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La «dure» vie des enseignants

5 mai 2016

La «dure» vie des enseignants

Ilétait une fois… des histoires qui font froid dans le dos. Une enseignante qui accuse un de ses élèves d’attouchements sexuels. Des collégiens qui seraient sous l’emprise de drogues synthétiques font des malaises dans leur établissement scolaire. D’autres en viennent aux mains. Une collégienne poignarde une autre adolescente à la gare du Nord pour une histoire de cœur. La Mauritius Planning and Welfare Association fait le constat : il y aurait de plus en plus de grossesses précoces. Sexe, drogue, alcool et violence font désormais partie du quotidien des enfants. Et de ceux qui évoluent avec eux : les enseignants, par exemple.

 

Est-ce qu’ils ont les moyens de faire face à ces changements de la société et des nouvelles données peu reluisantes ? Pas vraiment, expliquent ceux que nous avons interrogés (et qui ont souhaité garder l’anonymat afin de ne pas mettre en péril leur emploi). Au-delà du fait que l’école mauricienne n’est pas adaptée à sa société et aux nouvelles réalités didactiques, les enseignants doivent gérer un ensemble de facteurs au quotidien. Envers et contre tout. Si pour certains, enseigner n’est qu’un métier, d’autres «profs» veulent aller au-delà et offrir le meilleur à leurs élèves. Ils en parlent…

 

Les parents, des «partenaires» souvent absents… ou trop présents. «Je pense que certains parents ont démissionné de leur rôle. Le fait de travailler a tendance à leur faire négliger leurs enfants. Ils culpabilisent parfois et, du coup, ils donnent à leurs enfants tout ce qu’ils veulent, mais surtout trop de liberté et de confiance», constate Micheline, enseignante depuis dix ans, qui rappelle également qu’être «prof» ne se résume pas aux horaires et aux vacances. Déverser ses responsabilités sur l’école et imaginer que tout se passera… sans accroc, «c’est une folie ! Il faut que le travail se fasse en accord avec toutes les parties concernées. Mais bon, tant qu’ils ne comprendront pas ça, il n’y aura pas d’issue possible»,explique Naima, enseignante dans une école primaire privée depuis plus de 30 ans. D’autres sont trop présents… au mauvais moment. «Un parent est venu m’insulter parce que j’avais puni son fils ! Et je connais d’autres collègues qui ont dû faire face à de la violence physique. Notre job n’est pas évident. Parfois, nous avons peur», se lamenteRoshan, prof dans une SSS du sud de l’île.

 

Nos élèves : notre motivation… Évoluer avec des enfants et des jeunes. Les voir réussir, s’épanouir, partager, apprendre et se surpasser. Faire partie de leur quotidien, c’est une belle aventure humaine. «Pour moi, c’est un métier miracle : chaque jour, c’est un bonheur d’aller à la rencontre de mes élèves, de les accompagner dans leur parcours et de les guider sur leur choix d’avenir. Un ‘‘bonjour’’ et un ‘‘bonne journée’’ joyeux dans un couloir le matin, ou un ‘‘Oh, madame vous êtes chic’’ : des petites choses qui font tellement plaisir», confie Micheline.

 

Elle explique qu’en travaillant avec ces jeunes,c’est une ouverture au monde et à ses changements qui est vécue tous les jours. Une richesse qui nourrit le cœur et l’esprit : «J’ai l’esprit plus ouvert sur certaines réalités auxquelles je n’ai pas eu à faire face en étant élève. Par exemple, venir à l’école alors que maman dort toujours ou est partie travailler. Cela me rend plus sensible et compréhensive.» Mais aussi un besoin constant de se réinventer et de réinventer sa façon d’enseigner : «C’est un vrai challenge. Pour retenir leur attention, il faut faire preuve d’astuces. La façon d’enseigner traditionnelle ne fonctionne pas.»

 

Twerk, chat, emojis

 

Suivre les dernières technologies, les dernières modes. Être au courant sans s’insérer dans ces tendances qui doivent demeurer celles des jeunes. Enseigner, c’est offrir le meilleur de soi tout le temps : «Il ne faut pas se tromper de rôle : nous ne sommes pas des amis. Nous sommes des accompagnateurs. En classe, c’est un rôle que nous jouons. Nous mettons de côté nos peurs, nos soucis, nos insécurités, nos envies : toutes ces émotions qui tourbillonnent dans nos vies. Nous devons être des figures d’adulte, même si nous ne nous sentons pas vraiment ainsi… et que le twerk, les emojis, les chats, les délires, ça nous parle», explique Samira, jeune enseignante dans un collège de fille.

 

…Et notre démotivation. Les attention seekers, les drama queens(et kings !), les rejetés, les timides, les renfrognés… Il y en a toujours eu, explique nos intervenants. «Depuis toujours, nous faisons face à des personnalités différentes. Mais ce qui a changé, c’est le manque de volonté. Ces enfants n’ont peur de rien. Ils n’ont pas fait leur devoir ? Ce n’est pas grave. Une punition ? Ils s’en moquent»,confie Marina qui enseigne au primaire depuis plus de 15 ans. Elle ajoute que c’est désormais l’école parallèle – les leçons particulières – qui est importante : «On oublie le travail de l’école parce que là-bas, on va se faire gronder. Là-bas, les parents paient.»Au collège, même galère… en pire, explique Micheline : «Les enfants passent plus de temps à faire ce qu’ils veulent et ne passent pas leur temps libre à étudier. Ils rôdent dans les arcades, à la gare, font des rencontres souvent néfastes et tombent dans des cercles vicieux.»

