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14 décembre 2025 19:21
À l’approche des fêtes, alors que le Night Market s’apprête à animer les nuits de Port-Louis, son organisation suscite des débats, attentes et interrogations parmi les marchands ambulants.
Mercredi 10 décembre, à la rue Desforges, l’effervescence est déjà palpable. À deux jours du lancement officiel du Night Market, les marchands ambulants sont là, fidèles au rendez-vous. Les étals se montent, les voix s’élèvent, les odeurs de fête flottent dans l’air. Un décor familier, profondément ancré dans les habitudes des Port-Louisiens à l’approche des fêtes.
Mais derrière ce folklore bien connu, l’atmosphère est plus nuancée. Cette édition marque un tournant avec une organisation plus encadrée : emplacements numérotés, attribution par tirage au sort, règles plus strictes. Un changement qui bouscule des pratiques parfois installées depuis dix, vingt, voire quarante ans. Pour certains marchands, l’attente s’est transformée en déception. Privés d’emplacement, ils se retrouvent dans l’incertitude, malgré des investissements déjà engagés pour cette période cruciale.
Le coup d’envoi officiel prévu le vendredi 12 décembre a finalement été annulé en raison d’un avis de fortes pluies. Pourtant, certains commerçants ont tout de même pris place, histoire de « tâter le pouls ». Une présence symbolique qui a attiré l’attention des autorités.
Après les débats au Parlement, où le Night Market s’est invité à l’agenda à travers une Private Notice Question du leader de l’opposition, Joe Lesjongard, initialement adressée au ministre des Collectivités locales et finalement répondue par le ministre du Logement et des Terres, Shakeel Mohamed, ce dernier a affirmé que le processus de sélection s’est déroulé dans la plus grande transparence, sans favoritisme, tout en assurant que des alternatives sont à l’étude pour les marchands non sélectionnés. Le ministre s’est également rendu sur place pour rencontrer les commerçants et les rassurer.
Sur le terrain, le député Eshan Juman a, lui, replacé le débat dans une vision plus large. «Nous voulons redonner vie à cette rue et faire de Port-Louis une Heritage City», a-t-il déclaré. Un discours qui trouve écho chez certains, mais qui suscite aussi des interrogations chez ceux qui, malgré des années de présence à la rue Desforges, restent aujourd’hui dans le flou.
Entre joie de retrouver l’ambiance des fêtes et inquiétudes liées à ces nouveaux remous, nous sommes allés à la rencontre de ces marchands et familles qui font, chaque année, battre le cœur de ces festivités shopping.

Il est un peu plus de 19 heures lorsque nous croisons Shaminaz Ozeer, non loin d’une station-service de la rue Desforges, occupée à installer soigneusement ses produits en plastique. «Bizin instal bien, samem ki atir kliyan», glisse-t-elle, concentrée. Un savoir-faire transmis de génération en génération. «Sa travay-la, mo mama Salimah ek mo papa Aboo inn fer li isi depi plis ki 40 an», raconte-t-elle avec fierté. Aujourd’hui, Shaminaz et son frère viennent prêter main-forte à leur mère, fidèle à cette rue depuis des décennies. Mais cette année, les habitudes sont bousculées. La famille n’a pas obtenu son emplacement habituel lors du tirage au sort. Malgré tout, impossible de rester à la maison en pleine période des fêtes. «Nou ena nou bann kliyan fidel. Nou travay dan enn bon lanbians ek korperasyon ant bann marsan, nou enn sel fami», confie-t-elle, déterminée.


Un peu plus loin, du côté d’un magasin, l’ambiance monte d’un cran. Les musiques du moment ‘pe donn bal’, les passants s’arrêtent, regardent, entrent. C’est Latiff Azhar qui nous accueille, tout sourire, à la tête de Luxena. Installée depuis cinq ans à Pailles, la marque vient tout juste d’ouvrir une boutique à la rue Desforges, début décembre. «C’est la première fois que nous venons ici, et franchement, l’ambiance est incroyable», confie-t-il. Habitué à vendre surtout en ligne sur TikTok, Latiff découvre un tout autre rapport avec la clientèle. «Ici, c’est direct, vivant, accessible. Il y a du monde jusqu’à très tard, même à 1 h du matin.» Dans cette effervescence nocturne, Luxena trouve rapidement son public, notamment grâce à ses sacs à main, best-sellers du moment. «Normalement, ils sont entre Rs 1950 et Rs 2500, mais pour les fêtes, on les propose à Rs 1000 seulement», explique-t-il. Pour ce jeune entrepreneur, le Night Market est avant tout une expérience. «C’est une belle opportunité pour les marchands, surtout pour ceux qui n’ont pas forcément de visibilité en ligne et ça fait du bien de retrouver ce folklore.»


