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Incendies en Australie | Le Mauricien Eric Mootoosamy : «La situation devenait critique car nous étions coupés du monde»

Eric et sa famille ont vécu une triste expérience.

C’est un drame qui touche le monde entier. Les feux qui ont consumé ces derniers mois d’énormes étendues du territoire australien ont provoqué une catastrophe naturelle sans précédent. Un de nos compatriotes, installé au pays des kangourous et qui a été confronté à la tragédie, nous raconte son expérience...

Les yeux du monde sont tournés vers le pays continent. Après quelques jours d’accalmie, des rafales de vent et des températures caniculaires ont à nouveau aggravé les incendies en Australie… Les feux s’embrasent toujours avec autant d’intensité. Deux immenses incendies ont, sous l’effet des vents, fusionné le vendredi 10 janvier dans le sud-est du pays, occasionnant un grand brasier qui a tout détruit sur son passage. «Les conditions sont difficiles aujourd’hui», a expliqué Shane Fitzsimmons,  chef des pompiers dans les zones rurales de Nouvelle-Galles du Sud, aux journalistes de l’Agence France Presse. «Ce sont les vents chauds et secs qui constituent de nouveau le véritable défi.»

 

Le mercure a dépassé, en fin de semaine, les 40°C dans les États de Victoria et de Nouvelle-Galles du Sud, et l’inquiétude gagne toujours du terrain. Si les Australiens assistent impuissants à des «dégâts considérables» provoqués par ces feux de forêt avec les incendies qui progressent toujours et qui ont déjà fait plus d’une vingtaine de morts, sans oublier les nombreuses espèces d’animaux qui ont aussi perdu la vie, toute la planète se désole devant cette «grande catastrophe écologique». Les Mauriciens installés au pays des kangourous suivent avec beaucoup d’intérêt cette triste actualité et certains, comme Eric Mootoosamy, installé à Sydney, se sont retrouvés à faire face aux conséquences liées aux brasiers.

 

«À la fin de l’année, en période de fêtes, ma femme Luvleen, mon fils Shawn, 2 ans, et moi-même, avons profité, comme beaucoup d’autres résidents australiens, du temps chaud et des jours fériés pour aller à la plage», confie Eric qui revient sur la «difficile expérience» qu’il a vécue avec sa famille. «Nous avons ainsi quitté notre maison à Sydney et nous avons mis le cap sur une villa qui se trouvait à 10 secondes de la plage paradisiaque du Sussex Inlet, située dans le Conjola National Park. Même si cette région, se trouvant entre la Jervis Bay, qui était en partie en flammes, et Batemans Bay, qui était aussi en partie en flammes, ces feux ne représentaient alors pas un potentiel danger.»

 

«Plongés dans le noir»

 

La date du 31 décembre 2019 restera à jamais gravée dans sa mémoire… «Ce jour-là, nous profitions de la plage et de la mer calme, même si le ciel était un peu grisâtre. Il était près de midi quand nous avons aperçu un attroupement. Il y avait, parmi ce groupe de personnes un représentant des lieux qui nous a alors annoncé que nous devions tous bouger vers le centre d’évacuation au plus vite car un changement dans la direction du vent indiquait que la forêt entourant l’endroit où nous étions, ainsi que les villas, étaient à risques.» À partir de là, les choses se sont vite enchaînées. «Sans perdre de temps, nous avons rassemblé quelques effets personnels ainsi que des couvertures, tout en essayant de rester calmes. Et très vite, nous étions en route pour le centre d’évacuation de Sussex Inlet. Quand nous entamions la sortie du parc, nous avons vu une fumée noire et nous voyions des kangourous, paniqués, qui se sauvaient et qui traversaient la route. C’est une image bouleversante qui m’a marqué.»

