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Anishta Babooram vs Arianne Navarre-Marie

Tensions, rivalités et enjeux au cœur du pouvoir

9 août 2025

La récente querelle entre une ministre et sa Junior Minister met en lumière des failles au cœur du gouvernement. Au-delà des tensions personnelles, ce conflit soulève des questions cruciales sur la gouvernance, la définition des rôles et la cohésion au sein de l’Alliance du Changement. Les observateurs décryptent les enjeux et les implications de cette crise ministérielle.

Un spectacle qui fait tache

À première vue, c’est une guerre entre deux élues qui au cours de ces huit derniers mois au pouvoir n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente ni à construire une collaboration efficace avant de laisser éclater au grand jour leur désaccord et leur frustration.

Pour les observateurs, ce conflit au sommet du ministère de l’Égalité des genres révèlent plusieurs failles. D’abord, estime Padma Utchanah, il illustre parfaitement leur incapacité à gérer ce conflit en interne en tant qu’adultes responsables.

Parvèz Dookhy, Padma Utchanah et Shafick Osman livrent leurs analyses sur ce sujet qui a créé la polémique tout au long de la semaine.

Pire, dit-elle, elles se sont enlisées dans une guerre publique alors qu’il y a sur la table des dossiers bien plus importants. «Ce conflit est affligeant et le spectacle pathétique. Au lieu de se rencontrer en tête à tête, d’exposer mutuellement leurs griefs, et de trouver un terrain d’entente, elles préfèrent laver leur linge sale en public. Il y a presque 300 cas d’abandon d’enfant en 5 ans à Maurice, des femmes subissent des violences domestiques, certains enfants sont sous le coup des parents violents. Les dossiers s’entassent et s’accumulent. Les querelles intestines n’ont pas leur place au sein de ce ministère important. Les deux responsables ne sont pas dignes de s’occuper d’un tel ministère.»

Pour notre interlocutrice, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un comportement puéril qui témoigne de «l’égo surdimensionné» des deux protagonistes. «La réponse d’Anishta Babooram en témoigne. Transférée au ministère de la Santé, la Junior Minister dit “Ma dignité a été restaurée”, nous comprenons par cette phrase qu’elle défend avant tout ses intérêts, sa dignité et non l’intérêt du peuple.»

Parvèz Dookhy estime lui que le conflit vient du fait que les deux postes s’entrechoquent. «Je fais, moi, une analyse institutionnelle. Le conflit vient en raison du fait qu’on a comme deux ministres pour un ministère. Il est forcément source de conflit.» Derrière la querelle, avance pour sa part Shafick Osman, se cache un problème plus ancien et relève de l’absence de définition claire du poste de Junior minister dans la loi. «Que fait un tel ministre, quels sont ses paramètres, et quelles sont les frontières avec le ministre de tutelle ?» souligne t-il en rappelant que le problème n’est pas nouveau puisqu’il avait fait surface à la fin des années 90 lors des premières nominations. Selon lui, le conflit actuel mêle à la fois ce vide institutionnel et un choc de personnalités même si, nuance-t-il, certains Juniors, comme Fawzi Allyman, déclarent s’entendre parfaitement avec leur ministre de tutelle.

Junior Minister : un poste contesté, une utilité remise en cause

Cependant, au-delà du malaise créé au sein du ministère, cet épisode relance le débat sur le rôle des Junior Ministers, instaurés en remplacement des Private Parliamentary Secretaries (PPS) qui sont grassement payés et qui, dans le cas d’Anishta Babooram, n’a pas fait grand-chose depuis sa prise de fonction. Quelle est leur utilité réelle ? La question se pose aujourd’hui sur la pertinence de leurs missions.

«Le Junior Minister doit épauler le ministre senior, sous son autorité hiérarchique», rappelle Padmah Utchanah. Il appartient, précise-t-elle, à ce dernier de définir les tâches qu’il entend confier à son junior. Or, à ses yeux, il est aujourd’hui «grand temps de supprimer ce poste, qui constitue des dépenses inutiles et qui, comme au temps du PPS, a été taillé pour caser les proches politiques».

«C’est un pur doublon», tranche pour sa part Parvèz Dookhy. Il estime que ce poste illustre «une mauvaise structuration du gouvernement» et ne sert qu’à «multiplier les fonctions ministérielles pour offrir des avantages et des privilèges aux députés». Selon lui, l’exemple d’Anishta Babooram en est la preuve : sans rôle concret au ministère de l’Égalité des genres, elle a été ensuite «casée» à la Santé, qui n’a pourtant pas eu besoin jusqu’ici d’un tel poste. Cet incident, avance-t-il, vient mettre en lumière de nombreuses autres incohérences au sein du gouvernement. Avec 25 ministres et 10 Juniors, l’absence d’un ministre de l’Économie et d’un ministre de la Justice - l’Attorney General ne jouant qu’un rôle de conseiller juridique – est invraisemblable.

De son côté, Shafick Osman appelle à «un cadre législatif approprié» pour définir leurs missions. «Personnellement, je préfère l’option des PPS qui travaillent sur le terrain dans deux circonscriptions précises en moyenne. Dans l’optique de «lakess vid», le gouvernement du Changement aurait pu faire l’économie de ces ministères de second rang.»

