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Calendrier scolaire perturbé : défis et alternatives face au changement climatique

6 février 2024

Des enfants qui se rendent à l’école seulement deux fois la semaine en raison du mauvais temps. Des parents qui sont forcés de trouver des solutions pour faire garder les petits ou les assister lors des cours en ligne. Un retard scolaire qui s’accumule et des répercussions incontestables sur l’apprentissage des étudiants. C’est une réalité qui interpelle et qui inquiète depuis le début de l’année, si ce n’est même depuis l’année dernière où le même problème s’était posé.

 

En effet, avec le passage de Belal et de Candice et les fortes pluies, la scolarité des enfants a été interrompue de manière régulière. Une situation qui a remis sur le tapis le débat autour de la question : faut-il repousser le calendrier scolaire ou pas ? Si certains avancent qu’il serait judicieux de renvoyer la rentrée pour février et d’étendre ainsi le calendrier jusqu’à fin novembre ou mi-décembre pour rattraper le retard accumulé en ce début d’année, d’autres plaident pour un système éducatif en ligne plus efficace.

 

C’est le plaidoyer notamment d’Arvind Bhojun, président de l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE) qui met en lumière les différentes lacunes du ministère de l’Éducation qui, selon lui, a du mal à anticiper ces situations et à trouver des alternatives afin que les enfants ne soient pas pénalisés. Blâmer les enseignants dans une telle situation est inacceptable, lance-t-il. «On vient vous dire que ce sont les profs qui sont en train de faillir dans leur tâche alors qu’on nous impose un système que le ministère est lui-même incapable de suivre. Nous sommes en février et on n’a pas de professeurs dans plusieurs matières. Le matériel scolaire manque aussi à l’appel alors que les enfants sont partis en vacances depuis début novembre. En ce moment, à cause du temps, il n’y a souvent pas d’école. On vous dit de travailler en ligne alors que ça n’existe pas. Dans la pratique, c’est très compliqué, car nous n’avons pas tous les mêmes équipements, la même connexion et la même formation alors que l’éducation doit être égale pour tout le monde. De plus, on nous dit de travailler en ligne et après, on doit remplacer pendant les vacances et refaire ce qui a été fait en ligne. Ce n’est pas logique.»

 

Repousser la rentrée, avance-t-il, n’est pas possible. «Nous avons déjà essayé de changer. Rappelez-vous après la Covid-19. L’école avait commencé plus tard, mais après, ils sont revenus à l’ancien système. Ce qu’il faut comprendre, c’est que Cambridge ne va pas nous attendre avec les examens. En plus, tenir les classes en décembre sera difficile pour les enfants car il fait trop chaud et que nos classes ne sont pas climatisées. Ils seront fatigués au bout d’une période et leur concentration sera affectée.»

 

Aujourd’hui, poursuit notre interlocuteur, il y a plusieurs facteurs à prendre en considération. «Il y a les profs, le manque de matériel scolaire, le manque de planification par rapport aux intempéries qui sont régulières, les conditions imposées de cinq credits pour pouvoir continuer avec le A-level.» Les mauvaises décisions prises au ministère, estime-t-il, sont en train de mettre en péril l’éducation des enfants et le système éducatif du pays. «On vous parle de réforme quand le système est discriminatoire. On vous propose un système pour les meilleurs, mais regardez le résultat. Beaucoup de faillite et de dropout. Des élèves du mainstream sont nombreux à avoir échoué, les résultats de l’extended stream sont catastrophiques. La qualité de l’éducation est en déclin total.»

 

Apprentissage en ligne

 

Où est la résilience du système éducatif ? Comment les enfants peuvent-ils continuer à apprendre ? Ce sont les questions que se pose Arvind Bhojun qui estime qu’il est crucial que le ministère de l’Éducation mette en place un système d’apprentissage en ligne concret et efficace. «Nous devons pouvoir faire en sorte que ça marche parce qu'en ce moment, c'est inexistant. Nous n'avons qu’à prendre l’expertise de l’Open University, par exemple, où ça marche très bien. Les écoles privées ont aussi su mettre en place un système qui fonctionne et les enfants ne sont pas pénalisés, alors pourquoi pas nous ?»

 

Au milieu de tout ça, les parents se sentent souvent dépassés avec une inquiétude grandissante face à la scolarité de leurs enfants. Nombreux sont ceux qui sont montés au créneau pour réclamer que des solutions soient trouvées au plus vite. Pour Saffiyah Chady Edoo, citoyenne engagée et mère de famille, c’est à nous de nous adapter au changement climatique. «Nous ne pouvons pas “sit tight and hope for the best”. Il est impératif de penser aux solutions d’adaptation. Les enseignants disent que les coupures impactent leur calendrier de travail et qu'ils doivent subséquemment “rush” à travers certains chapitres, car surtout pour les examens de Cambridge, il y a un délai fixe à respecter, ce qui fait que si l’enfant a des difficultés avec une certaine section, il ne pourra l'assimiler comme il le faut.» Pour elle, si changer le calendrier scolaire est une possibilité, mettre en place un système d’online schooling fiable est plus plausible. «Je ne pense pas que ce soit la mer à boire considérant que les écoles privées ont déjà adopté cela depuis 2020. Le ministère gagnerait à collaborer avec les écoles privées s’il se trouve à court d’expertise pour mettre en place un tel système. D’ailleurs, il est déplorable qu’un tel ministère, aussi important, n’ait pas songé à travailler avec le ministère des TIC jusqu’à maintenant pour mettre un tel système en place.»

