Publicité
13 novembre 2023 18:01
«Tout au long de ma vie, j’ai mené bien des batailles pour différentes causes, que ce soit pour la reconnaissance de la langue kreol ou encore pour l’usage du cannabis médical, entre autres. C’est important de mener des batailles et après mon départ, je voudrais que les combats continuent…» C’est ce que Dev Virahsawmy, affaibli par la maladie, notamment un cancer du foie, nous avait déclaré le 26 septembre dernier, lorsque nous l’avions sollicité pour une interview (publiée le 1er octobre) autour de l’usage du cannabis médical à Maurice.
Malgré son état de santé, il avait accepté de nous répondre car c’était un sujet qu’il connaissait bien et qui lui tenait à cœur. Atteint lui-même de Post-Polio Syndrom (PPS), il avait bien souvent fait entendre sa voix sur la question de rendre accessible le cannabis médical dans l’île parce que pour certaines maladies, nous disait-il, un soulagement est possible à travers le CBD (cannabidiol) et le THC (tétrahydrocannabinol). «Je connais très bien ce dossier, et ce produit est capable d’aider et de soulager 250 000 à 300 000 Mauriciens qui souffrent de plusieurs maladies et qui en ont besoin. Mon engagement dans ce combat était important, pour le problème dont je souffre, le PPS», nous avait-il déclaré, très passionné dans ses propos et maîtrisant le sujet sur le bout des doigts.
Un mois plus tard, soit dans la nuit du mardi 7 au mercredi 8 novembre, l’homme, ancien politicien, linguiste, enseignant (de General Paper et de littérature anglaise), poète, dramaturge, auteur et grand défenseur du kreol morisien, s’est éteint à l’âge de 81 ans. Il a été jusqu’au bout, comme durant toute sa vie, un grand combattant, ayant tenu tête à la maladie jusqu’à son dernier souffle. D’ailleurs, durant ses derniers moments, alors que ses jours étaient comptés, il avait souhaité courageusement s’entretenir avec quelques personnes, à l’instar de Paul Bérenger, son «camarade politique», du Premier ministre Pravind Jugnauth avec qui il a parlé de la nécessité que «literasi ek aritmetik bizin reintrodwir dan ti klas», et de Mgr Jean-Michaël Durhône avec qui il a également parlé de l’importance d’avoir la litéracie et l’arithmétique de base dans les écoles. Avant de fermer les yeux à jamais, Dev Virahsawmy a aussi signifié son désir de céder tous ses droits d’auteur au diocèse de Port-Louis à travers l’Institut Cardinal Jean Margéot.
Malgré la souffrance, armé d’un moral d’acier comme ce fut le cas durant toute son existence et clamant qu’il n’avait absolument pas peur de la mort, Dev Virahsawmy avait également, dans les semaines précédant son décès, tenu à s’adresser à ceux qui pensaient se déplacer pour lui rendre hommage lors de ses funérailles (qui ont eu lieu ce jeudi 9 novembre) en leur demandant de ne pas apporter de fleurs. «Rod enn bout terin, aste enn pye friapin ek plant li», avait-il souhaité, lui qui avait à coeur la question de la sécurité alimentaire pour le pays et qui, malgré les moments difficiles de ces derniers jours, restait fort. Une force qui l’a toujours habité et cela même dans son enfance, quand il a été confronté en 1945, à l’âge de 3 ans, à la première vague de l’épidémie de Polio à Maurice, également connue à l’époque sous le nom de paralysie infantile. La maladie avait affecté une partie de son corps, d’où son bras gauche atrophié.
