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Chef inspectrice Sylvia Rajiah : «Il y a eu des améliorations au niveau de la police»

9 mars 2020

Comment fonctionne un Protection Order ? Quelles sont les procédures pour l’obtenir ? Dans quels cas est-il accordé à un plaignant ?

 

Toutes les victimes de violences domestiques y sont éligibles ; principalement celles qui subissent la violence physique. La victime est appelée à faire une déclaration formelle au poste de police de sa localité avant qu’elle ne soit prise en charge par un officier de la Police Family Protection Unit pour une entrevue approfondie, pour ainsi préparer son affidavit avant sa comparution en cour. Dépendant du cas, cela peut durer jusqu’à deux semaines. Le laps de temps peut aussi être étendu si son bourreau ne reconnaît pas ses torts ou s’il demande des excuses pour son geste. Entre-temps, la police fait en sorte d’accompagner la victime jusqu’à l’obtention de son Protection Order. Cet ordre peut durer jusqu’à deux ans maximum, dépendant de la gravité du cas. Un ordre verbal et écrit est donné au bourreau.

 

Dans bon nombre de cas de féminicides, les victimes n’ont pas été protégées, bien qu’elles détenaient un Protection Order. Comment celui-ci est-il censé protéger une victime de violences domestiques, surtout lorsqu’elle vit toujours sous le même toit que son bourreau ?

 

Le Protection Order a fait ses preuves. Il existait ailleurs avant d’être introduit à Maurice. Mais il nous est difficile de contrôler ce qui se passe entre quatre murs. Une application pour un Protection Order ne changera pas pour autant le comportement de l'agresseur vu qu’il ne fera que lui donner un ordre, au risque d’être arrêté – car tout Breach of Protection Order conduit à une arrestation. Il nous est impossible de placer un officier de police dans chaque foyer. Mais vu que la victime est celle qui connaît le mieux son agresseur, elle doit savoir comment se défendre au mieux – trouver refuge quelque part, se protéger, être toujours accompagnée, entre autres. Le Protection Order n’agit pas comme un bouclier ; il est là pour imposer une restriction à la violence ou aux situations présentées par la victime à la cour. 

 

Un suivi particulier est-il accordé au bourreau lorsque des plaintes sont effectuées ?

 

La cour peut conseiller un counselling au bourreau, comme il est indiqué dans la législation, mais jusqu’à présent rien ne lui est imposé. Le ministère de Gender Equality a un programme pour eux. Mais il est important de se poser la question : comment cela se passerait si on obligeait un individu à faire quelque chose contre son gré ? Quand une personne est malade et le reconnaît, elle se fait soigner, mais si elle ne le reconnaît pas, cela ne sert à rien. Il faut que l'individu reconnaisse qu’il a un problème pour se soumettre à un counselling et que celui-ci soit efficace. 

 

Est-ce que le fonctionnement du Protection Order est suffisamment efficace ou est-ce la manière d’appliquer les lois le concernant qui ne l’est pas ?

 

Le problème, c’est que le monde évolue – l’avènement de la technologie, les mœurs qui changent, les valeurs qui disparaissent – et il faut toujours tout revoir. Cela ne veut pas dire que le système a failli. Le gouvernement fait de son mieux pour améliorer la situation. Nous ne pouvons pas dire qu’il n’y a pas de défaillances mais nous faisons de notre mieux pour satisfaire le public et répondre à ses attentes. Les services vont continuer de s’améliorer mais si la source du problème n’est pas traitée, il y aura toujours des cas de féminicides. Renforcer les lois n’en viendra pas à bout.

 

Comment peut-on améliorer la situation ?

