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Par Azmaal Hydoo
2 avril 2016 13:03
Il y a des rencontres qu’on n’oublie pas. D’autres où on est pressé que ça se termine. Ma rencontre avec Johan Cruyff, un lundi 20 janvier 2003 est à ranger dans la première catégorie. Je ne l’oublierais jamais.
Lorsque mon contact m’a appelé quelques jours plus tôt pour me demander si j’étais intéressé de rencontrer Johan Cruyff en exclusivité au Prince Maurice, mon sang n’a fait qu’un tour. C’est une blague ou quoi ? J’y serais même allé à pied s’il le fallait ! Trop jeune pour l’avoir vu jouer, mais assez vieux pour l’avoir vu orchestrer de main de maître le grande FC Barcelone (1992-94), j’étais impatient de faire sa connaissance et de savoir ce qu’il avait à dire sur le football actuel. Ce n’est pas tous les jours qu’on a un philosophe du ballon rond, qui plus est triple Ballon d‘Or, face à soi.
C’est avec empressement et excitation que j’allais à la rencontre du légendaire ‘Hollandais volant’. Dès la première poignée de main, j’ai senti une sorte d’aura qui se dégageait du personnage. Au fil de la discussion, j’allais découvrir son authenticité. Non, Johan Cruyff n’était pas de ceux qui jouent un rôle. Epris du beau jeu et du football offensif, il est mort avec ses idées.
Il m’a confié qu’il était venu plusieurs fois à Maurice, mais que cette fois, il voulait donner une interview parce qu’il voulait parler football et échanger parce qu’il aime beaucoup notre île. Il m’a séduit par la classe, la prestance qu’il dégage, sa gentillesse, son intelligence. Impossible de lui trouver un truc négatif sur le peu que j’ai vu…
Lorque je l’ai interviewé, ce lundi 20 janvier 2003, le football défensif et Jose Mourinho étaient la référence et je lui avais demandé s’il croyait encore en l’avenir d’un football d’attaque. Face à l’inventeur du football total, j’ai alors vu un homme intransigeant et sûr de son fait qui me disait qu’il fallait toujours attaquer pour gagner.
Peu après lorsque le FC Barcelone de son disciple Pep Guardiola a pris son envol et a écrasé le football mondial avec son tiki taka, je me suis rappelé des paroles de Cruyff. Sa disparition est une grande perte pour le football mondial, mais l’héritage qu’il a laissé est incommensurable. Il a inspiré tellement de joueurs, d’entraîneur, de fans… On ne l’oubliera jamais !
• Ne croyez-vous pas que votre fils Jordi Cruyff aurait pu devenir un grand joueur si Manchester United lui avait donné sa chance lorsqu’il avait débuté il y a quelques années ?
—Jordi m’a dit : “je préfère jouer dans un petit club plutôt que de continuer à être remplaçant comme à Barcelone et à Manchester. Comme ça je peux m’éclater et faire de mon mieux” Cela dit, c’est vrai qu’il aurait pu faire mieux avec Manchester, mais je pense qu’ils ne lui ont fait aucun cadeau. Il y a eu beaucoup de circonstances, mais c’était un âge clé où il avait besoin de jouer. Ils auraient pu le laisser jouer au moins une saison afin d’emmagasiner de l’expérience et progresser. Et après, qui sait ce qui serait arrivé ?
Johan, vous venez de passer quinze jours dans notre île, avec votre épouse. Vous connaissiez certainement Maurice avant de venir ?
— Je devrais dire oui, puisque l’île a été découverte par les Pays-Bas... Mais en fait, je l’ai connue en 1997. C’était le premier hiver où je ne travaillais pas, puisque j’avais quitté le milieu du football. Donc j’avais du temps libre pour une fois et je voulais partir quinze jours à l’étranger, alors on m’avait dit «essaie Maurice, c’est super.» Tout d’abord, il y a la gentillesse des gens, ils sont très agréables et j’apprécie leur mentalité. Ensuite, comment se plaindre lorsqu’on est dans un hôtel comme celui-là ? C’est impossible.