**Anishta Babooram parachutée à la Santé **

Le Premier ministre a tranché et Anishta Babooram a finalement été transférée. Après avoir déclaré face à la presse avoir «d’autres priorités» à gérer, Navin Ramgoolam a choisi dans la soirée du jeudi 7 août de muter la députée travailliste au ministère de la Santé. Après plusieurs jours sous haute tension, la principale concernée se réjouit de ce nouveau départ : «J’accueille cette nouvelle avec beaucoup de joie, d’humilité et surtout de responsabilités car c’est un grand ministère où il y aura beaucoup à faire.» De son côté, Anil Baichoo, ministre de la Santé, s’est dit heureux d’accueillir la députée rouge, qu’il connaît depuis longtemps. «Le Premier ministre m’a consultée au sujet de cette nomination et j’ai exprimé mon plein soutien. Je crois fermement à l’importance d’intégrer de nouveaux talents dans les postes de leadership, surtout lorsque ces talents reposent sur de solides valeurs et le bon état d’esprit. Avoir à ses côtés une voix jeune, dynamique et innovante, aux côtés d’une ministre expérimentée, constitue un véritable atout.» De son côté, Arianne Navarre-Marie, contactée, affirme respecter la décision du PM : «Le travail continue et on passe à la vitesse supérieure concernant les changements systémiques.»

Jean-Luc Émile pointé du doigt : «Mon travail continue»

Anishta Babooram l’a dit. Au lieu de passer par elle, toutes les décisions au ministère de l’Égalité des genres tombaient entre les mains de Jean-Luc Émile, Senior Advisor de la ministre. En lançant ainsi un pavé dans la mare, les critiques se sont accentuées contre l’ancien journaliste qui a même par la suite été l’objet d’une lettre anonyme envoyée au PMO et à la presse dans laquelle plusieurs officiers expriment leur malaise face à ce qu’ils décrivent comme l’ingérence du Senior Advisor dans de nombreux dossiers, l’accusant de s’approprier des responsabilités qui, selon eux, devraient revenir à une équipe qui a de l’expérience. Joint au téléphone, Jean-Luc Émile n’a pas souhaité commenter cette lettre anonyme. Néanmoins, il affirme qu’il a toujours agi selon les contours de son contrat. «Cette semaine, tous les officiers que j’ai croisés m’ont assuré de leur collaboration. Beaucoup viennent me voir pour intervenir en leur faveur auprès du management concernant la nouvelle structure qui est mise en place. J’essaye d’être le médiateur. Mon travail continue. Il ne s’est jamais arrêté, d’ailleurs, il y a beaucoup à faire ici avec notre plan d’action. C’est une semaine chargée qui prend fin.»

Une alliance en eaux troubles ?

Un crêpage de chignon au sommet qui éclate au grand jour après une cohabitation qui a viré à l’échec. Ce premier accrochage entre une «mauve» et une «rouge», huit mois après la prise de pouvoir de l’Alliance du Changement, soulève des questions sur la cohésion et la crédibilité du gouvernement. Ce désaccord risque-t-il de fissurer l’équipe au pouvoir ? La situation est d’autant plus délicate que Paul Bérenger, lors d’une conférence de presse jeudi, a exprimé son mécontentement sur certaines nominations et la gestion d’Air Mauritius, ajoutant une tension supplémentaire à l’exécutif. Pour Padma Utchanah, l’image du gouvernement est écornée depuis belle lurette. «Ce sont les prémices d’une bombe à retardement. Nos ministres marchent sur un champ de mine. À tout moment, cela peut exploser. C’est juste une question de temps.»

Shafick Osman est aussi d’avis que cette histoire a affecté largement l’image du gouvernement. «Cela a mis en évidence comment une ministre MMM et une ministre de second rang Travailliste peuvent émettre des critiques sur leurs camarades en public. C’est un signe qu’il n’y a pas forcément un grand amour entre les mauves et les rouges, sauf quelques exceptions. Et c’est ce que j’ai toujours dit et cela, bien avant les dernières élections.» Pour lui, dans cette affaire, le gouvernement a tout juste réussi à sauver les meubles : «Cela aurait pu être bien plus grave mais après la déclaration du Premier ministre qu’il a d’autres priorités en ce moment et que ce problème n’était pas sa priorité, on a vu le «transfert» de la ministre de second rang Babooram à la Santé quelques heures après la conférence de presse de Paul Bérenger hier, où il a dit qu’il sait où est le problème ! On est un peu confus quand on voit que le Dr Ramgoolam a soudainement réagi après la conférence de presse mais cela peut être une simple coïncidence.»

Parvèz Dookhy, estime pour sa part, qu’il s’agit avant tout d’un équilibre des rapports de force. «Paul Bérenger sait qu’au gouvernement, son parti bénéficie du financement privé, indispensable dans un système sans encadrement des partis. Pour sa pérennité, il a donc intérêt à y rester. Reste à savoir pourquoi Navin Ramgoolam, déjà majoritaire, maintient le MMM au pouvoir. Deux raisons possibles : l’absence des remplaçants compétents au PTR, notamment pour l’Économie et les Finances, et le besoin du MMM pour des révisions constitutionnelles. Il pourrait viser la présidence avec plus de pouvoirs avant 2029, ses chances de reconduction étant quasi nulles vu son âge.»

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