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Par Elodie Dalloo
28 septembre 2025 10:35
Il a vu la mort de près. Victime d’une agression au couteau dans le métro le dimanche 21 septembre, Steward Pierre, 36 ans, n’aurait pas survécu sans l’intervention rapide de quelques volontaires et des secours. Après être resté dans le coma pendant deux jours, il est, aujourd’hui, hors de danger tandis que son agresseur a été appréhendé. Il raconte son histoire de survie et de résilience.
Ses entailles, refermées avec des points de suture, sont encore rouges, gonflées. Sa blessure la plus visible – une coupure profonde qui traverse sa joue droite en partant de la tempe et descendant vers le coin de la bouche – est nette et proéminente. Elle lui rappellera certainement toute sa vie le jour où il a failli perdre la vie. Âgé de 36 ans, Steward Pierre a frôlé la mort il y a une semaine, victime d’une violente agression au couteau dans le métro. Sans l’intervention rapide de quelques volontaires et des secours, il ne serait probablement pas là aujourd’hui pour raconter l’horreur vécue ; une épreuve douloureuse, traumatisante, mais qui l’a mené à une nouvelle appréciation de la vie. «C’est encore dur de repenser à ce qui m’est arrivé ; je reviens de loin. Désormais, c’est une nouvelle chance qui s’offre à moi. Je vois la vie différemment», nous dit-il. Ses souvenirs sont encore flous, confus, mais Steward Pierre se souvient encore de la peur et la sensation de mort imminente qui l’ont saisi ce jour-là.
Le trentenaire, papa de deux filles – il est séparé de leur mère –, avait passé la journée à faire des achats avec son aînée le dimanche 21 septembre, avant de la ramener chez sa mère à Résidence Barkly. De là, il avait prévu de prendre le métro pour se rendre à Trianon, d’où il aurait pris l’autobus pour rentrer chez lui à Rose-Belle. Il était près de 19 heures lorsqu’un individu l’a abordé à la station de métro de Barkly. «Il cherchait à me revendre une fiole de méthadone contre la somme de Rs 400 et disait avoir besoin de cet argent pour son fils», se souvient notre interlocuteur. Il reconnait, toutefois, son erreur : «Je lui ai remis la somme de Rs 300 pour l’aider. Il a insisté pour que je prenne la méthadone qu’il avait sur lui et j’ai consommé un peu de cette substance parce que je ne voulais pas lui déplaire. Je n’aurais jamais dû…»
Les choses ont dégénéré
Lorsqu’il a grimpé dans le métro, poursuit-il, «ce jeune homme m’a suivi. Il me réclamait les Rs 100 restantes et s’est installé à côté de moi. Il avait sûrement déjà constaté que j’avais beaucoup plus d’argent sur moi lorsque j’ai ouvert mon sac. Je me suis assoupi quelques minutes pendant le trajet. À un moment donné, j’ai senti sa main sur ma sacoche». C’est là que les choses ont dégénéré. «Lorsque je lui ai reproché d’avoir cherché à me voler, il s’est mis à m’injurier. J’étais hors de moi ; je lui ai donné un coup de poing au visage. Mo pa kone kot linn tir so kouto ; mo pa ti panse li ti pou rod bles mwa sa kalite-la», relate Steward Pierre, encore perturbé.
«Il m’a donné un premier coup de couteau dans le cou. Avant que j’aie eu le temps de réagir, il m’a tailladé la joue droite. Mon premier réflexe a été d’appuyer sur mes blessures pour limiter les saignements, mais il m’a infligé un troisième coup au bras avant de prendre la fuite. Entretemps, je me suis écroulé. Je me souviens avoir entendu, au loin, des gens hurler “Aret metro ! Aret metro ! Li pou mor!”.» Même s’il n’était qu’à demi conscient après son agression, des lambeaux de souvenirs lui sont restés en mémoire. Il se souvient notamment des deux passagers, les frères Kurseley et Hansley Robette, qui lui ont porté secours et prodigué les premiers soins, tout en cherchant à le rassurer (voir hors-texte). Il se rappelle aussi avoir remis le numéro de son employeur à un autre passager pour que celui-ci alerte les membres de sa famille.
