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Jean-Clément Cangy : Une vie, des histoires

20 avril 2015

Comment vous présenteriez-vous à quelqu’un qui ne vous connaît pas ? La première question est lancée et Jean-Clément Cangy, qui vient de sortir son dernier livre, 15 figures féminines pour toutes les saisons, répond tout de go : «Je suis un ancien journaliste qui a passé 35 ans de sa vie au journal Le Mauricien. Je n’ai connu aucun autre journal. I was branded to Le Mauricien. Vers la fin de ma carrière, j’ai commencé à écrire mon premier livre. Je dirais aussi que le métier de journaliste est un beau métier.»

 

Et quand il parle de la profession qui l’a aidé à se forger, Jean-Clément Cangy ne peut occulter ses débuts : «J’ai commencé ma carrière professionnelle en étant enseignant d’école primaire pendant six ans. Après cela, j’ai écrit à Jacques Rivet, le patron du groupe Le Mauricien, pour lui dire que je souhaitais qu’il m’embauche. Il faut dire que Jacques Rivet me connaissait, nous connaissait, parce que nous étions une bande de fous d’écriture qui écrivaient et qui avaient la responsabilité d’une double page dans l’hebdomadaire Week-End sous la rubrique Place aux Jeunes. C’est comme cela que  j’ai débuté comme journaliste au Mauricien, en 1975.»

 

Une suite logique dans sa carrière, car l’homme a toujours adoré l’écriture : «J’ai toujours aimé écrire. Comme j’étais un introverti, j’écrivais les choses, les sentiments que je ne pouvais exprimer verbalement. C’était ma soupape de sûreté. Adolescent, j’avais des correspondantes. Cette inclinaison pour les lettres m’a suivi durant ma carrière professionnelle. Je trouve qu’on s’exprime mieux par le biais d’une lettre que lors d’une conversation.»

 

Un cataclysme

 

Son amour pour l’écriture n’a cessé de croître alors qu’il était au collège : «Lors d’une discussion de groupe alors que j’étais en Form II au collège Royal de Port-Louis, je disais ma passion pour les lettres et l’aumônier du collège, Jean-Claude Desjardins, m’a dit que je serai journaliste. J’ai trouvé qu’il exagérait grandement.»

 

Pour lui, cette affirmation ne pouvait absolument pas se concrétiser : «Il faut dire que je viens d’une famille modeste. Mon père était ouvrier dans le bâtiment. Parfois, il n’y avait pas de travail. Quand il n’y avait pas de travail, on se contentait de ce que nous donnait la famille proche, un œuf, un peu de brèdes. Les brèdes, un morceau de snoëk ou un triangle de corned mutton rythmaient nos dîners quotidiens. À ce moment-là, je ne voyais pas comment je deviendrais journaliste un jour.»

 

Puis, raconte-t-il, il y a eu ce triste moment, une douloureuse épreuve qui a provoqué comme un déclic en lui : «Quand j’ai eu 14 ans, ma mère est morte. C’était un cataclysme pour moi. C’est elle qui m’a donné le goût des études, de la lecture, des autres. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Je m’efforçais de déchiffrer, de lire les journaux qui tapissaient les murs de notre deux-chambres rabougrie, rongée par les cancrelats et les rats pour masquer la misère. Aux privations, il fallait ajouter les humiliations à cause de la couleur de ma peau, dans la famille élargie, dans la rue, à l’école, dans la société. Ma mémoire a été marquée au fer rouge.»

 

Une seule chose l’aidait à s’évader, à oublier les instants difficiles : «La lecture, au-delà d’être un refuge, est un lieu d’espérance. Je ne peux que conseiller aux gens de lire et de lire encore, de fréquenter les bibliothèques.»

 

Si son métier lui a permis de vivre de nombreuses expériences, l’écriture lui a aussi permis de cultiver autrement sa passion : «Un jour, mes filles, j’en ai trois, m’ont dit que finalement elles me connaissaient peu : “Dis-nous d’où tu viens.” Alors, j’ai commencé à écrire Love Lane, La ruelle où j’habitais enfant, devenu plus tard  Ruelle de bonne espérance. Puis ont suivi des livrets sur Ti  Frer, Le séga, des origines à nos jours, et aujourd’hui, 15 figures féminines pour toutes les saisons. Il faut dire que, quand j’étais journaliste, j’avais réuni dans un livre, Le makanbo du Morne, mes écrits sur l’esclavage.»