• A un certain moment, votre carrière d’entraîneur avait été menacé à cause de problèmes de santé liés à la cigarette. Est-ce que vous allez bien aujourd’hui ?
—Je suis en parfaite santé. J’ai été opéré en 1991 et depuis ça va bien. J’ai arrêté d’entraîner le FC Barcelone en 1996, mais il n’y a aucun rapport avec ma santé.
• Peut-on savoir pourquoi vous avez mis un terme à votre carrière sur le banc de touche?
— Tout d’abord j’ai quitté Barcelone, où je vis toujours d’ailleurs, parce je n’avais plus l’ambition d’entraîner une équipe. Mais je suis toujours dans le domaine du sport. J’ai notamment mis en place un programme de travail pour des fédérations sportives aux Pays-Bas avec des méthodes d’entraînement. Je travaille avec Franck Rijkaard. Je m’occupe aussi d’une société de bienfaisance pour des enfants.
• Qu’est-ce qui cloche avec les «Oranje», qui ne s’étaient même pas qualifiés pour le dernier Mondial ?
— ILà sélection, c’est quelque chose de différent. Les joueurs sont éparpillés, ils jouent en Angleterre, en Espagne ou ailleurs. Mais, d’une manière générale, la valeur individuelle et technique des joueurs diminue graduellement. Ça se voit sur des choses simples comme les passes, les contrôles de balle... Je ne parle pas des stars de l’équipe bien sûr.
• D’après-vous d’où proviennent ces lacunes techniques?
—Avant, les entraîneurs étaient d’anciens joueurs qui aimaient le jeu. Et forcément quand vous aimez le jeu, vous formez de bons techniciens. Normalement, partout, même chez vous. Mais aujourd’hui, pour entraîner, vous avez besoin d’un diplôme. Vous devez faire des études et quand vous passez votre examen, vous êtes un entraîneur. Mais ça ne veut pas dire que vous possédez des qualités techniques. Et si vous ne pouvez pas inculquer ça à vos joueurs, vous allez leur montrer d’autres choses comme le physique, les corners, les coups francs ou n’importe quoi. N’importe qui peut faire des études d’entraîneur et appliquer des théories. J’ai dit à la fédération néerlandaise de laisser les gosses jouer comme sur la plage, qu’ils s’amusent, sans avoir la pression.
• Votre plus grand regret restera certainement d’avoir perdu en finale de la Coupe du monde face à l’Allemagne en 1974 ?
— D’un côté je dirais oui, mais d’un autre côté le monde entier a parlé de cette finale. La preuve, vous me posez cette question trente ans après ! (rires) La Hollande avait joué un football extraordinaire et tout le monde s’en rappelle. Personne ne dit qu’on était moins bon que les Allemands. Non, non, on était les meilleurs, mais on a perdu parce que c’est le football. C’est le plus grand honneur de l’histoire cette reconnaissance dans le monde entier. Gagner ou perdre, qu’importe au fond ? Bien sûr, c’est mieux de gagner, mais il faut se faire plaisir avant tout.
• Voilà qui nous conduit à celui qui vous avait succédé en 1996, et qui a repris les rênes du club Blaugrana à nouveau cette saison : votre compatriote Louis Van Gaal. Croyez-vous en lui ?
— (il répond avec fermeté) Non. Il mise tout sur la théorie. Je crois plutôt qu’il faut guider les joueurs, les aider et bien sûr leur dire ce qu’il faut faire. J’aime le jeu et j’entraînais en fonction de ce que je voyais sur le terrain. Et je sais que ceux qui entraînent de façon théorique se basent seulement sur des méthodes d’entraînement collectif. Moi, je ne m’en soucie pas parce que chaque joueur à des besoins différents. Seul le jeu m’importe. S’il faut jouer deux matches dans la semaine, il faut travailler sa technique et pas son physique !
• Voyez-vous un jour la Premier League devenir le meilleur championnat européen?
— Pourquoi pas. Je pense que l’avantage des Anglais, c’est de jouer avec leur coeur, contrairement aux autres. Quand vous voyez que tout le monde est en vacances, eux ils se payent cinq matches de suite pendant les fêtes de fin d’année !
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