Mare de sang
Les idées encore brouillées, il évoque la sirène d’un véhicule de police, suivie de celle du SAMU, qui ont retenti. Enfin, la dernière chose dont il se rappelle, c’est de la voix de l’infirmière l’ayant pris en charge à son arrivée à l’hôpital Victoria, lui répétant «mo pou rekoud twa, rest avek mwa». Steward Pierre n’a rouvert les yeux que le mardi 23 septembre, après être resté dans le coma, sous respiration artificielle, pendant deux jours l’ICU Thoraxic Ward de l’établissement. Il a été autorisé à rentrer chez lui le jeudi 25 septembre.
Les vidéos du trentenaire gisant dans une mare de sang dans le métro ont rapidement inondé les réseaux sociaux durant les heures ayant suivi son agression ; des images qui ont fortement choqué les membres de sa famille. «Mon aînée, qui a 15 ans, n’a même pas pu prendre part à ses examens. Elle a dû s’absenter de l’école pendant quelques jours car elle a très mal vécu ce qui m’est arrivé.» Idem pour sa mère, une infirmière, qui a préféré prendre quelques jours de congé pour rester à son chevet. Depuis, relate le trentenaire, «elle a peur de me voir quitter la maison de peur qu’il m’arrive quelque chose. Li dir mwa rest lakaz, ki li pou donn mwa seki mo bizin, me mo pa kapav permet mwa depann lor li».
Outre leur stupéfaction, les proches du trentenaire, ainsi que les internautes, ont été profondément touchés par la bonté, le courage et la compassion dont ont fait preuve les frères Robette, qui n’ont pas hésité à lui porter secours. «Ces deux hommes sont mes sauveurs. Ils me sont venus en aide sans se poser de question, sans porter de jugement sur moi. S’ils n’avaient pas été là, je ne serais probablement pas là aujourd’hui. Ils m’ont sauvé la vie. Ce sont des héros», lâche-t-il, ému et reconnaissant. Il remercie également les premiers secours et les médecins qui l’ont soigné.
Ex-toxicomane, Steward Pierre avoue qu’il n’a pas toujours été un enfant de chœur. «J’ai commis des erreurs dans le passé, j’ai fait de la prison, mais c’est une période sombre de ma vie qui m’a permis de revoir mes priorités. J’ai eu la chance de m’en sortir, de me relever avec le soutien inconditionnel de mon entourage. Je me suis repris en main et je suis fier de mon parcours, de mes progrès, de l’homme que je suis devenu», dit-il. Être confronté à la mort l’a incité à mieux apprécier sa vie, à prendre conscience de sa valeur et de sa préciosité. «Aujourd’hui, je souhaite surtout la vivre à fond, de la meilleure façon possible. Je veux profiter de cette seconde chance qui s’offre à moi, passer du temps avec ma famille, particulièrement ma mère et mes enfants.»
Par ailleurs, la Divisional Crime Intelligence Unit (CID) de la Western Division a procédé à l’arrestation de l’agresseur présumé de Steward Pierre le lundi 22 septembre. Il s’agit d’un dénommé Rilesh Appannah, un habitant de Quatre-Bornes âgé de 25 ans. Soumis à un feu roulant de questions, il a reconnu avoir agressé la victime avec un couteau de poche et plaide la légitime défense. Il a remis l’arme aux forces de l’ordre. Déjà connu des services de police pour une histoire de vol, il fait, cette fois, l’objet d’une accusation provisoire de serious assault et a été placé en détention policière.
Pour l’heure, la victime préfère laisser les enquêteurs se charger de la suite de l’affaire. «Je n’ai pas l’intention d’entamer des poursuites. Pour moi, c’est une nouvelle vie, un nouveau départ ; je veux simplement oublier ce qui s’est passé et aller de l’avant. Ce jeune homme a commis une erreur et traverse probablement une mauvaise passe ; je suis convaincu qu’il finira par regretter son geste avec le temps. D’ici là, je laisse la justice faire son travail.»