 

La petite famille se retrouve alors dans un espace où tous les vacanciers étaient regroupés : «Nous nous sommes retrouvés avec des centaines d’autres vacanciers, évacués de leurs logements, à nous enregistrer au centre. Au même moment, nous avons appris que toutes les routes d’accès pour quitter la ville étaient impraticables à cause des arbres en feu, en bordure des routes. Les gens ont alors commencé à se préparer à passer la nuit.» En s’embarquant dans cette petite virée, Eric et sa petite famille étaient loin de se douter qu’ils allaient vivre de telles péripéties : «Nous avons fait des achats d’urgence, surtout en matière de produits laitiers pour notre fils, dans le seul petit supermarché de la ville. La petite boutique était pleine à craquer et les caisses n’étaient que partiellement opérationnelles. Les paiements devaient se faire uniquement en liquide car l’électricité avait été interrompue dans toute la ville et aucun réseau mobile ou fixe n’était en service et les guichets automatiques étaient aussi hors service. Ce n’était qu’une question d’heure avant que nous soyons plongés dans le noir, avec un air peu respirable. La situation devenait critique car nous étions maintenant coupés du monde, sans aucun moyen d’informer nos proches. Nous avons alors décidé de passer la nuit dans notre voiture, dans l’enceinte du centre d’évacuation, car pour nous, c’était plus approprié pour un enfant en bas âge, au lieu de se retrouver à même le sol.»

 

Les premières heures de 2020, pour Eric et ses proches, ont été assez pénibles : «Le premier jour de l’An, le centre, ayant été connecté tard la veille par les autorités, à un générateur mobile, des repas chauds ont été servis aux évacués et nous en avons profité pour faire le plein d’énergie sur nos portables, même si aucune connexion n’était disponible.» Eric n’est vraiment pas près d’oublier ce 1er janvier 2020 : «Cela a été un long 1er janvier et grande était notre joie d’apprendre, tard dans la soirée, que les routes allaient être opérationnelles tôt le 2 janvier.»

 

Après des moments difficiles, Eric et les siens étaient impatients de retrouver leur maison : «Nous avons décidé de quitter les lieux tôt le matin, conscients que les autres voyageurs voulaient, comme nous, rentrer chez eux à tout prix. À 4h30 du matin, nous étions les septièmes dans une file, en attendant que les autorités ouvrent la route. Après plusieurs inspections sur des kilomètres, nous avons eu le feu vert des autorités pour partir sous escorte policière, vers 9h15. Dans un bouchon monstre, nous avons alors repris la route pour Sydney en espérant avoir assez de carburant. Car en l’absence d’électricité, nous n’avons pas pu faire le plein.»

 

C’est après sept heures de route, alors que le trajet en temps normal est de 3 heures, qu’Eric et sa famille sont arrivés à leur destination. «Nous sommes arrivés à Sydney, soulagés d’être enfin à l’abri. Cette expérience, aussi difficile soit-elle, nous fait prendre conscience de beaucoup de choses, incluant l’importance de nos actions contre le réchauffement climatique», lâche celui qui n’oubliera pas de sitôt cette mésaventure.

 

Même ceux qui ne sont pas directement affectés disent suivre la situation de très près. Fabrice Bissessur, autre Mauricien installé en Australie, en sait quelque chose. «De mon côté, je ne suis pas vraiment affecté par les incendies, Dieu merci, à l’exception du fait que certains jours, la fumée nous parvient et on prend quelques petites précautions pour éviter de la respirer. Mais ce n’est rien de grave car il s’agit d’une petite quantité. Mais c’est pénible de constater toutes ces pertes humaines, animales et environnementales», confie le jeune homme. Comme bon nombre d’Australiens et d’autres personnes à travers le monde, il espère que la situation s’améliorera très vite…

 


 

Réactions d’amoureux de l’environnement | Vassen Kauppaymuthoo : «Cela nous démontre ce qui nous attend à l’avenir»

 

La situation en Australie est suivie de près par bon nombre d’amoureux de la nature. Car la catastrophe en cours est aussi écologique. Au terme d’une étude, le professeur Chris Dickman, de l’Université de Sydney, a affirmé, dans un communiqué publié le lundi 6 janvier, qu’un milliard d’animaux avait péri. Liés à une sécheresse particulièrement grave en Australie, ces incendies sont aggravés par le réchauffement climatique, alors que les scientifiques prédisent de longue date que la récurrence de ces événements météorologiques extrêmes ne fera que s’aggraver. «Ce qui se passe en Australie est le début d’une longue suite d’événements liés aux impacts du changement climatique, qui commenceront à affecter la planète de plus en plus fréquemment. Ces événements sont là pour prouver que les prévisions des scientifiques sont réalistes et que nous entrons dans une ère perturbée qui entraînera beaucoup de bouleversements sociaux, environnementaux mais aussi économiques, des problèmes liés à la sécurité alimentaire et à la remise en question des piliers économiques traditionnels, avec des refugiés climatiques de plus en plus nombreux. Les incendies en Australie sont là pour nous démontrer ce qui nous attend à l’avenir et personne ne sera à l’abri. Le changement climatique va s’accélérer», confie Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement.

