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27 septembre 2023 19:44
Beaucoup de choses ont été dites sur Agaléga. Pourtant, le flou reste complet. Les habitants sont les premiers, affirment-ils, à ne pas savoir ni comprendre ce qui se passe sur leurs terres depuis que des travaux de développements infrastructurels y ont débuté. Officiellement, Maurice a signé un accord avec l’Inde pour la construction d’une jetée, d’un hangar, d’un tunnel ainsi que pour l’agrandissement de la piste d’atterrissage, projet entièrement financé par le gouvernement indien. Cependant, depuis que la presse indienne a commencé à évoquer la construction d’une base militaire, de nombreuses rumeurs circulent, laissant présager un scénario à la Chagos. En effet, plusieurs observateurs géopolitiques y voient une stratégie de l’Inde pour marquer son territoire contre la Chine, qui cherche aussi à contrôler l’océan Indien.
Cette thèse a, à plusieurs reprises, été démentie par le gouvernement mauricien. Questionné par l’opposition, Pravind Jugnauth a affirmé qu’il n’a jamais été question d’un accord entre Maurice et l’Inde pour la construction d’une base militaire à Agaléga. Les Agaléens, eux, nagent en plein doute, surtout face au refus du Premier ministre de rendre public l’accord signé avec l’État indien. Le brouillard, estiment les habitants, est plus que jamais épais concernant Agaléga et son avenir.
Alors que les travaux dans l’île touchent à leur fin, les interrogations restent entières et l’inquiétude ne cesse de grandir pour les Agaléens. Entre les nombreux problèmes qu’ils rencontrent au quotidien et le manque de solution, ne pas savoir de quoi leur avenir sera fait est une vraie source d’angoisse pour les familles qui y vivent. Pour Franco Poulay, président de Lavwa Rezistans Agalega, le gouvernement mauricien ne peut plus laisser tout un peuple vivre dans l’angoisse. «Les travaux sont presque finis. On entend dire que l’inauguration aura lieu en décembre, pourtant nous ne sommes en présence d’aucune information officielle. Normalement, il devrait y avoir du travail pour nos jeunes, mais il n’y a eu jusqu’ici aucune information. Pour moi, tout ce qui se passe n’est pas dans l’intérêt des Agaléens.»
Selon lui, tout va vers une confirmation de la présence d’une base militaire à Agaléga, ce qui suscite une vraie crainte parmi les habitants. «Est-ce que nous, les civils, pourront continuer à vivre ici sur nos terres ? Que le Premier ministre vienne ici nous expliquer ce dont il s’agit. Est-ce que nous pourrons un jour devenir propriétaires de nos terres ? Il nous doit des réponses.» La récente annonce du vice-Premier ministre et ministre du Logement, Steven Obeegadoo, sur la construction de maisons de la NHDC à Agaléga, qui devraient être prêtes en 2024, n’est pas non plus source d’apaisement. «Depuis six ans, ils répètent la même chose. Obeegadoo vient dire que le projet NHDC a été bloqué à cause de la Covid-19, mais la crise sanitaire n’a pas empêché les Indiens de finir leur projet. Ce sont uniquement les 50 maisons qui sont concernées par la Covid ? Qu’il pèse bien ses mots et ne nous prenne pas pour des imbéciles», souligne notre interlocuteur.
Arnaud Henry, un autre habitant, ne cache pas, non plus, son exaspération. «Les travaux sont presque finis et nous sommes toujours dans le flou. Que va-t-il se passer maintenant ? C’est quoi ce projet ? Nous n’en savons rien. Depuis le début des travaux jusqu’à aujourd’hui, on ne nous a jamais expliqué de quoi il s’agit vraiment. Les Agaléens ont été mis à l’écart.» Cette impression d’être des laissés-pour-compte est un sentiment partagé par la majorité des Agaléens qui se sentent abandonnés. «Ici, il y a de nombreux problèmes. Cela fait des années et des années qu’on en parle. Problème de logement, d’éducation, de transport. D’ailleurs, de nombreuses familles étaient récemment bloquées à Maurice. Une partie seulement a pu revenir.» En effet, après être restées bloquées pendant des mois à Maurice en raison de l’indisponibilité du navire cargo, certaines personnes n’ont pu prendre place à bord du Mauritius Trochetia, qui a mis le cap sur Agaléga le 9 septembre dernier, en raison d’un manque de place. Selon les autorités, il faudra attendre le prochain départ du bateau qui est prévu pour la fin de l’année.
Une situation difficile que beaucoup mettent sur le compte d’une certaine indifférence envers les Agaléens qui se retrouvent, selon Arnaud Henri, dans des conditions précaires, que ce soit à Maurice ou à Agaléga. «Financièrement, ce n’est plus possible. Quand vous voyez la vitesse à laquelle ils ont construit ces super bâtiments et qu'à côté, nous sommes quatre familles à vivre dans une maison sur un terrain qui, légalement, ne nous appartient pas, c’est révoltant. Les jeunes, ici, n’ont pas de travail. Certains ont 18, 20 ans et ne font rien. C’est chagrinant qu’en 2023, nous soyons obligés de vivre dans ces conditions. Rien n’avance pour nous, pour notre quotidien et notre avenir.» Et les 50 maisons NHDC promis par le gouvernement, il n’y croit pas. «C’est une promesse qu’ils répètent depuis 2014 mais à ce jour, il n'y a rien. Ce n’est que quand je verrai ça de mes propres yeux que j'y croirai.» Au milieu de tout ce flou, Arnaud Henri n’a qu’une attente : que le gouvernement mauricien fasse preuve d’un plus grand soutien envers le peuple d’Agaléga.
En plus de l’inquiétude des habitants, la question interpelle aussi énormément les politiques de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire. Parmi ceux qui se sont exprimés récemment sur le sujet, Parvèz Dookhy du Ralliement Citoyen pour la patrie, qui a rejoint la plateforme Linion Moris. «Les inquiétudes exprimées il y a plus d’une dizaine d’années de cela sont aujourd’hui confirmées. Tout a commencé sous Navin Ramgoolam, mais Pravind Jugnauth a sans doute tout amplifié. Il met les Mauriciens devant un fait accompli : une infrastructure au service de l’armée indienne à Agaléga. Rien n’a été fait dans la transparence, dans le respect de la démocratie ou même avec la participation des institutions politiques. Maurice a aujourd’hui deux bases militaires exploitées par des puissances militaires sur son territoire. Quel est le danger ? C’est d’abord en cas d’accident nucléaire et aussi en cas de guerre. Les Agaléens sont des Mauriciens à part entière. Ils ne peuvent pas être les premières cibles en cas de conflit armé. Imaginons une guerre entre l’Inde et la Chine comme cela a été le cas récemment avec le Pakistan.» La situation serait, affirme-t-il, catastrophique pour Agaléga comme pour Maurice, entraînant leur population dans une guerre sans précédent.
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