Hansley et Kurseley Robette, ces héros silencieux : «Se Bondie ki finn avoy nou lor so sime»
Ils ont su faire preuve de courage, de compassion. Le dimanche 21 septembre, les frères Kurseley et Hansley Robette, des habitants Cité L’Oiseau, ont été les premiers à porter secours à Steward Pierre après sa violente agression dans le métro ; une intervention filmée et partagée sur les réseaux par un témoin de la scène. Leur acte de bravoure a été grandement salué par les internautes, ainsi que par le blessé lui-même. S’ils n’avaient pas fait preuve de sang-froid et eu les bons réflexes, le trentenaire ne serait probablement plus de ce monde aujourd’hui.
Les frères Robette, eux, concèdent qu’ils se trouvaient au bon endroit, au bon moment le dimanche 21 septembre. «Se Bondie ki finn avoy nou lor so sime.» Ils avaient exceptionnellement pris le métro à Rose-Hill pour rentrer à la maison ce jour-là. «A enn moman, nou finn trouv bann pasaze pe panike, pe rod sove. Nou ti panse ki finn ariv enn problem andeor metro, lerla nou finn konpran ki enn dimounn finn blese andan.» C’est, avant tout, la curiosité qui les a poussés à s’approcher pour comprendre ce qui s’était passé. Lorsqu’ils ont vu le trentenaire allongé sur le sol, se vidant de son sang, ils n’ont pas perdu de temps. «Nous avons agi sans réfléchir, sans avoir eu besoin de nous concerter, et lui avons porté secours. Nous avons demandé aux passagers de s’éloigner de lui pour que nous puissions intervenir.»
Après avoir pu localiser ses blessures, leur premier réflexe a été d’utiliser ce qu’ils avaient à leur disposition pour contenir les saignements. «Nous avons dû utiliser nos propres vêtements. Un passager nous a aussi remis un morceau de bandage qu’il avait sur lui pour qui nous puissions faire au blessé un pansement compressif en attendant l’arrivée des secours.» Ils sont restés aux côtés de Steward Pierre jusqu’à ce que le SAMU le prenne en charge, le rassurant. «Kalme twa, respire, nou ansam avek twa la», peut-on entendre les frères Robette lui répéter sur ladite vidéo, lui tenant la main. Ils déplorent, cependant, que le métro ne dispose pas d’un kit de premiers soins ; une nécessité dans les lieux publics, selon eux.
Avoir su réagir efficacement lors de cette situation d’urgence ne relève pas d’un coup de chance. Au fil du temps, les frères Robette ont exercé plusieurs métiers, notamment en tant que guide touristique et cordiste ; des emplois ayant nécessité qu’ils soient formés en premiers secours et sauvetage. La vie de Steward Pierre n’est donc pas la première qu’ils ont été amenés à sauver. «Nous avons déjà sauvé des gens de la noyade, porté secours à des randonneurs, entre autres. Nous sommes aussi intervenus lorsqu’un échafaudage avait cédé sur un chantier de construction à Ebène, mais c’est la toute première fois qu’autant de personnes sont témoins de l’une de nos interventions. Nous n’avons pas l’habitude de recevoir toute cette attention», disent-ils modestement.
Ils ne manquent pas d’évoquer les valeurs qui leur ont été transmises en grandissant, pas seulement par leurs parents, mais aussi dans le scoutisme. «Nous avons toujours su faire preuve d’humanité. Kan ena enn problem, bizin pa ignor dimounn. Nou pa get relizion, nou pa port okenn zizman lor personn, nou Morisien avan tou. Nous avons agi parce que c’était la seule chose à faire à ce moment-là, sans attendre quoi que ce soit en retour. Nous espérons que nos actions inciteront d’autres à faire preuve de la même compassion lorsque quelqu’un a besoin d’aide. Parfwa, zis enn gorze delo kapav sov lavi enn dimounn.» S’ils saluent l’initiative du gouvernement de déployer plus de policiers dans les transports publics, ils insistent, toutefois, sur l’importance que chaque individu soit formé en premiers secours.
Pour l’heure, les deux hommes travaillent en freelance comme cordistes. Avec l’aide de son frère, Kurseley entreprend bientôt de monter sa propre entreprise, qui portera le nom de BenK et sera spécialisée dans les travaux sur cordes et dans la formation en sécurité pour les lieux de loisirs.
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