 

Les Mauriciens, soutient-il, doivent définitivement se sentir concernés par ce qui se passe dans le pays continent : «Les phénomènes de cette ampleur ont un impact global : les incendies australiens libèrent dans l’atmosphère des quantités gigantesques de dioxyde de carbone, qui aggravent la situation et déstabilisent encore plus notre écosystème et notre climat global : les fumées ont eu des impacts jusqu’au Chili, à plus de 12 000 km de l’Australie, et le système de circulation atmosphérique globale emmènera ces fumées et des particules fines à travers le monde. Ce nuage de fumée ainsi que la chaleur dégagée nous affecteront dans les semaines à venir, même si nous sommes situés très loin car nous vivons sur la même planète. Et nous partageons la même atmosphère. Cela devrait nous éveiller sur le sens de nos actes, les conséquences de nos actions et les impacts de nos activités sur les autres et sur notre maison, notre planète : la terre et les océans.»

 

Il est primordial de se préparer, affirme-t-il. «Au-delà des incendies en Australie, nous devrions nous rendre compte que nous sommes plus exposés aux impacts du changement climatique en tant que petit état insulaire et que nous devrons prendre les mesures nécessaires dans les années à venir pour nous préparer aux bouleversements à venir : vagues de chaleur atmosphériques et océaniques, inondations, cyclones surpuissants, érosion côtière, contamination de notre eau souterraine, chute de la production agricole due aux inondations, comme c’est le cas actuellement suite aux fortes pluies de ces dernières semaines, mais aussi des répercussions encore plus graves avec des réfugiés climatiques provenant des zones côtières et des zones inondables autour des rivières, une économie affectée par tous ces événements comme cela a été le cas lors des derniers jours de 2019.» Cela implique d’informer la population, de se préparer et de faire face ensemble, à travers un élan de solidarité nationale qui impliquera toute la population, le gouvernement, le secteur privé et les ONG, afin de pouvoir surmonter cette épreuve, poursuit notre interlocuteur. «Cela ne fait que commencer…»

 

Pascal Laroulette, engagé dans la cause écologique, a aussi été touché par le drame australien. «Nul besoin d’être un expert pour dresser un bilan des conséquences telles qu’un chamboulement dans le fonctionnement de l’écosystème et une modification conséquente de la biodiversité. Ce drame vient chambouler tout ce processus si important à la vie. Les Mauriciens doivent se sentir concernés pour éviter que la même chose ne se produise dans notre pays. Nous n’avons pas de biodiversité de rechange. L’heure n’est plus au constat mais à l’action. Le modèle économique et le système éducatif doivent désormais graviter autour du poumon vert et du poumon bleu si le Mauricien veut assurer sa survie.»

 

Pour Krishna Pentayah, jeune homme de 21 ans qui milite au sein de l’association Sov Lanatir, les choses évoluent trop lentement : «Les scientifiques nous en ont avertis il y a longtemps. Je me souviens encore que tous les livres des écoles primaires parlaient du réchauffement climatique et du changement climatique. Pourtant, lorsque je suis entré dans le monde adulte, je pouvais voir que la science n’était pas vraiment prise en compte, en particulier par les décideurs politiques. La tragédie en l’Australie nous pousse encore plus à passer à l’action au lieu de rester sur les réseaux sociaux», dit le jeune homme. Au samedi 11 janvier, il devait participer à une opération pour planter des arbres à l’Ebony Forest, à Chamarel.

 

Gyanisha Ramah, Miss Earth Mauritius 2019, se dit aussi préoccupée par ce qui se passe : «Malgré le fait que la catastrophe des incendies de forêt se soit produite en Australie, nous, citoyens mauriciens, devons prendre cela au sérieux et être plus prudents avant de nuire à notre mère la Terre ! Si notre forêt tropicale continue de brûler, elle est susceptible de se transformer en un écosystème complètement différent, avec moins d’arbres et d’espèces de plantes et d’animaux.»