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25 janvier 2016 03:55
Ce matin, sa petite fille est morte dans ses bras. Le choc a été brutal, violent. Elle a eu la sensation qu’on lui arrachait le cœur et les entrailles. Depuis, ce sentiment qu’elle a perdu une partie d’elle-même ne la quitte plus. Assise dans son salon, Dorine Lecerf n’arrive pas à croire à ce terrible coup du sort qui s’abat sur elle. Vendredi matin, Clara, encore au lit, appelle à l’aide. En entendant ses cris, sa mère accourt : «Elle était fiévreuse et elle avait du mal à respirer. Elle était très agitée. Je faisais tout pour la calmer, mais ça ne marchait pas, elle s’étouffait. Et puis, d’un coup, elle s’est arrêtée de respirer.»Affolée, Dorine essaie de la réveiller mais Clara ne répond plus. Lorsque les secours arrivent, il est trop tard. Clara, 16 ans, a rendu son dernier souffle. Un adieu cinglant, incompréhensible. Impossible.
Dorine reste figée au milieu de l’agitation autour d’elle. À ceux qui l’enlacent pour lui présenter leurs sympathies, elle tend sa joue comme une automate. Ses yeux fixent la photo de son petit ange qui a été posée sur une table à côté des bougies et des fleurs. C’est le regard intense, triste et bouleversant d’une mère qui vient de perdre son enfant. Sur ce portrait, Clara sourit, posant comme un top-modèle, ce qu’elle adorait faire, les yeux pétillant de bonheur. Les images se bousculent alors dans la tête de Dorine qui revoit sa fille, son rayon de soleil. Les émotions lui viennent en rafale et la secouent avec violence. Pourquoi sa Clara, qui était si jeune et qui avait toute la vie devant elle ? Pourquoi elle, alors qu’elle a surmonté jusqu’ici tant d’épreuves ? Mais les questions restent sans réponses et les larmes ruissellent sur ses joues. Jamais elle n’a imaginé que cette saleté de nouveau cancer détecté il y a quelques mois lui arracherait son bébé.
En octobre dernier, après de fortes douleurs à l’estomac, Dorine se rend à La Réunion avec sa fille pour que celle-ci puisse passer des examens médicaux. La nouvelle tombe, implacable et cruelle. Clara qui, enfant, avait lutté contre un cancer de l’os et qui avait dû se faire amputer de la jambe droite pour survivre, apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur au poumon. Une onde de choc la traverse mais, comme à son habitude, elle reste forte et digne face à l’adversité.
Dorine, elle, se souvient avoir craqué. Impossible de contenir ses larmes et son chagrin devant cette nouvelle épreuve qui se présentait devant Clara. Mais au lieu de baisser les bras, se rappelle-t-elle, sa fille l’avait réconfortée : «Elle m’a demandé de ne pas m’inquiéter et me disait que tout allait bien se passer, qu’elle allait s’en sortir comme la première fois, qu’elle ne se souciait pas de ce que disait le médecin et qu’elle n’allait pas arrêter de vivre.» Elle était comme ça Clara, se souvient Dorine. Elle était malade et c’est elle qui donnait de la force et du courage à son entourage.
Lorsque le médecin lui annonce qu’elle est trop fragile pour subir la chimiothérapie et qu’elle devra d’abord se livrer à un traitement médicamenteux, Clara se promet de continuer à vivre sa vie normalement. «Elle ne voulait pas laisser la maladie prendre le dessus. Elle continuait à sortir, à faire du sport. Elle voulait vivre plus que tout», confie sa maman. C’est comme ça que les choses devaient se passer. Elle devait continuer à vivre et non partir à la fleur de l’âge alors qu’elle avait devant elle tout son avenir, tant de rêves et de projets.
Lors de notre première rencontre avec elle en 2011 pour un appel à l’aide, Clara n’est encore qu’une toute petite fille qui lutte contre un ostéosarcome, une tumeur maligne de l’os, qui a attaqué sa jambe droite. Après deux opérations chirurgicales à Maurice, elle doit se rendre en Inde où le diagnostic est confirmé. Ses parents Patrick et Dorine se démènent pour récolter le maximum de fonds afin de payer les nombreux soins. Le traitement est lourd, la chimiothérapie difficile à surmonter. Elle perd du poids, est secouée de nausées et perd ses cheveux. Le retour à Maurice sera de courte durée. Peu de temps après, son cas s’aggrave et elle est contrainte de se rendre une fois de plus en Inde.
