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6 juillet 2015 16:09
18h30, mercredi 1er juillet à Cité Anoska. Il fait déjà nuit et le froid de l’hiver, assez rude dans cette partie de l’île en ce moment, pénètre la peau. Pourtant, des enfants, pour la plupart des petits garçons, arpentent les rues. Presque tous sont pieds nus et ne portent pas de vêtements chauds. Le plus chanceux d’entre eux fait le va-et-vient sur une vieille bicyclette tandis que ses petits camarades le regardent avec envie. Quelques-uns se mettent à courir dans tous les sens et s’amusent sans réelle surveillance. Un petit d’environ 3 ans, en pleurs, cherche son papa parti à la boutique du coin.
Au bout de quelques minutes, seuls certains enfants sont rappelés par leurs parents. «Je garde toujours un œil sur mon fils. Surtout depuis que la petite Edouarda a été tuée. Car il se pourrait que le coupable soit toujours parmi nous», confie une maman, accompagnée de trois autres femmes, debout à l’entrée de la cité. Mais au fil de la conversation, on comprend mieux la raison de leur présence dans la rue à ce moment précis. «Ti fek ena lager la. Nou pe gete ki pe arive», lance une des autres dames.
Qu’en est-il de la sécurité des enfants ? «Nou espere nanie pa ariv zot», répond notre interlocutrice. L’insouciance s’est-elle déjà réinstallée dans la cité, trois mois après la disparition de la petite Edouarda Gentil, 11 ans, le 5 avril, et la découverte de son corps dix jours plus tard à quelques kilomètres de là dans une forêt ? Nous allons chercher la réponse auprès de Mirella Gentil, la mère de la victime qui, elle, ne perd pas des yeux ses trois enfants âgés de 3, 13 et 15 ans.
«Personne n’a oublié ce qui s’est passé. On vit tous avec la peur au ventre. Les parents surveillent davantage leurs enfants», dit-elle. Et qui se préoccupe de ceux qui sont livrés à eux-mêmes ? Mirella Gentil répond par un haussement d’épaules. Elle ne peut pas répondre pour les autres, empêtrée dans son propre malheur. Car depuis la disparition tragique de sa fille, il ne se passe pas un jour sans qu’elle ne soit tourmentée par ce drame qui hantera sa vie à jamais.
«Parfois, j’ai l’impression que je vais la voir devant moi. Son absence m’est insupportable. Et je ne sais pas ce qui se passe avec l’enquête policière. A-t-on arrêté le vrai coupable ou est-il toujours parmi nous ?» se demande-t-elle les larmes aux yeux. Sa vie s’est en quelque sorte arrêtée depuis la découverte du corps sans vie de son petit rayon de soleil. «Je n’ai toujours pas repris le travail. Je n’y arrive pas. Mes parents m’aident financièrement car je ne touche aucune aide sociale pour mes trois autres enfants même si j’en ai fait la demande.» Mais ce problème sera peut-être solutionné dans les jours prochains car elle a été convoquée au ministère de la Sécurité sociale qui examine actuellement son dossier.
Mirella reconnaît aussi que les autorités accordent plus d’attention à la Cité Anoska depuis la mort d’Edouarda. Par exemple, en face de sa bicoque en tôle, un espace vert est en train de voir le jour. Et des poubelles ont été installées dans tout le quartier. Des initiatives qui sont toutefois loin de satisfaire les habitants qui rêvent de voir de vrais projets de développement sortir de terre. «Ce n’est pas l’installation de quelques poubelles qui vont changer nos vies. Nos enfants ont besoin de loisirs et d’espaces sécurisés pour s’épanouir. On nous a promis de vrais développements après ce drame mais on ne voit rien venir», se révolte une mère de deux enfants.
Une ONG au chevet de la cité
Nous nous dirigeons vers le jardin d’enfants. Lors de notre dernière visite, il y a presque un mois, le lieu faisait peine à voir. Cette fois, nous constatons une amélioration. Des balançoires neuves et d’autres équipements embellissent les lieux alors que des clôtures sont en train d’être posées. Mais l’endroit, où traînent pas mal d’ordures, mérite un bon coup de balai et le gazon doit être tondu.
Juste à coté, il y a le Learning Centre. Son responsable nous apprend que le centre accueille les enfants de la cité trois fois par semaine, les lundis, mardis et mercredis de 16 heures à 18 heures. Dans la salle, quatre ordinateurs ainsi que des coins joliment aménagés pour des cours d’alphabétisation attendent les petits.
Jeudi 2 juillet, 15h45. Retour à Cité Anoska. Les rues sont presque désertes. En chemin, nous croisons Patricia Toussaint, l’épouse de Stéphane Toussaint, Private Parliament Secretary et député de la circonscription Curepipe/Midlands. Depuis la mort d’Edouarda, elle s’est personnellement engagée dans la cité. «Je suis ici tous les jeudis. J’aide l’association Ti Rayons Soleil au mieux de mes possibilités. On encadre les petits à travers des activités extrascolaires comme la danse, le théâtre. Dorénavant, les parents s’occupent mieux de leurs enfants. Mais il y a inévitablement un moment où ces derniers sont livrés à eux-mêmes. Il faut avant tout s’attaquer à l’éducation des parents pour que les choses bougent. Certaines familles qui veulent vivre mieux acceptent d’être encadrées. Mais il y en a d’autres qui refusent toute aide.»
Selon Francine Félicianne, de l’association Ti Rayons Soleil, 25 enfants de Cité Anoska participent régulièrement aux activités proposées par cette association. «On fait du rattrapage scolaire ainsi que des activités extrascolaires. Lorsque les enfants arrivent, on leur sert un petit goûter, offert par nos sponsors. Tous ces petits de la cité sont des enfants très attachants, très doués aussi. Comme Edoaurda qu’on n’oubliera jamais.» Si l’association Ti Rayons Soleil s’occupe principalement des enfants, elle a aussi œuvré auprès des adultes. Particulièrement les femmes, à travers un projet intitulé Women of Values. «On leur a appris à se prendre en main en les encourageant à lancer des petits business pour devenir financièrement indépendantes. Mais il y a encore un long chemin à faire.»
En attendant que les choses aillent vraiment mieux dans le quartier, que tous les habitants, les associations et les autorités travaillent ensemble pour en faire un lieu où il fait bon vivre, Cité Anoska continue à vivre entre espoir et désillusion.
Dans le cadre de l’enquête sur la mort d’Edouarda Gentil, des prélèvements d’ADN ont été faits sur une dizaine de personnes. Trois mois plus tard, les résultats n’ont toujours pas été communiqués. Quant à Arnaud Boudram, le seul suspect arrêté dans cette affaire, il demeure en détention policière et clame toujours son innocence.
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