Dans le livre The Lotus Flower, retraçant sa vie depuis son enfance à Goodlands, puis à Beau-Bassin – il est devenu orphelin à 10 ans –, écrit par son épouse Loga Virahsawmy (en 2017), cette étape est racontée, notamment à travers le courage de la mère de Dev, qui raconte-t-il, priait énormément pour sa guérison. D’un moment difficile à un autre, à l’adolescence cette fois, il lui a fallu être à nouveau courageux pour faire face, raconte-t-il dans le livre, aux moqueries de ses camarades du collège Saint-Joseph, car il ne savait parler le français que sommairement. C’est en traversant toutes ces épreuves qu’il s’est forgé et a avancé au fil des années. À un moment de sa vie, il a trouvé du réconfort dans le théâtre. En 1961, c’est d’ailleurs dans un club de théâtre regroupant des jeunes comédiens mauriciens, le Mauritius Dramatic Club, qu’il rencontre Loga (ex-directrice de Gender Links, qui a fait de l’égalité des genres son cheval de bataille). Depuis, le couple ne s’était jamais quitté. Quand Dev se rend en l’Écosse pour entamer des études universitaires en politique à Edinburgh, il ne faut pas longtemps à Loga pour prendre la décision de le suivre un an plus tard. «Les études terminées, nous avons mis le cap sur l’Angleterre où nous nous sommes dit oui le 14 août 1964, entourés de quelques amis qu’on avait connus à l’université», nous avait raconté Dev dans une interview datant du 17 août 2014. Au moment de leur union, il a 21 ans et elle, 19 ans.
Quelque temps plus tard, le couple rentre au pays. La politique fait alors battre très fort le coeur de Dev qui devient l’un des trois dirigeants du Mouvement Militant Mauricien (MMM) après la création de ce parti en 1969. «Le MMM a vu le jour dans notre maison. On réunissait les membres pour des réunions. Dev est l’un des fondateurs du parti», nous confiait Loga dans une précédente interview à 5-Plus. Homme de convictions, Dev Virahsawmy a toujours avancé en étant fidèle à lui-même. C’est donc ainsi qu’il a mené sa carrière politique, lui qui a été le premier député du MMM ; il avait été élu dans la circonscription No 5 (Pamplemousses-Triolet) lors des élections partielles de 1970, plus précisément le 22 septembre, dans le fief de sir Seewoosagur Ramgoolam. «C’est la victoire du peuple. Le MMM vient de prouver que le communalisme est mort», déclare alors Dev Virahsamy, qui s’est toujours battu pour des causes qui lui tiennent à coeur, même des fois aux dépens de sa sécurité.
Son arrestation et son emprisonnement dans les années 70 dans le cadre de la grève générale, alors qu’il milite aux côtés de Paul Bérenger pour une île Maurice plus juste, plus humaine et plus fraternelle, ayant à cœur le bien-être de la classe ouvrière, en sont des exemples. «Pendant son incarcération, nous avons vécu des moments très douloureux. Car Anushka avait seulement quatre mois et ma fille aînée était encore très petite. Cela nous a rapprochés davantage Dev et moi», nous avait raconté Loga Virahsawmy dans le cadre des noces d’or du couple qui a fondé une famille avec deux filles Saskia et Anushka, à laquelle se sont joints, par la suite, les petits-enfants Anastasia, Rachel et Yann.
Autre moment clé du parcours de Dev Virahsawmy : l’assassinat d’Azor Adelaïde, un militant du MMM, tué par balle à la rue Châteauneuf à Curepipe le 25 novembre 1971. «Dev est rentré à la maison complètement traumatisé, avec les vêtements tachés du sang d’Azor», nous avait confié Loga Virahsawmy, en nous parlant d’une partie du livre The Lotus Flower qui raconte ce drame. Autre étape importante du parcours de Dev Virahsawmy, qui était connu comme un puissant orateur, c’est quand en 1973, il quitte les Mauves à cause, officiellement, de différends idéologiques. Il fonde alors son propre parti, le MMMSP. Après la cassure du MMM en 1983, il sera l’un des fondateurs de l’alliance MSM-PMSD-PTr qui remportera les élections générales.
Celui qui a été conseiller de plusieurs ministres et qui a marqué la scène politique locale s’est aussi illustré ces dernières années dans des projets de société. «Dev a beaucoup contribué au développement du pays, surtout pour faire avancer et reconnaître la langue créole. Il a mené plusieurs combats, que ce soit au niveau politique ou culturel, entre autres», nous avait ainsi déclaré Loga Virahsawmy dans le sillage de la sortie du livre racontant l’histoire de son mari, qui a été jusqu’au bout de sa vie un fervent défenseur de la langue créole, se sentant interpellé par l’échec scolaire. Il ne ratait jamais une occasion de se dire scandalisé par le fait que beaucoup d’écoliers quittent encore le cycle primaire sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter.