Le diagnostic est sans appel : l’amputation est le seul recours pour qu’elle puisse continuer à vivre. Face au choc, Clara ne se démonte pas. «Elle a toujours été très forte et courageuse, ne s’enfermait pas dans sa souffrance. Elle mettait de la joie dans nos vies», confie Carine. Le moment est difficile pour l’enfant qu’elle est mais elle s’arme de sa rage de vivre et de sa détermination. Des qualités qui la caractérisent si bien, selon ses proches. «Elle aimait prier. Elle me donnait du courage», lâche Dorine. Bien sûr, c’est loin d’avoir été facile. Une fois à Maurice, Clara se déplace difficilement à l’aide de béquilles en attendant que sa plaie cicatrise et qu’elle puisse mettre une prothèse. Elle s’accroche, loin de se douter qu’une incroyable rencontre va bientôt changer sa vie.
En effet, peu de temps après, une voisine, employée comme baby-sitter dans un hôtel, fait la rencontre du Français Robert Pirès, ancien joueur international de football, et de son épouse Jessica. Elle leur parle de Clara. Profondément touché par son histoire, le couple décide de rencontrer la petite. Entre eux, l’alchimie se fait immédiatement. Touchés par le combat qu’elle mène, les Pirès décident de lui venir en aide en prenant en charge tous les frais de ses soins futurs. Au fil des mois, Jessica et Robert Pirès deviennent ses anges gardiens. Elle se rend à deux reprises à l’île de La Réunion pour des examens médicaux et se faire poser une prothèse. Inspiré par l’histoire de leur petite protégée, le célèbre couple décide de s’engager auprès des enfants malades de l’océan Indien. Ils créent une association qu’ils nomment Le Rêve de Clara.
Car oui, Clara a un rêve, celui de devenir une sportive professionnelle. Le sport, elle adore ça. Grâce à sa passion et à sa nouvelle prothèse, elle réapprend à aimer la vie. Elle reprend l’école, se fait de nombreux amis, fait des sorties entre filles avec ses deux sœurs Carine et Caren, qu’elle ne quitte jamais. «On partageait tout ensemble. C’était ma petite sœur. Elle aimait tellement rire, faire des blagues. Elle nous apportait tellement de joie. Elle m’accompagnait toujours où que j’aille»,se souvient Caren. En grandissant, Clara devient une adolescente resplendissante et épanouie. Même avec une jambe en moins, elle décide de vivre pleinement. Comme toutes les jeunes filles de son âge, elle aime la mode, le shopping, les photos, inonde sa page Facebookde selfies. «Elle aimait poser comme les mannequins, défiler, faire des photos. Elle adorait ça», confie Dorine.
En septembre 2013, elle s’envole une première fois pour la France où elle est attendue par les Pirès. Ils l’ont inscrite au Centre de Soins de Suite et de Réadaptation de l’hôpital de Berck où elle se livre à des séances de rééducation et d’entraînement. Elle se lie d’amitié avec Séraphine, une jeune Malgache qui a perdu une jambe suite à une attaque de caïman. Elles visitent la Tour Eiffel. Clara en a des étoiles plein les yeux. Elle rencontre de nombreuses stars telles que l’humoriste Malik Bentalha, le chanteur Grégoire et Maître Gims qui lui offre même sa casquette. Mais aussi Laurent Blanc, Sylvain Wiltord et Rio Mavuba lors d’un match de foot organisé par l’association pour récolter des fonds. C’est elle qui donne le premier coup de sifflet.
Le 9 mai 2014, elle se rend une fois de plus à Berck où elle se prépare à participer à une course de 800 mètres. Elle y découvre sa nouvelle prothèse spécialement faite pour l’athlétisme. Il s’agit d’un dispositif artificiel qui a pour but de remplacer une partie anatomique de l’organisme qu’on appelle la lame. Elle est la première à franchir la ligne d’arrivée. Sa joie est immense. Pour sa famille et les Pirès, c’est la fierté, l’admiration. «Je me considère comme une personne normale. J’ai une jambe en moins, mais je ne fais pas de différence avec les autres», nous dit-elle lorsqu’on la rencontre à son retour à Maurice.
