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Trou-Chenille

Sur les traces d’une mémoire oubliée

5 février 2025

Au pied du Morne Brabant, montagne-symbole de liberté classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, les gerbes de fleurs s’accumulent et les discours résonnent chaque 1er février. Mais au-delà des cérémonies officielles, de l’autre côté du massif, à l’abri des regards, se cache un village oublié, où l’histoire murmure à travers les pierres et les arbres centenaires : Trou-Chenille. Porté par le Le Morne Heritage Trust Fund, ce projet, inauguré en 2020 à l’occasion du 185e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, devait être un hommage vivant aux esclaves et à leurs descendants. Ici, la débrouillardise était un art de vivre. Les pêcheurs posaient leurs casiers, les tresseurs façonnaient des paniers et les anciens partageaient les secrets des plantes médicinales. Chaque case en paille racontait une histoire où la liberté se réinventait jour après jour. Aujourd’hui, pourtant, plus un bruit. À peine franchi le portail menant aux sentiers du Morne, entre les panneaux indiquant Kari Poulé et Trou-Chenille, le visiteur découvre un village à l’abandon. Entre les pie lakol et les pie tamarin, les cases sont verrouillées, les sculptures effacées par le temps, les feuillages recouvrent ce qu’il reste du jardin médicinal. Plus personne n’ose s’aventurer sur ces pavés qui, autrefois, étaient foulés par des visiteurs d’ici et d’ailleurs. Le Morne demeure un symbole universel de résistance, mais Trou-Chenille, à peine cinq ans après sa renaissance, semble s’être éteint. Ce musée à ciel ouvert se retrouve aujourd’hui figé, comme si le temps l’avait rattrapé. En ce 190e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, nous avons voulu pousser les portes de ce passé en sommeil, traverser ces ruelles désertées, écouter ce que ces cases fermées ont encore à raconter ainsi que les randonneurs qui s’arrêtent, intrigués. Une immersion dans un passé qui s’efface, mais qui refuse de disparaître.

«Le 1er février est une date symbolique qui incarne l’espoir de nos ancêtres. Il est de notre devoir de faire revivre cette mémoire et de rendre hommage à ceux qui ont souffert et vécu l’enfer dans les bois du Morne. Nou bann zanset pa ti bann swisider, me bann konkeran, bann Afrikin for ! Et c’est à nous de marcher sur leurs pas, en espérant obtenir la réparation qui nous est due. Le droit humain d’être respecté et non pas recolonisé. Tout comme la communauté Rastafari, où le ganja est diabolisé. Trou-Chenille est un lieu mystique qui nous lie à nos racines. Cela me touche profondément de voir qu’il se perd. Nou pa kapav perdi nou listwar, kar nou pase kapav konstrir nou prezan ! Il faudrait que des gens de la région s’occupent de ce site, pour préserver cette part essentielle de notre héritage. Cela permettrait aussi de créer de l’emploi. Chaque année, pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage, je participe à la marche organisée par l’Association socio-culturelle Rastafari avec ma famille. C’est un moment essentiel pour se rappeler que nous, Africains, avons une culture riche, et il faut la valoriser pour la transmettre aux générations futures», souligne Anabelle Levrai.

Des gouttes perlent sur son front, témoignant de l’effort fourni pour gravir et redescendre les 555 mètres d’altitude du Morne Brabant. «C’était ma première ascension ici. J’adore les trails et j’avais lu que le Morne était l’un des meilleurs sentiers de trek à Maurice. Mais je ne m’attendais pas à une montée aussi abrupte. Il faut être bien préparé ! Je me suis arrêté à 15 minutes du sommet, impossible d’aller plus loin. Et la descente ? On la fait presque en position assise ! Malgré la difficulté, ces sites doivent être préservés, car ils font partie de la vie des Mauriciens. Sans eux, il n’y a plus d’histoire. Quand je regarde cette montagne, je me dis à quel point les esclaves ont souffert en l'escaladant sans chaussures, sans eau, traqués et désespérés. Cela me donne des frissons !» confie Jérôme Soucramanien, venu tout droit de La Réunion.

Depuis septembre dernier, Joan Pierre traverse l’île, depuis Terre-Rouge, pour assurer son poste de surveillant à l’entrée du sentier du Morne Brabant, un passage incontournable pour les randonneurs. «Dès 6h15, je suis sur place pour accueillir les premiers visiteurs à 7 heures. Mon rôle est de les conseiller, car l’ascension peut être physique et même dangereuse. Pour les moins habitués, il est préférable qu’ils soient accompagnés d’un guide. Ena bokou inn tomb san konesans ek sa saler-la ! La deuxième partie de la montée, là où se trouve la croix en fer, est particulièrement raide. C’est pourquoi nous avons un registre à l’entrée, pour que chacun prenne conscience des risques. Chaque jour, entre 300 et 500 personnes viennent explorer ce site classé. Un autre surveillant est posté plus haut, sur la première section de la montagne. C’est une fierté pour moi de travailler ici, dans un lieu connu mondialement et chargé de mémoire. Mais ce n’est pas toujours évident. Il faut être fort mentalement pour travailler dans un endroit où l’histoire de nos ancêtres est encore vivante. Surtout avec ce musée à ciel ouvert et ces statues qui racontent notre passé. Mo trist kan mo trouv dimounn pe boufonn sa souvenir-la. Il est essentiel que l’Histoire continue et que les visiteurs respectent le site en le gardant propre.»

Assis sur un banc à l’ombre d’un tamarinier, Vikash Beesoondoyal, professeur d’éducation physique, reprend son souffle en attendant ses amis qui tardent à redescendre. «J’étais convaincu qu’Havilah, qui grimpait cette montagne pour la première fois, serait la dernière du groupe !» dit-il en riant. Puis, plus sérieux, il ajoute : «J’aime cet endroit, car il porte en lui toute l’histoire de notre île, et pourtant, nous la connaissons à peine. Et une fois en haut, le panorama sur le lagon turquoise du sud-ouest est une récompense inégalable. Une telle beauté doit être préservée. Il faudrait plus de poubelles et un meilleur entretien des lieux. Malheureusement, de temps à autre, des campings sauvages et des nuisances sonores gâchent la tranquillité du site. Nous avons été attirés par les huttes près de l’entrée, mais nous avons vite compris qu’elles étaient fermées. C’est dommage, car les jeunes d’aujourd’hui risquent de ne jamais découvrir l’authenticité de cette visite. Avoir un jour férié, c’est bien. Mais connaître son histoire, c’est encore mieux. Malheureusement, il n’y a pas assez de visibilité sur l’histoire de notre pays dans les écoles. Bann zen plito pass zot letan lor TikTok !»

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