 

L’école est donc une activité optionnelle dans une vie occupée à un million de choses. «Comment peut-on enseigner à des élèves qui sont là un jour sur trois ? Qui sortent les week-ends, vont en boîte, au campement avec des amis ? Il y a un âge pour toute chose. Tout est permis, trop vite», pense Roshan. L’enseignant n’est plus un être à respecter, mais plutôt à défier : «Parfois, on entend les moqueries des élèves. Ils le font ouvertement. Il faut arriver à faire semblant de ne pas entendre, de ne pas montrer que ça nous perturbe. Combien de fois j’ai entendu mes élèves se demander, entre eux, si j’ai mis un string ou une culotte !» se lamente Manisha, jeune diplômée et nouvelle recrue dans un collège d’état pour garçons (en attendant mieux).

 

Drogue, sexe et réseaux sociaux. Dans cette nouvelle école, face à une jeunesse qui se construit dans un monde hyper sexué où le diktat de l’apparence et de l’image a pris le contrôle, il n’est pas évident de faire passer un savoir. Et encore moins de capter l’attention : «La fille qui craque en pleine classe parce qu’une de ses amies n’a pas likeune de ses photos… Comment on gère ça ? Comment on peut parler de littérature ?»Les réseaux sociaux ont pris toute la place, confie Danielle, enseignante dans un collège privé financé par la PSSA : «Merci aux smartphones ! Nouson galère.»

 

Sexualité débridée

 

Dans son collège, explique-t-elle, une nouvelle réalité a vu le jour : «La direction ne dit rien, mais nous avons des doutes : les filles feraient l’amour dans les toilettes.» Sexualité débridée et territoire à conquérir. Les clashes sont nombreux et se poursuivent en dehors de l’école – par texto, par chat– et explosent lors des récréations et des classes : «Auparavant, on ne voyait pas ça dans les collèges de filles.»

 

La drogue est aussi un sujet sensible. Aucun de nos intervenants, néanmoins, n’a confié avoir fait face à des élèves sous influence : «Mais nous en entendons parler. Et ça nous préoccupe.»

 

Au primaire, explique Naima, il n’est pas question de sexe ou de drogue. Néanmoins, gérer les premiers émois amoureux, les premières règles, les divorces des parents, est devenu un défi !

 

Des psychologues, des mamans/papas, des pompiers, des épaules sur lesquelles pleurer, des «punching balls»… Nos interlocuteurs sont tout ça à la fois, disent-ils. Et bien plus encore : «On se fait insulter par nos élèves. Ils nous manquent de respect, parfois ils nous menacent. Mais nous faisons face parce que nous voyons qu’ils grandissent sans repère. Ils sont en perdition. D’autres nous racontent leurs galères, leurs peurs et leurs chagrins. Nous aussi, parfois, nous sommes perdus face à eux. Mais nous n’avons pas le choix. Nous devons gérer tout ça»,explique Roshan. 

 

Vitres brisées, chaises cassées, pupitres en piteux état… et classes surchargées. Les écoles primaires ou secondaires ne sont pas logées à la même enseigne. La dure vie des enseignants, ce n’est pas uniquement leurs élèves. Ce sont aussi les infrastructures et le manque de moyens mis à leur disposition. Des classes surchargées et des programmes qui ne prennent pas en compte le développement intégral d’un enfant. Mais également le manque de soutien aux élèves venant des quartiers dits défavorisés, qui n’arrivent pas à l’école avec les mêmes avantages que leurs copains de classe plus chanceux. «Pourtant, nous n’avons aucun système d’aide qui est mis en place. Nous avons un programme à suivre. Moi, je travaille avec des élèves du prévoc’. On me force à leur apprendre les adjectifs, les pronoms… alors qu’ils ne savent pas lire ou écrire. Mais je ne peux pas faire autrement»,raconte Sonia.

 

Pour Sanjeev, enseignant dans une école primaire d’un village du nord de l’île, il serait nécessaire de venir en aide «globalement» à ses élèves qui viennent à l’école sans manger, dont les parents ne travaillent pas, et/ou qui ne sont pas lettrés : «On ne peut pas nous demander de faire des miracles.»

 


 

Nine-Year Schooling : inquiétudes et protestation

 

La crainte que leur établissement ne ferme ses portes avec la formule du Nine-Year Schooling.C’est cette émotion qui a motivé des enseignants des collèges non confessionnels à faire partie d’un mouvement de désobéissance initié par la plateforme syndicale l’UPSEE en début de semaine. Néanmoins, la PSSA a vite rassuré : aucun emploi ne sera perdu, les enseignants seront redéployés…

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