 

Découragement

 

Entre le travail de recherches et le moment de découvrir les bouquins achevés, il écrit chaque livre avec beaucoup d’amour : «Je fais d’abord des recherches dans des livres, sur Internet, dans des archives. Et là, je consigne des notes dans mon carnet de  journaliste. Et quand j’ai terminé la consignation des notes, je commence à écrire sans me soucier des fautes que je fais. Dans un deuxième temps, je commence à corriger, à polir, une fois, deux fois, trois fois, autant de fois que cela s’avère nécessaire.» Ce n’est absolument pas un travail facile, avoue-t-il : «Des fois, vous êtes découragé et vous avez envie de laisser tomber. Ailleurs, des écrivains ont des batteries de correcteurs, parfois même des gens qui écrivent pour eux, qu’on dénomme par un nom que je refuserai d’utiliser par respect pour ceux et celles qui ont subi l’esclavage dans leur chair.»

 

Et son dernier livre a été le fruit d’un dur labeur : «Mon dernier ouvrage, 15 figures féminines pour  toutes les saisons, se veut être un livre hommage à la femme, à toutes les femmes, plus précisément aux descendantes des victimes de l’esclavage, à la femme créole. Ce livre s’insère dans le cadre de la Décennie des personnes d’ascendance africaine, qui a été instituée par les Nations unies et qui enjoint les États à lutter efficacement contre le racisme et la discrimination raciale.» 

 

Il parle de son dernier-né comme un lieu de reconnaissance pour les femmes d’ascendance africaine, comme «un lieu de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, mais aussi un lieu d’espoir pour elles, car les femmes, à l’instar de Harriet Tubman, Sojourner Truth, Phillis Wheatley et les autres qui peuplent mon livre, démontrent que, bien que nées dans des situations effroyables, marquées des fois par l’esclavage, elles sont arrivées à forcer le destin, à changer d’avenir, à changer l’Histoire, parce que refusant d’être des femmes à genoux et revendiquant d’être des femmes debout assumant pleinement leur négritude». Pour le reste, Jean-Clément Cangy invite ceux et celles qui le souhaitent à plonger au cœur de sa nouvelle histoire.

 

15 figures féminines pour toutes les saisons

 

Dans son dernier ouvrage, l’auteur invite les lecteurs à entrer de «plain-pied dans cette décennie des personnes d’ascendance africaine (2015-2024) en allant à la rencontre des 15 femmes qui peuplent le livre». À Maurice, comme ailleurs dans le monde, explique-t-il, le racisme et la discrimination raciale sont toujours présents et font des ravages.

 

La société mauricienne, dit-il, flatte et glorifie ceux qui sont clairs de peau. On entend souvent des choses comme : «Get sa piti kouma li zoli, get kouma li kler.» Les autres subissent des moqueries et des insultes : «À l’école, dans des familles, on traite toujours d’autres personnes de “mazambik pi”, de “zans cite”. Si les descendantes des victimes de l’esclavage sont bien dans les cités, dans les faubourgs urbains, dans des villages reculés, elles ne sont nulle part dans les bureaux de l’État ou du secteur privé ou à l’aéroport, vitrine de notre pays. Si bien que des visiteurs africains s’en offusquent», s’insurge Jean-Clément Cangy.

 

Selon lui, cette situation existe dans tous les pays où se retrouvent des descendants des victimes de l’esclavage. «C’est bien pour cela que les Nations unies ont institué cette décennie dédiée aux personnes d’ascendance africaine et demandent reconnaissance et justice pour les descendants des victimes de l’esclavage», ajoute l’auteur de 15 figures féminines pour toutes les saisons.

 

Il cite aussi l’Organisation des Nations unies (ONU) qui souligne «la contribution inestimable de ces hommes et femmes d’ascendance africaine dans l’édification de nos sociétés contemporaines» et demande «de transformer cette reconnaissance en action de lutte contre le racisme, la discrimination raciale et l’intolérance sous toutes ses formes.» L’ONU explique que «la discrimination dont sont victimes les personnes d’ascendance africaine est pernicieuse. Dans bien des cas, l’intolérance manifestée à leur égard les condamne à la pauvreté ; pauvreté qui sert ensuite de prétexte pour les exclure davantage. Les préjugés dont elles font l’objet les empêchent souvent d’avoir accès à l’éducation, ce manque d’éducation leur étant ensuite opposé pour leur refuser un emploi. Cette profonde injustice a, comme les autres, une longue et terrible histoire, qui remonte au commerce transatlantique des esclaves, dont les conséquences continuent de se faire sentir aujourd’hui».  

 

Vous pouvez vous procurer Les 15 figures féminines pour toutes les saisons dans les librairies Bookcourt et à l’Atelier d’écriture, en vente à Rs 400.

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