 

Le problème est plus profond que tout ce qu’on voit de superficiel. C’est bien d’organiser des manifestations ou des marches pacifiques lorsqu’il y a une victime, mais que se passe-t-il ensuite ? Qui prend en charge les enfants traumatisés ? Il faut que les Mauriciens revoient un peu les valeurs familiales et sachent les transmettre. La mauvaise gestion de la colère est la racine de tous les maux. Il faut revoir le rôle de chacun au sein d’une famille. La police et le gouvernement sont des institutions, mais la famille l’est aussi. Les services et les lois s’améliorent ; ils sont constamment revus. On ne peut pas tout rejeter sur la législation. Il faut revoir le fonctionnement de la famille, et ce n’est pas le rôle de la police, du gouvernement ou du ministère de l’Égalité du genre. Il s’agit du rôle de tout un chacun. 

 

Plusieurs victimes de violence domestique se sont plaintes car les policiers ne les prenaient pas en considération ou ne réagissaient pas assez rapidement lorsqu’elles se sont retrouvées en danger. N’y a-t-il pas une «banalisation» de la violence lorsqu’il s’agit de problèmes familiaux ? Y a-t-il un dysfonctionnement dans la police au niveau de l’écoute ? 

 

Une formation est donnée aux policiers pour prendre au sérieux chaque cas rapporté. Demander à une victime de rentrer chez elle et d’essayer d’arranger les choses sous prétexte qu’il s’agit de son compagnon ne doit plus se faire car nous ne savons pas ce que vit la plaignante et le courage que cela lui a demandé de venir consigner une déposition contre quelqu’un avec qui elle a des affinités. Si un officier de police ne répond pas aux attentes d’une plaignante, il faut le rapporter. 

 

Il y a une vingtaine d’années, les femmes n’étaient pas bien prises en charge dans les postes de police lorsque des cas de violence domestique survenaient, mais graduellement, il y a eu une amélioration dans la manière dont nous les gérons. Dans la formation actuelle, nous demandons aux policiers de ne «banaliser» aucun cas car chaque vie a de la valeur. Bien entendu, dans chaque poste de police, les officiers ne sont pas amenés à traiter uniquement les cas de violences domestiques ; mais nous essayons de donner suffisamment d’attention à ces victimes même si, par moments, il faut faire appel aux autres unités pour la prise en charge de ce genre de cas. D’autant qu’elles nécessitent une prise en charge rapide. 

 

Parfois, il nous est aussi difficile d’identifier une victime, comme tel a été le cas pour la défunte Stéphanie Ménès, qui avait uniquement rapporté les cas d’agression contre ses enfants en omettant de parler du sien. Les cas de violence domestique sont souvent bien complexes car les sentiments entrent en jeu.

 

Les policiers sont-ils suffisamment bien formés pour gérer ces cas ?

 

Des formations sont désormais données aux policiers alors qu’auparavant, ce n’était pas le cas. En 2016, le National Coalition Against Domestic Violence Committee a bousculé le système dans tous les secteurs, y compris la police, et lui a permis d’identifier ses faiblesses. La police n’est pas restée les bras croisés et a travaillé sur un module en bonne et due forme avec tous les aspects de la violence – causes, effets ou victimologie, entre autres – pour lui permettre de mieux comprendre la globalité de la situation au lieu de se concentrer uniquement sur la législation. Depuis, une formation est donnée aux aspirants policiers de la Police Training School et chaque année, 250-300 policiers quittent les postes de police le temps d’une formation dans ce contexte. 

 

Depuis plusieurs semaines, beaucoup de cas de violence domestique rapportés impliquaient des policiers bourreaux. Comment une victime peut-elle espérer être protégée si ceux censés les aider ne respectent pas les lois eux-mêmes ?

 

Nous mettons beaucoup d’accent sur la confidentialité. Dans les cas où les épouses de policiers sont elles-mêmes des victimes, on leur fait comprendre qu’elles subissent une violence qu’elles ne méritent pas non plus. Tous les cas sont pris en considération de la même manière. Il y a toujours des brebis galeuses, mais il faut les dénoncer. Si un Protection Order est émis et que le policier ne le respecte pas, il est arrêté au même titre que n’importe quel individu. 

 

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