dans le concret, comment voyez-vous cette aide de l’Etat ?
Déjà, je pense que le gouvernement gagnerait à revoir sa position, sur une base temporaire peut-être, par rapport à la betting tax. Car en acceptant d’en laisser une partie au MTC, cela pourrait aider à relancer l’industrie hippique. Sans propriétaires, il n’y a pas de courses. A ce titre, je trouve que les taxes sur les importations d’animaux comme les chevaux “doesn’t make sense”. Ce ne sont pas des produits de consommation. Je suis convaincu qu’un assouplissement à ce niveau ainsi que sur le fret des chevaux encouragerait les propriétaires à maintenir l’investissement dans l’industrie. Tou dimoun bizin marye pike. Nou pa kapav ena ego dan enn sitiasyon parey. Au niveau du MTC, on pourrait également réfléchir sur des mesures pour aider à soulager les écuries.
Mais encore…
La crise actuelle pourrait être fatale à certaines écuries. Vous savez, il n’existe plus beaucoup de big owners dans le giron de nos jours. La communauté actuelle des propriétaires est surtout composée de petits propriétaires qui sont pour la plupart des entrepreneurs. Rien que le feeding d’un cheval peut coûter jusqu’à Rs 20 000 par mois. Qu’advientra-t-il aux chevaux si les propriétaires ne peuvent plus remplir leur partie du contrat ? Du côté d’un entraîneur qui dispose d’une trentaine de coursiers sous sa charge, il faut qu’il trouve mensuellement environ Rs 800 000 pour faire tourner l’écurie. La majorité des entraîneurs n’étant plus tout jeune, l’introduction de freelance trainers pourrait aider dans ce sens.
La Rue Shakespeare est déjà bien encombrée Ravi Rawa. Comment ferait-on pour intégrer d’autres entraîneurs ?
Les écuries déjà existantes pourraient être réaménagées. Avec une dizaine de chevaux sous sa responsabilité, le freelance trainer n’aura pas à subir d’énormes coûts. De plus, cela donnerait la chance à plus de propriétaires de voir triompher leur cheval, ce qui n’est pas forcément le cas actuellement avec un entraîneur qui doit jongler au moment des declarations, étant limité la plupart du temps par deux entrées par course. Une autre condition pourrait être que le freelance trainer dispose de son propre centre privé. Tout le monde y trouverait son compte.
Quid du MTC ? Comment peut-il gérer au mieux cette tempête ?
L’administration doit tout mettre en œuvre pour que tous les stakeholders fassent cause commune afin de sauver l’industrie. La vie des Mauriciens va définitivement changer après cette pandémie. Il faudra s’attendre à voir moins de gens sur l’hippodrome alors que les ménages revoient leurs dépenses et leur fonctionnement. Plus que jamais, le MTC doit avoir une vision claire.