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29 avril 2020 00:56
Le changement a été radical et brutal. La crise du Covid-19 est venue bousculer nos codes et notre routine. Si nous nous sentons souvent déstabilisés face au confinement, l’expérience est d’autant plus compliquée pour les autistes. Comme ils ont rarement la notion du temps, la routine leur permet d’avoir des repères. Mais voilà, avec les activités à l’arrêt, le confinement est une épreuve supplémentaire pour les familles confrontées à ce trouble. Anxiété, cris, pleurs, troubles du comportement qui s’aggravent… Les enfants sont déboussolés, les parents épuisés et dépassés par la situation.
Le confinement a rendu le quotidien des Huet bien plus difficile qu’il ne l’est déjà. Chloë a 3 ans et demi. Ces dernières semaines ont été douloureuses pour sa famille et elle. Ses crises se sont multipliées et ses parents Manuella et Didier passent leur temps à essayer de la calmer. «C’est très dur. Elle n’arrive pas à comprendre qu’elle doit rester à la maison. Elle pleure beaucoup. Elle a du mal à dormir le soir, ce qui fait qu’elle est encore plus irritée. Elle ne se sent pas bien.» Comme beaucoup d’autistes, la routine de Chloë a été chamboulée. Elle allait à la garderie, jouait, faisait la sieste, regardait la télé, autant d’activités qui avaient lieu selon un calendrier d’horaires bien établi.
Avec le confinement, ses parents ont dû endosser un nouveau rôle, celui d’éducateurs spécialisés. Tout à coup, tout repose sur leurs épaules. «C’est un vrai débalancement. Comme Chloë ne parle pas, on n’arrive pas à la comprendre et vice versa. On passe notre temps à essayer de la calmer. Nous l’emmenons sur la terrasse pour qu’elle y joue un peu mais elle ne veut pas. C’est beaucoup de crises au quotidien», confie Manuella.
Aujourd’hui, toute la vie de la famille tourne autour de Chloë. Difficile pour Manuella et Didier, qui sont tous les deux en télétravail, de se concentrer, tout en s’occupant de leur aînée de 6 ans
qui doit suivre les cours en ligne et de Chloë qui demande une attention particulière. Ce qu’il faudrait, explique cette maman, c’est l’autorisation de sortir sa petite au moins une heure par jour. Ce serait, dit-elle, une manière de soulager Chloë.
Lenny a 16 ans et souffre d’une forme sévère d’autisme. Réglé comme une horloge, il se faisait toujours une joie d’aller à l’école. Du coup, rester enfermé chez lui est problématique. Il y a bien les devoirs envoyés par l’école mais difficile pour Lenny de se concentrer. Une situation extrêmement compliquée pour lui et sa maman. Depuis le début du confinement, confie cette dernière, c’est crise sur crise. Samantha Boodhun est dépassée et exténuée.
Impossible pour elle de se reposer et de baisser la garde. Lenny est très irrité et ses troubles se sont accentués. Il crie sans cesse, pleure, se tape la tête contre le mur, se réveille en pleine nuit pour aller ouvrir les portes. «Lenny est un non-verbal. J’ai beau essayer de lui parler, il ne comprend pas. Chaque matin, il prend ses affaires pour l’école et les pose devant moi pour me faire comprendre que c’est l’heure de l’emmener à l’école. En pleine nuit, il essaie de défoncer la porte pour sortir. Je suis totalement épuisée. Des fois, je m’assois et je fonds en larmes parce que je ne sais plus quoi faire pour le calmer.»
La situation est d’autant plus difficile pour Samantha et Lenny car ils vivent seuls. La maman ne peut même pas laisser son fils pour aller faire les courses, par exemple. «Je dois me débrouiller comme je peux avec les moyens du bord. Le laisser à la maison et aller faire des courses pendant des heures, ce n’est pas envisageable pour moi.» Souvent dépassée par la situation, Samantha Boodhun s’accroche tout de même aux petites victoires de ce confinement dont une qui lui fait particulièrement plaisir. «Lenny a toujours mis des couches. Au début du confinement, je me suis dit que c’était le moment d’essayer de s’en débarrasser et ça a marché. Lenny n’en a pas porté une seule depuis.» En attendant la fin du confinement, Samantha, tout comme Manuella et les autres, espère que les autorités entendront sa détresse et lui permettront de bénéficier d’une dérogation.
Des demandes ont été faites au ministère de la Santé pour permettre aux autistes d’obtenir un laissez-passer. Pour le moment, Géraldine Aliphon, directrice et fondatrice d’Autisme Maurice, est toujours en attente d’une réponse. Pourtant, les parents n’ont besoin que de 30 minutes par jour pour faire sortir leurs enfants. Selon Géraldine Aliphon, l’enfermement a de nombreuses conséquences sur ces derniers. «Le quotidien se passe plus ou moins bien pour certains, très mal pour d'autres. Tout dépend du degré de leur autisme. En général, les autistes sont très ancrés dans leur routine, ce qui fait qu’ils ne comprennent pas que soudain, ils ne peuvent plus aller à l’école, par exemple. L'enfant autiste non-verbal n'arrive pas à exprimer ses ressentis et peut devenir angoissé ou agressif.»
Dans ce moment difficile, l’association Autisme Maurice essaie de tout faire pour soutenir les familles. Par exemple, des supports visuels pour expliquer la situation aux enfants sont mis à leur disposition. Pour les parents qui sont au bout du rouleau, il y a un service d’écoute comprenant des éducateurs, des psychologues et des ergothérapeutes. «Les éducateurs ont préparé des schémas journaliers individuels qui ont été remis aux parents. Bien sûr, la maison, ce n'est pas une école, et il faut laisser la place à la détente et ne pas mettre l'enfant sous pression. Nous préconisons des exercices d'apprentissage de l'autonomie comme aller aux toilettes, le brossage des dents, l’habillage, la vaisselle, entre autres.»
Cette dérogation serait une planche de salut pour ces familles. «La plupart des autistes sont hyperactifs et cette sédentarité forcée, surtout s'ils vivent dans un milieu où il y a la promiscuité, peut les amener à devenir agressifs envers les parents ou la fratrie. C’est une situation vraiment difficile pour les parents qui se retrouvent démunis», lance Géraldine Aliphon qui espère de tout cœur que son appel sera entendu.
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