Impossible de passer à côté. Entre la fumée qui s’échappe de la plancha et l’odeur alléchante des burgers, c’est l’instinct qui nous guide jusqu’au stand Zimo Burger. Derrière, Wasseem Lallmahomed, qui fêtait ses 22 ans ce jour-là, s’active sans relâche. Figure bien connue de la rue Desforges, il y opère depuis deux ans, fidèle à ce coin animé de la capitale. «Ici, tout le monde passe. La rue Desforges, c’est Maurice en miniature», lance-t-il. Son succès repose sur une formule simple : burgers au poulet ou au bœuf, des prix abordables et une cuisine gourmande. Ouvert jusqu’à minuit, Zimo Burger, dont le nom fait référence à ses frères aînés jumeaux, connus sur les réseaux sous Zimo Hotel, attire ceux en quête d’un repas rapide et savoureux. «C’est sécurisé ici, il y a de l’ambiance et surtout, il y a la vie», résume Wasseem, le sourire aux lèvres, tandis qu’un nouveau client s’approche déjà du comptoir. Avant de lancer, avec enthousiasme : «Mo invit tou dimounn vinn lor lari Desforges. Bann pri ki pou ena la, pou super !»


Devant son étal de vêtements, Shaheena Rodhun ne cache ni sa colère ni son épuisement. Voilà près de dix ans que son époux et elle travaillent à la rue Desforges, une présence régulière, bien connue des clients comme des commerçants du voisinage. «Nous avons toujours travaillé au même endroit, sans jamais créer de problème. Même les magasins à côté n’ont jamais objecté à notre présence», insiste-t-elle. Cette année pourtant, tout a changé. Le nouveau système d’attribution des emplacements, basé sur un tirage au sort et des numéros prédéfinis, a bouleversé des habitudes ancrées de longue date. «Avant, chacun connaissait sa place. Aujourd’hui, on nous attribue un numéro au hasard, parfois loin de notre zone habituelle, sans tenir compte de l’ancienneté», déplore-t-elle. Pour Shaheena, le problème n’est pas la régulation en soi, mais la manière dont elle est appliquée. «Nous ne refusons pas de payer. Les Rs 4 000 couvrent l’éclairage, le nettoyage et la sécurité, c’est normal. Mais payer sans être sûrs de rester là où nos clients nous trouvent depuis des années, ce n’est pas juste.» Elle s’interroge aussi sur certaines incohérences : «Des personnes qui n’ont jamais travaillé ici ont une place, tandis que d’autres, présents depuis longtemps, sont exclus. Même des habitants ou des commerçants de la rue n’ont rien obtenu.» Une situation d’autant plus difficile à accepter que décembre reste une période vitale. «On a déjà investi dans la marchandise. On ne peut pas se permettre de rester à la maison.» Sa demande, partagée par de nombreux marchands de longue date, reste simple : «Laissez-nous travailler. Laissez chacun à sa place habituelle. C’est comme ça que cela a toujours fonctionné, sans conflit ni désordre.»


Géraldine Leste a fait le déplacement jusqu’à Port-Louis pour profiter du Night Market. Ce sont ses filles, Emilia et Emilie, qui racontent l’aventure avec une énergie communicative. «Nous avons pris le bus vers 17 h 30 depuis Trou-aux-Biches et depuis, on fait le tour tranquillement», confient-elles, les sacs déjà bien remplis. Informée via les réseaux sociaux, notamment TikTok, la famille est surtout venue à la recherche de bonnes affaires. Géraldine, visiblement ravie, confirme : «Franchement, j’ai été surprise. Les prix sont très abordables.» Elle explique avoir déjà trouvé des cadeaux pour son petit-fils de deux ans ainsi que pour plusieurs membres de la famille. Habituée de la rue Desforges, elle observe toutefois une ambiance légèrement différente cette année. «Je trouve que c’est un peu moins festif pour l’instant, peut-être parce que le lancement officiel n’a pas encore vraiment commencé.» De son côté, Emilia souligne l’importance de ce type d’initiative : «C’est notre folklore. J’aime quand les rues s’animent et quand on soutient les petits commerces.» Inspirée par ce qu’elle a connu à l’étranger, Géraldine apprécie particulièrement le concept du shopping nocturne. «Pouvoir se balader jusqu’à une heure du matin, ça donne le choix, surtout pour ceux qui travaillent.» Leur message aux Mauriciens est clair : «Venez, soyez solidaires, soutenez les petits commerçants. Et surtout, faites-le avec respect.»

Night Markets : ce que dit l’actualité
Environ 750 marchands saisonniers sont autorisés à opérer à travers l’île dans le cadre des Night Markets de fin d’année, moyennant un coût variant de Rs 150 à Rs 500 par jour, selon les municipalités. À Port-Louis, des alternatives sont actuellement à l’étude pour les marchands non sélectionnés, notamment l’ouverture de rues supplémentaires dans la capitale. Parallèlement, plusieurs municipalités ont déjà activé leurs dispositifs festifs. À Curepipe, les marchands ambulants seront installés à l’ex-foire Ramdin, près de la gare Jan Palach. À Quatre-Bornes, le terrain situé près de la station-service Shell, route St-Jean (en face d’Orchard Centre), a été retenu. À Vacoas-Phoenix, des espaces commerciaux sont prévus sur l’aire de stationnement à proximité du bazar de Vacoas et du collège Maurice Curé, du 15 décembre 2025 au 5 janvier 2026. Seuls les marchands ambulants résidant dans la zone concernée sont autorisés à y opérer, selon les conditions fixées par chaque conseil municipal.

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