Elle a alors des rêves plein la tête, dont celui de devenir une professionnelle de l’handisport. Clara commence alors les entraînements. L’adolescente se concentre aussi sur ses études, car elle y tient. Elle était d’ailleurs très heureuse de reprendre l’école en ce début d’année. La première semaine à son collège, Rajkumar Gujadhur SSS, s’est bien passée. Malgré la maladie, Clara n’a rien voulu changer à son quotidien, mais la semaine dernière, sa santé s’est dégradée, raconte Dorine, secouée de sanglots : «Elle n’a pas pu partir à l’école. Elle avait des douleurs, mais il n’y avait rien qu’on puisse faire à part continuer son traitement. Comment imaginer qu’elle allait partir comme ça ? On aurait dit qu’elle dormait dans mes bras.»
Les derniers adieux à Clara ont été très éprouvants pour sa famille, ses amis et tous ceux qui la soutenaient. Mais lors de ses funérailles, hier matin, ce ne sont pas les épreuves, la souffrance, le destin qu’elle a dû affronter qui revenaient en mémoire de ceux présents. Au contraire. C’est son sourire, sa force, sa détermination à réaliser ses rêves, à mener une vie comme les autres, à vouloir vivre tout simplement qu’ils avaient tous en tête alors que Clara prenait son dernier envol…
Depuis l’annonce de la nouvelle du décès de Clara, sa page Facebookest inondée d’hommages venant de proches, d’amis, de connaissances ou de simples anonymes qui ont tenu à lui rendre un dernier hommage. Tous se souviennent d’une jeune fille dont le courage, la force et la joie de vivre étaient inégalables et dont le sourire mettait du baume au cœur. Parmi les centaines de messages, on retrouve celui d’une amie, Noémi Alphonse, athlète handisportive avec qui elle s’entraînait pour la course en fauteuil. «Je suis triste d’apprendre cette mauvaise nouvelle. Clara, j’ai été ravie de faire ta connaissance. Nos fous rires aux entraînements, nos accidents en fauteuil sur la piste, ta bonne humeur et ton sourire vont me manquer. Tu resteras à jamais gravée dans notre cœur», a-t-elle écrit sur le mur de sa copine. Leur entraîneur, Jean Marie Bhugeerathee, gardera lui aussi les bons souvenirs en mémoire : «Clara, j’ai été très fier d’être ton coach. Merci d’avoir toujours apporté ta bonne humeur et ton joli sourire aux entraînements. Tu seras toujours présente parmi nous et dans nos cœurs.»
En quatre ans, le lien entre les Pirès et Clara Lecerf était devenu extrêmement fort et intense. L’annonce de la mort de la jeune fille a eu l’effet d’une bombe pour Jessica et Robert Pirès, l’ancien footballeur français. «C’est extrêmement triste. Elle avait ce courage, cette joie de vivre. Elle était très forte. Elle nous donnait tous les jours une leçon de vie», nous confie Jessica Pirès qui a du mal à cacher son émotion. «Clara était comme une sœur pour moi.»Un voyage à Londres était même prévu mais, malade, Clara n’avait pas pu faire le déplacement : «Elle devait venir passer deux semaines avec sa maman, mais elle n’en a pas eu le temp.»
Lorsqu’ils la rencontrent pour la première fois en 2012, Robert Pirès et son épouse Jessica, mannequin, sont touchés en plein cœur par cette petite jeune fille qui, malgré une amputation, continue de sourire à la vie. Le courant entre eux passe immédiatement dès leur première rencontre qui a lieu chez les Lecerf, à Flacq. C’est là que le couple se décide à prendre la jeune Mauricienne sous son aile et à financer tous les soins dont elle aura besoin. C’est grâce à eux que Clara voyage, bénéficie de divers soins et de prothèses.
Inspirée par son combat et son envie de vivre, Jessica Pirès lance alors Le Rêve de Clara : «En voulant l’aider, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup à faire dans la région, d’où le nom de l’association. Depuis, elle est venue deux fois en France pour sa rééducation, récupérer ses prothèses et sa lame, car elle aimerait faire du sport», nous expliquait la fondatrice de l’association à cette époque. Clara devient alors la petite protégée du couple Pirès. Ils sont souvent en contact et quand ce ne sont pas eux qui sont en vacances à Maurice, c’est elle qui va les rejoindre en France. Jessica suit son parcours avec attention à l’hôpital Berck-sur-Mer où la jeune fille est prise en charge. Lorsqu’elles sont ensemble, Jessica et Clara ne se quittent pas. L’adolescente était même à ses côtés lors d’une interview surFrance 3 au centre de Berck.
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