Dev Virahsawmy a aussi été très actif culturellement ; il est celui derrière la création de groupe culturel Soley Ruz – dont faisaient partie des artistes comme Ban Cuttayen et les frères Joganah, entre autres – et a écrit des pièces de théâtre (Li , sa pièce la plus connue, a été écrite en prison et a remporté le premier prix du Concours de Radio France International), des poèmes et des chansons... Un riche héritage culturel mais aussi social, politique et éducatif qu’il laisse aujourd’hui derrière lui et qui fera qu’on se souviendra à jamais du grand combattant qu’il était.
Christophe Karghoo
Arnaud Carpooran, président de la Creole Speaking Union et doyen de la faculté des Sciences sociales et humaines à l’Université de Maurice : «Dev Virahsawmy est à la base de la révolution intellectuelle et politique pour la place de la langue créole dans la société. Il y a eu le combat poussé par la nécessité de revoir la politique du langage dans le pays. Puis, le combat politique, où il a aussi amené le kreol morisien. Le combat est ensuite devenu pédagogique lorsqu’il a élaboré le programme PrevokBEK avec Jimmy Harmon, encore une sphère où entre la langue créole. Puis, il y a ses réflexions, ses œuvres, son apport à la chanson engagée et au théâtre, toujours très liés à la langue créole. Bref, le combat pour la langue créole a une dette plus qu’énorme envers Dev Virahsawmy.»
Guilhem Florigny, Lecturer en linguistique à l’Université de Maurice : «Il est une inspiration, pour tout son parcours politique et artistique, sa pédagogie, sa façon de voir le monde à la fois en anglais et en kreol morisien. J’ai aussi eu la chance de le rencontrer, notamment parce qu’il avait fait la traduction en kreol des spectacles de Gérard Sullivan, auxquels j’ai participé. Je l’ai aussi invité, une année, à un partage avec mes élèves. J’ai alors découvert une personne très généreuse, dans le partage de ses visions et convictions. Il avait même apporté une centaine de ses livres pour les partager.»
Aurélie Vigoureux, ancienne étudiante en BA and Creole Studies : «Un pionnier s’en est allé. Dev Virahsawmy a marqué plus d’un et laisse derrière lui un bel héritage. J’ai eu l’occasion d’étudier Linconnsing Finnalay et Li à l'université et j’y ai beaucoup appris. C’est un génie qui a su allier humour et réalité culturelle ! Pendant longtemps, je me suis demandée s’il était possible de traduire les classiques de Shakespeare en kreol morisien mais cet homme a osé le faire tout en conservant la dimension humoristique de l’œuvre. Ses combats pour le kreol morisien perdurent et je suis en admiration devant tant d’audace et de détermination. (...) Cela me motive à poursuivre les combats menés pour la valorisation du kreol morisien.»
Jean-Michaël Durhône, évêque de Port-Louis : «Disparision Dev Virahsawmy donn mwa lokazion pou rann omaz enn gran Morisien. Depi ki li ti kone ki li pena bokou zour divan li, Dev finn afront so maladi avek kouraz ek li ti prepar li pou sa gran pasaz-la. Mo’nn gagn lokazion zwenn Dev ena detrwa semenn desela ek mo finn etone par so serenite. Ziska dernie zour (...) li finn milit pou lang kreol, pou ki sa lang ki li ti kontan otan, kapav gagn rekonesans ek servi dan ledikasion bann zanfan pov. Lingwis, edikater, politisien, tradikter, poet ek dramatirz, Dev finn definitivman mark lavi nou Lil Moris.»
Navin Ramgoolam, leader du PTr : «Un flambeau s’est éteint. J’ai eu la chance de le côtoyer au PTr et il a été d’une grande aide pour le parti. Je me souviendrai toujours de sa contribution immense, que ce soit en politique ou dans le monde littéraire, mais surtout pour valoriser le créole mauricien.»
Paul Bérenger, leader du MMM : «Mersi pou tou seki to finn fer pou nou pei. Orevwar kamarad. Lalit kontinie.»
Eddy Boissézon, vice-président de la République : «Dev parmi bann dimounn ki zot kontribision finn ena enn linpak. Nou kapav dir se gras a li ki Moris finn gagn so lindependans kiltirel.»
Stephane Chinnapen et Valérie Dorasawmy
Publicité