 

En effet, de nombreuses écoles privées ont su mettre en place un système de homeschooling qui prend immédiatement le relais dès que la décision de fermer les écoles est prise. Parmi ces établissements, il y a Dukesbridge, qui a su embarquer ses élèves dans cette nouvelle routine, explique Rishi Nursimulu, le directeur. «Même si elle n’est pas parfaite à 100 %, elle aide certainement nos élèves à poursuivre leur apprentissage. Nous avons de toute façon prévu quelques jours de rattrapage dans le calendrier de notre premier mandat pour combler toute lacune.» Repousser la rentrée pour le mois de février, dit-il, n’est pas forcément la bonne décision : «Un aspect clé du changement climatique est son imprévisibilité. Les années passées ne constituent pas un indicateur du calendrier des catastrophes futures. Les gens oublient que les inondations les plus meurtrières jamais survenues à Maurice ont eu lieu fin mars et pas en janvier ! Savons-nous s’il n’y aura pas de fortes pluies ou de gros cyclones en février ou en mars à l’avenir ? Si le modèle des fortes précipitations change encore, allons-nous une fois encore modifier le calendrier scolaire ?»

 

De ce fait, repousser la rentrée, estime Rishi Nursimulu, ne résoudra pas le problème en soit. «Le changement climatique est là et nous devons accepter l’incertitude et trouver des moyens de nous adapter. Nous ne pouvons pas passer en mode panique à chaque fois qu’il pleut abondamment. Ce n’est pas durable et nos enfants sont pénalisés. En cas d’inondation, ce ne sera pas partout et de toute façon, l’eau s’évacue généralement en quelques heures. Donc, si nous pouvons surmonter l’exagération et le sensationnalisme et trouver des moyens de garantir la sécurité des enfants à l’interieur des écoles jusqu’à ce que l’eau se retire, cela pourrait être une solution plus sensée et plus durable plutôt que de changer les calendriers sur la base de pures conjectures et de conditions météorologiques incohérentes.»

 

Bhawma Atmaram, citoyenne engagée et enseignante, abonde dans le même. Pour elle, cela ne ferait qu'aggraver le problème. «Cela va entraver le calendrier des examens du SC et du HSC, qui sont fixés bien à l'avance par Cambridge. Ensuite, la suppression des vacances scolaires, qui sont essentielles pour le repos et la récupération, impactera négativement sur l’état mental et physique des étudiants et les enseignants, qui seront poussés à leur limite, pouvant ainsi occasionner des burnouts.»

 

En attendant de trouver des solutions concrètes, toutes ces coupures, dit-elle, ne sont pas sans conséquences : «Il ne fait aucun doute que toutes ces coupures impacteront négativement sur l’élan et le dynamisme qui sont essentiels pour démarrer une nouvelle année scolaire. L’interaction entre les enseignants et les étudiants étant réduit à un minimum, tout le système éducatif en souffrira. Cette situation incertaine créera une démotivation, voire même une frustration, auprès de tout un chacun.» Selon l'enseignante il est important de tirer des leçons du passé : «Si certains collèges privés, qui disposent de moyens conséquents, ont pu minimiser l’impact de ces coupures, la réalité est tout à fait autre dans les collèges publics, où très peu d’étudiants disposent d’un PC. Il faudra songer à créer des applications pour téléphone portable, et organiser plus d’appels en groupe.»

 

De nos jours, souligne Suttyhudeo Tengur, enseignant et syndicaliste, composer avec les aléas du temps tout en s’assurant de la sécurité des enfants est une nécessité. Pour lui, la balle est dans le camp du ministère de l’éducation. «Il appartient au ministère de mettre en œuvre ses plans pour assurer une éducation continue malgré les jours de congé forcé. On parle beaucoup de rattrapage en ce moment. Dans ce cas, il faut s’assurer que les enfants disposent des moyens nécessaires pour rattraper ce temps perdu qui a définitivement des conséquences sur leur éducation.»

 

Pour lui, il n’y a pas 36 000 solutions. «Soit le ministère augmente les heures de classes par au moins une demi-heure par jour ou étend la durée des termes. Par-dessus tout, il faut voir quel sera l’impact à travers les cours par le biais de la télévision.» Cependant, pour Suttyhudeo Tengur, l’effort doit aussi venir des étudiants qui doivent aussi donner d’eux-mêmes pour rattraper le temps perdu. 

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