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10 juin 2025 19:43
Caché dans le Nord, entre Rivière-du-Rempart et Laventure, Plaine-des-Roches déroule ses tapis de basalte et de verdure comme une carte postale figée dans le temps. Ici, les roches noires racontent l’histoire, les eucalyptus et les acacias dessinent les ombres, et les sourires se dessinent dans une langue chantante, entre bhojpuri et créole. C’est dans ce village, où la route serpente comme un fil de mémoire, que nous avons choisi de poser notre regard – là où les souvenirs s’entrelacent aux gestes d’antan. Mais cette fois, ce n’est pas uniquement la nostalgie qui nous mène jusqu’ici. Une nouvelle énergie s’y est installée, littéralement. Depuis le 1er avril 2025, sur 12 hectares de champs rocailleux, des milliers de panneaux solaires ont jailli du sol comme des fleurs métalliques tournées vers le ciel. C’est la centrale photovoltaïque Green Rock Ltd, un projet à Rs 337 millions signé Corexsolar International. 20 328 panneaux y captent la lumière du jour pour la transformer en électricité propre, avec une production annuelle équivalente à la consommation d’environ 23 000 habitants. Mais loin des chiffres et des kilowattheures, c’est aussi l’occasion pour nous d’écouter les voix de ceux qui vivent ici. Ceux pour qui Plaine-des-Roches est bien plus qu’un point sur une carte : c’est un souffle, un héritage, une mémoire vivante. Suivez-nous dans cette virée solaire…
Il devient de plus en plus rare de trouver ces métiers d’antan, où la main façonne encore. En nous baladant, pas loin du Shiv Mandir, un tailleur s’affaire. Ce bâtiment peint tout de blanc avec un sali rouz ne comporte même pas un écriteau. Vous comprenez bien qu’il faut être curieux pour l’apercevoir. Et c’est ce que nous sommes ; nous décidons donc de l’approcher, sans trop le brusquer dans ses gestes précis. C’est avec un sourire chaleureux qu’il essaie de comprendre notre venue et nous raconte son histoire. «C’est mon frère qui m’a forcé à apprendre ce métier. J’avais que 17 ans et il fallait aller à Rivière-du-Rempart pour apprendre auprès d’un monsieur Baichoo. À force, j’ai appris à aimer ce métier qui demande de la rigueur et de la patience. Dimounn sorti lwin pou vinn get mwa. J’ai cousu beaucoup de costumes de mariage et de churidars ! Aujourd’hui, j’ai 70 ans et malheureusement, il n’y a pas de relève. À l’époque, j’avais même cinq employés. Me aster-la personn pa rod aprann. La venue du prêt-à-porter a fait que les gens préfèrent acheter, quitte à mettre un linge une seule fois. Linz inn vinn tro bomarse. Il y a quand même encore quelques personnes qui aiment choisir leur tissu, leur modèle et que le linge s’apprête à leur corps. C’est ajusté» souligne Sanjay Seewoosunkur d’un air optimiste, avant d’ajouter : «Nous vivons bien dans notre village et avons un peu de tout. Zis delo ki pa koule. Depuis 8 heures, le robinet est à sec. Il faudra attendre 15h30 pour avoir une goutte.»
Près de l’école Pardooman Shibchurn, une petite ruelle nous mène vers le centre communautaire. Assis, dans une ambiance paisible, Sunil Pultoo observe la vie défiler doucement. «Mo’nn grandi isi. Sa fer 35 an ki mo travay kouma attendant. Le village, c’est une grande famille. Dimounn cool, honnêtes, bienveillants», dit-il avec fierté. Il se souvient de ses jeunes années passées à jouer au foot lor terin ros. «Depi mo zenn mo la, sa terin-la inn konstrir devan mo lizie. Aster-la, le terrain est beau et vert, mais il n’y a plus de jeunes pour jouer. Ena lekip, me zot pa aktif. Ce sont les fléaux sociaux et l’absence d’encadrement qui minent la jeunesse. Il faudrait relancer la vie sociale du village. Organiser des activités pour les jeunes, pour les aînés aussi. Utiliser ces belles infrastructures qui sommeillent. Sa kapav donn travay osi.» Il sourit, un brin d’espoir dans les yeux : «Li bon ki Moris pe al ver Green Energy. Mo espere sa kapav amenn enn lavenir pli prop pou bann zanfan.»
En quittant Laventure, une route sinueuse traverse une forêt luxuriante avant de nous conduire vers un Plaine-des-Roches paisible en ce début de journée. À part quelques passants qui papotent à voix basse, ce sont surtout les boutiques qui affichent un semblant d’agitation. Nous nous arrêtons à Neerunjun Store, une petite boutique familiale au charme intemporel. «Nous avons ce commerce depuis 22 ans. Quand je me suis mariée, je venais de Roche-Terre et je travaillais dans une usine. Petit à petit, j’ai appris à aimer ce long village si tranquille et j’ai commencé à aider mon mari dans la boutique. Aujourd’hui, on vend de tout ici, de la plomberie aux légumes… Ena mem vis ek fournitir pou lakoutir! Dan enn laboutik, bizin ena tou, non? Pou depann dimounn!» confie Rani Neerunjun, tout sourire. Mais tout n’est pas si simple. Elle pointe du doigt un souci quotidien : le manque de transports. «Le gros problème ici, c’est le manque de bus. Les élèves attendent longtemps le matin et pour nous, alors que Flacq n’est pas si loin, on doit faire un détour par Rivière-du-Rempart. C’est une perte de temps et deux tickets de bus !» Malgré tout, elle reste positive. «C’est bien qu’il y ait cette ferme solaire. Moris enn ti pei, me li pe avanse!»
Entre projets solaires et zones d’ombre
Corexsolar International est une entreprise d’origine réunionnaise spécialisée dans les énergies renouvelables, active à Maurice depuis 2016. Elle multiplie les projets dans la région : à Rodrigues, Mayotte et La Réunion. À ce jour, elle a concrétisé plusieurs fermes photovoltaïques, dont celles de Petite-Rivière, d'Henrietta et plus récemment, Green Rock Ltd à Plaine-des-Roches, avec l’ambition de contribuer à l’objectif national de 60 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2030. Mais derrière ces chiffres et promesses de décarbonation, Corexsolar n’échappe pas à la controverse. En 2023, un contrat pour une ferme solaire à Belle-Vue, le plus important jamais signé par le Central Electricity Board, avait soulevé un tollé politique. La députée Joanna Bérenger avait dénoncé un possible non-respect des critères d’attribution. Corexsolar, pour sa part, a réfuté toute irrégularité. L’entreprise affirme avoir respecté les règles locales, où les terrains ne sont pas obligatoirement sécurisés à l’avance, et rappelle que son offre était la plus compétitive du marché. En 2025, la situation reste sous surveillance, certaines procédures étant toujours en cours d’instruction. Mais Corexsolar ne freine pas pour autant. Parmi ses projets avec notamment une ferme de 10 MWac (alternative current) à Bon-Air, avec un système de stockage d’énergie intégré (35 MWh), une première à Maurice, ainsi que deux autres projets de 30 MWac chacun à Amaury et Mare-d’Australia. Corexsolar se veut, selon ses mots, «un partenaire durable pour Maurice».
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